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Mercredi cinéma : "Une séparation", un film d'Asghar Farhadi. Ours d'or au festival de Berlin 2011

Publié le : 08-06-2011

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

Une séparation, un film d'Asghar FarhadiZoom nouveauté : "Une séparation", un film d'Asghar Farhadi. Ours d'or au festival de Berlin 2011

L'histoire
Lorsque sa femme le quitte, Nader engage une aide-soignante pour s’occuper de son père malade. Il ignore alors que la jeune femme est enceinte et a accepté ce travail sans l’accord de son mari, un homme psychologiquement instable…
Un film de Asghar Farhadi avec Leila Hatami, Peyman Moadi…

Bonus : entretien avec Asghar Farhadi, réalisateur du film

Dans quel contexte est né le film ?
J’étais de passage à Berlin, où je travaillais sur le scénario d’un autre projet. Un soir, dans la cuisine, j’ai entendu une musique iranienne qui venait de la pièce voisine. Tout à coup, j’ai été envahi par des souvenirs et des images d’une tout autre histoire. J’ai essayé de les chasser de mon esprit, et de me concentrer sur le scénario que j’écrivais. Mais il n’y avait rien à faire : les souvenirs et les images s’étaient enracinés en moi. Ils ne me lâchaient pas : même dans la rue et dans les transports en commun, ce début d’intrigue qui venait d’ailleurs me poursuivait. J’ai fini par accepter l’idée que je me sentais de plus en plus proche de cette histoire. Donc, je suis retourné en Iran, et je me suis mis à travailler sur ce scénario, qui allait devenir celui d’"Une séparation".

L’intrigue s’inspire-t-elle d’un fait divers ?
Pas du tout. Ce qui peut donner cette impression, c’est une certaine dimension documentaire présente dans le film. C’est parce que j’ai mené un important travail de recherche auprès de juges, de tribunaux et que j’ai consulté de nombreux conseillers juridiques pendant la phase d’écriture, que le film est très proche de la réalité actuelle.

Dans quelles conditions avez-vous tourné le film ?
Nous avons travaillé en 35 mm, avec une seule caméra. Les prises ont été plus nombreuses que sur mon précédent film, "A propos d'Elly"... "Une séparation" a été entièrement tourné en décors naturels à l’exception des séquences du bureau du juge et du tribunal que nous avons construits dans deux écoles désaffectées car on ne nous a pas autorisés à tourner en ces lieux.

Leila Hatami, Peyman MoadiLes personnages s’observent souvent à travers des vitres qui créent autant de séparations entre eux. Cela faisait-il partie de vos partis-pris de mise en scène ?
Pendant mes repérages, je cherchais à chaque fois des décors avec des parois vitrées. Et quand il n’y avait que des murs, je demandais à mon décorateur de les transformer en baies vitrées. Ce choix m’a non seulement permis d’évoquer la fragilité des personnages, mais aussi, grâce à leur reflet dans les vitres, de montrer qu’ils sont constitués de différentes strates et que le film explorait précisément leurs différentes facettes.

Quel message vouliez-vous faire passer à travers ce film ?
Le cinéma dans lequel le réalisateur impose sa vision des personnages est aujourd’hui dépassé. Plutôt que de faire passer un message, mon intention est de susciter des interrogations. Il me semble qu’à l’heure actuelle, nous avons davantage besoin de questions que de réponses. C’est au spectateur de trouver des réponses. Peu importe si sa perception est totalement opposée à celle du réalisateur.
La scène d’ouverture pose précisément les premières interrogations du film. Par exemple, celle de savoir si un enfant iranien a plus d’avenir dans son pays ou à l’étranger. Cette problématique induit un questionnement et non une réponse.

Dans quelle mesure "Une séparation" est-elle une histoire universelle ?
Habituellement, les problématiques et les conflits que rencontrent les personnages d’un film résident davantage dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux plutôt que dans leur conflit intime. Dans la mesure où mes histoires sont nourries de ces rapports humains, je ne pense pas qu’elles soient spécifiquement iraniennes mais plutôt accessibles au plus grand nombre, par-delà les frontières géographiques, culturelles ou linguistiques. Selon moi, ce qui caractérise également cette histoire, c’est qu’elle n’a pas été conçue de façon unilatérale ou caricaturale. Autrement dit, elle permet aux spectateurs d’entrer dans l’histoire par différents biais, en fonction de leur sensibilité, et d’en tirer leur propre interprétation. Par exemple, en Iran, plusieurs spectateurs ont vu ce film comme un film politique. D’autres spectateurs, au contraire, m’ont dit que c’était un film sur l’éthique des relations humaines. D’autres encore l’ont perçu comme un drame humain. J’en suis ravi car quand j’ai commencé à écrire ce film, je voulais vraiment que chacun puisse avoir un regard et un point de vue personnel sur l’histoire.

Asghar FarhadiLa religion est souvent évoquée dans le film. Un spectateur occidental peut s’étonner lorsque l’aide-ménagère passe un appel téléphonique pour savoir si elle peut changer le vieil homme sans commettre de péché…
En Iran, la coutume veut que, pour les questions strictement religieuses, aussi banales et dérisoires soient-elles, chacun ait la possibilité de téléphoner à celui qui lui sert de « guide religieux ». On l’appelle « Le prédicateur » -en d’autres termes, il s’agit de celui que l’on a choisi d’imiter, de suivre, pour sa pratique religieuse. C’est relativement courant en Iran, cela concerne uniquement les questions liées à la pratique religieuse, et en aucun cas les fondements de notre religion. Il arrive que la réponse que vous donne votre « guide » puisse aller totalement à l’encontre de vos propres convictions, vous êtes pourtant contraint de suivre le conseil que l’on vous a donné. Au fond, ce qui m’intéressait davantage à travers cet appel téléphonique était la question du libre arbitre. Je voulais montrer qu’un fidèle ne peut agir de son plein gré, qu’il ait raison ou tort, et que nécessairement, c’est une tierce personne qui détermine ses actes.

Vous ne jugez, ni ne condamnez, aucun des personnages : chacun a ses raisons pour agir comme il le fait. Comment avez-vous conçu et construit ces différents protagonistes ?
Dans mon travail, que ce soit au théâtre, au cinéma ou à la télévision, j’ai toujours essayé de ne pas concevoir de personnages totalement négatifs. Cela ne veut pas dire que mes protagonistes ne commettent pas d’actes répréhensibles ou d’erreurs mais j’essaye à chaque fois d’expliquer leurs actes et souvent, le spectateur s’aperçoit que ces personnages ne commettent pas délibérément ces agissements mais qu’ils sont poussés par une force extérieure. Personnellement, je ne crois pas du tout au manichéisme consistant à distinguer héros et anti-héros, gentils et méchants. Je pense qu’aujourd’hui ce genre de conception a un côté totalement désuet et artificiel.

Les personnages féminins donnent l’impression d’être plus téméraires que les hommes, pourquoi ?
Actuellement, en Iran, les femmes luttent davantage pour tenter de retrouver les droits qui leur ont été confisqués. Elles sont à la fois plus résistantes et plus déterminées. Dans mes films, j’essaie de donner une vision réaliste et complexe de mes personnages, qu’ils soient féminins ou masculins. J’ignore pourquoi les femmes y sont souvent des éléments moteurs. C’est peut-être un choix inconscient. Néanmoins, ces personnages ont choisi des styles de vies. Elles essaient toutes les deux de sauver leur peau. L’une est issue de la classe sociale la plus défavorisée, avec tout ce que cela implique, tandis que l’autre vient de la classe moyenne.

Souhaitiez-vous ainsi brosser le portrait de deux figures opposées de la femme iranienne ?
Les spectateurs occidentaux ont souvent une image très déformée de la femme iranienne qu’ils voient comme soumise, confinée aux travaux domestiques et déconnectée de toute activité sociale. Il y a sans doute un certain nombre de femmes iraniennes qui vivent ainsi, mais pour la plupart, elles sont engagées dans la vie sociale, et avec bien plus de volontarisme que les hommes. Les deux catégories de femmes sont présentes dans le film, sans que je porte sur elles un jugement ou que j’en fasse des héroïnes. L’affrontement entre elles n’est pas celui du bien et du mal. Ce sont simplement deux visions contradictoires du bien. Et c’est en cela qu’il s’agit d’une tragédie moderne. Le conflit éclate entre deux entités positives, et j’espère que le spectateur ne souhaitera pas que l’une triomphe au détriment de l’autre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette classe moyenne que vous dépeignez ici ?
En raison de l’instabilité économique, nous n’avons pas en Iran de distinction de classes bien établies et on peut passer rapidement d’une classe à l’autre. Suite à la guerre contre l’Irak, beaucoup de familles aisées sont devenues plus modestes, après avoir tout perdu. Elles ont néanmoins conservé la culture et les mœurs de leur milieu d’origine.
Il y a aussi beaucoup de changements dans le sens inverse, avec des personnes qui se sont rapidement enrichies sans bénéficier, quant à elles, de la culture de leur nouvelle classe sociale. La classification du niveau de vie entre classes pauvres, moyennes et riches, tiennent compte de leurs biens et de leurs revenus mais pas nécessairement du niveau de culture et des mœurs inhérents à leurs milieux respectifs.

Le montage est souvent cut. Comment avez-vous travaillé le rythme au moment du montage ?
C’est une erreur de croire que le rythme d’un film ne se travaille qu’au montage. Le rythme se construit dès le départ, à l’écriture, puis à la mise en scène et bien évidemment au montage. Ce que je voulais surtout, c’était montrer le rythme de la vie à Téhéran, et faire ressentir ainsi la pulsation de cette ville. Je pensais donc que pour traduire ce tempo très rapide, il fallait partir à la fois d’un découpage comportant beaucoup de plans et d’une caméra constamment mobile. Avec ces deux dispositifs réunis, on pouvait traduire le rythme de cette ville, la tension et la nervosité des personnages. Quand j’évoque le rythme, il ne s’agit pas de rapidité dans l’action. Certes, le rythme de la vie iranienne peut paraitre lent, mais ce qui rend la rend véloce chez nous, c’est la succession de petits moments de la vie quotidienne. Et c’est ce qui se passe dans le film. En fait, il y a énormément d’événements qui se succèdent les uns aux autres et qui chamboulent la vie des protagonistes.

Leila HatamiComment choisissez-vous et dirigez-vous vos acteurs ?
En général, je prends mon temps pour choisir mes comédiens, et ce film n’a pas fait exception à la règle. Mon choix se porte davantage sur les capacités de jeu d’un acteur que sur son apparence physique ou son visage. Par conséquent, je fais faire des essais à tous les candidats potentiels, afin de voir s’ils sont proches du personnage ou pas. J’essaie de ne pas gêner mes acteurs avec mes réflexions d’ensemble sur le film, ou avec la vision que j’en ai. Je trouve que les comédiens n’ont pas besoin de connaître le sens général du fi lm mais qu’ils doivent s’efforcer de se concentrer sur la personnalité et les motivations de leur personnage. Ma méthode, en réalité, consiste à m’adapter à chaque acteur, à sa manière d’être et à son propre fonctionnement. Mais ce qui ne varie pas, ce sont les répétitions auxquelles j’attache une grande importance. C’est à ce moment-là que les acteurs entrent dans la peau de leurs personnages. C’est une approche qui me vient sans doute de mon expérience du théâtre. Une fois sur le plateau, nous nous sommes tous mis d’accord sur le fait qu’à partir de là on ne ferait plus que d’infimes changements. Cela ne veut pas dire que je refuse les suggestions ou les avis des uns ou des autres mais nous avons convenu que ces discussions n’auraient lieu que pendant les répétitions.

Quel est votre prochain projet ? Continuerez-vous à tourner en Iran ?
Je suis justement en train de travailler sur mon prochain scénario, mais tant que je n’ai pas fi ni de l’écrire et que je n’en suis pas totalement satisfait, je ne pourrai vous dire précisément quel sera mon prochain fi lm.
Ce qui est certain, c’est qu’il ne sera pas fondamentalement différent de mes précédents. Cela étant dit, je ne veux pas dormir sur mes lauriers mais profiter du succès qu’ont eu mes précédents films. J’ai évidemment envie de prendre des risques. Je vais peut-être faire un film iranien mais qui sera tourné hors des frontières iraniennes.
(Extrait dossier de presse)

Autres films toujours à l'affiche :

"Un baiser papillon" de Karine Silla Pérez
"Le complexe du castor" de et avec Jodie Foster
"Le gamin au vélo" de Jean-Pierre et Luc Dardenne
"L’œil invisible" de Diego Lerman
"La ballade de l'impossible" de Tran Anh Hung
"Et soudain tout le monde me manque" de Jennifer Devoldère
"Mon père est femme de ménage" de Saphia Azzedine

Je souhaite que, vous aussi, vous partagiez vos émotions et vos coups de cœur ciné. Envoyez vos critiques de films par mail (contact@journaldefrancois.fr ). Elles seront publiées dans le Journal !
Mercredi cinéma, c’est votre rendez-vous !

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Une séparation, un film d'Asghar FarhadiZoom nouveauté : "Une séparation", un film d'Asghar Farhadi. Ours d'or au festival de Berlin 2011

L'histoire
Lorsque sa femme le quitte, Nader engage une aide-soignante pour s’occuper de son père malade. Il ignore alors que la jeune femme est enceinte et a accepté ce travail sans l’accord de son mari, un homme psychologiquement instable…
Un film de Asghar Farhadi avec Leila Hatami, Peyman Moadi…

Bonus : entretien avec Asghar Farhadi, réalisateur du film

Dans quel contexte est né le film ?
J’étais de passage à Berlin, où je travaillais sur le scénario d’un autre projet. Un soir, dans la cuisine, j’ai entendu une musique iranienne qui venait de la pièce voisine. Tout à coup, j’ai été envahi par des souvenirs et des images d’une tout autre histoire. J’ai essayé de les chasser de mon esprit, et de me concentrer sur le scénario que j’écrivais. Mais il n’y avait rien à faire : les souvenirs et les images s’étaient enracinés en moi. Ils ne me lâchaient pas : même dans la rue et dans les transports en commun, ce début d’intrigue qui venait d’ailleurs me poursuivait. J’ai fini par accepter l’idée que je me sentais de plus en plus proche de cette histoire. Donc, je suis retourné en Iran, et je me suis mis à travailler sur ce scénario, qui allait devenir celui d’"Une séparation".

L’intrigue s’inspire-t-elle d’un fait divers ?
Pas du tout. Ce qui peut donner cette impression, c’est une certaine dimension documentaire présente dans le film. C’est parce que j’ai mené un important travail de recherche auprès de juges, de tribunaux et que j’ai consulté de nombreux conseillers juridiques pendant la phase d’écriture, que le film est très proche de la réalité actuelle.

Dans quelles conditions avez-vous tourné le film ?
Nous avons travaillé en 35 mm, avec une seule caméra. Les prises ont été plus nombreuses que sur mon précédent film, "A propos d'Elly"... "Une séparation" a été entièrement tourné en décors naturels à l’exception des séquences du bureau du juge et du tribunal que nous avons construits dans deux écoles désaffectées car on ne nous a pas autorisés à tourner en ces lieux.

Leila Hatami, Peyman MoadiLes personnages s’observent souvent à travers des vitres qui créent autant de séparations entre eux. Cela faisait-il partie de vos partis-pris de mise en scène ?
Pendant mes repérages, je cherchais à chaque fois des décors avec des parois vitrées. Et quand il n’y avait que des murs, je demandais à mon décorateur de les transformer en baies vitrées. Ce choix m’a non seulement permis d’évoquer la fragilité des personnages, mais aussi, grâce à leur reflet dans les vitres, de montrer qu’ils sont constitués de différentes strates et que le film explorait précisément leurs différentes facettes.

Quel message vouliez-vous faire passer à travers ce film ?
Le cinéma dans lequel le réalisateur impose sa vision des personnages est aujourd’hui dépassé. Plutôt que de faire passer un message, mon intention est de susciter des interrogations. Il me semble qu’à l’heure actuelle, nous avons davantage besoin de questions que de réponses. C’est au spectateur de trouver des réponses. Peu importe si sa perception est totalement opposée à celle du réalisateur.
La scène d’ouverture pose précisément les premières interrogations du film. Par exemple, celle de savoir si un enfant iranien a plus d’avenir dans son pays ou à l’étranger. Cette problématique induit un questionnement et non une réponse.

Dans quelle mesure "Une séparation" est-elle une histoire universelle ?
Habituellement, les problématiques et les conflits que rencontrent les personnages d’un film résident davantage dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux plutôt que dans leur conflit intime. Dans la mesure où mes histoires sont nourries de ces rapports humains, je ne pense pas qu’elles soient spécifiquement iraniennes mais plutôt accessibles au plus grand nombre, par-delà les frontières géographiques, culturelles ou linguistiques. Selon moi, ce qui caractérise également cette histoire, c’est qu’elle n’a pas été conçue de façon unilatérale ou caricaturale. Autrement dit, elle permet aux spectateurs d’entrer dans l’histoire par différents biais, en fonction de leur sensibilité, et d’en tirer leur propre interprétation. Par exemple, en Iran, plusieurs spectateurs ont vu ce film comme un film politique. D’autres spectateurs, au contraire, m’ont dit que c’était un film sur l’éthique des relations humaines. D’autres encore l’ont perçu comme un drame humain. J’en suis ravi car quand j’ai commencé à écrire ce film, je voulais vraiment que chacun puisse avoir un regard et un point de vue personnel sur l’histoire.

Asghar FarhadiLa religion est souvent évoquée dans le film. Un spectateur occidental peut s’étonner lorsque l’aide-ménagère passe un appel téléphonique pour savoir si elle peut changer le vieil homme sans commettre de péché…
En Iran, la coutume veut que, pour les questions strictement religieuses, aussi banales et dérisoires soient-elles, chacun ait la possibilité de téléphoner à celui qui lui sert de « guide religieux ». On l’appelle « Le prédicateur » -en d’autres termes, il s’agit de celui que l’on a choisi d’imiter, de suivre, pour sa pratique religieuse. C’est relativement courant en Iran, cela concerne uniquement les questions liées à la pratique religieuse, et en aucun cas les fondements de notre religion. Il arrive que la réponse que vous donne votre « guide » puisse aller totalement à l’encontre de vos propres convictions, vous êtes pourtant contraint de suivre le conseil que l’on vous a donné. Au fond, ce qui m’intéressait davantage à travers cet appel téléphonique était la question du libre arbitre. Je voulais montrer qu’un fidèle ne peut agir de son plein gré, qu’il ait raison ou tort, et que nécessairement, c’est une tierce personne qui détermine ses actes.

Vous ne jugez, ni ne condamnez, aucun des personnages : chacun a ses raisons pour agir comme il le fait. Comment avez-vous conçu et construit ces différents protagonistes ?
Dans mon travail, que ce soit au théâtre, au cinéma ou à la télévision, j’ai toujours essayé de ne pas concevoir de personnages totalement négatifs. Cela ne veut pas dire que mes protagonistes ne commettent pas d’actes répréhensibles ou d’erreurs mais j’essaye à chaque fois d’expliquer leurs actes et souvent, le spectateur s’aperçoit que ces personnages ne commettent pas délibérément ces agissements mais qu’ils sont poussés par une force extérieure. Personnellement, je ne crois pas du tout au manichéisme consistant à distinguer héros et anti-héros, gentils et méchants. Je pense qu’aujourd’hui ce genre de conception a un côté totalement désuet et artificiel.

Les personnages féminins donnent l’impression d’être plus téméraires que les hommes, pourquoi ?
Actuellement, en Iran, les femmes luttent davantage pour tenter de retrouver les droits qui leur ont été confisqués. Elles sont à la fois plus résistantes et plus déterminées. Dans mes films, j’essaie de donner une vision réaliste et complexe de mes personnages, qu’ils soient féminins ou masculins. J’ignore pourquoi les femmes y sont souvent des éléments moteurs. C’est peut-être un choix inconscient. Néanmoins, ces personnages ont choisi des styles de vies. Elles essaient toutes les deux de sauver leur peau. L’une est issue de la classe sociale la plus défavorisée, avec tout ce que cela implique, tandis que l’autre vient de la classe moyenne.

Souhaitiez-vous ainsi brosser le portrait de deux figures opposées de la femme iranienne ?
Les spectateurs occidentaux ont souvent une image très déformée de la femme iranienne qu’ils voient comme soumise, confinée aux travaux domestiques et déconnectée de toute activité sociale. Il y a sans doute un certain nombre de femmes iraniennes qui vivent ainsi, mais pour la plupart, elles sont engagées dans la vie sociale, et avec bien plus de volontarisme que les hommes. Les deux catégories de femmes sont présentes dans le film, sans que je porte sur elles un jugement ou que j’en fasse des héroïnes. L’affrontement entre elles n’est pas celui du bien et du mal. Ce sont simplement deux visions contradictoires du bien. Et c’est en cela qu’il s’agit d’une tragédie moderne. Le conflit éclate entre deux entités positives, et j’espère que le spectateur ne souhaitera pas que l’une triomphe au détriment de l’autre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette classe moyenne que vous dépeignez ici ?
En raison de l’instabilité économique, nous n’avons pas en Iran de distinction de classes bien établies et on peut passer rapidement d’une classe à l’autre. Suite à la guerre contre l’Irak, beaucoup de familles aisées sont devenues plus modestes, après avoir tout perdu. Elles ont néanmoins conservé la culture et les mœurs de leur milieu d’origine.
Il y a aussi beaucoup de changements dans le sens inverse, avec des personnes qui se sont rapidement enrichies sans bénéficier, quant à elles, de la culture de leur nouvelle classe sociale. La classification du niveau de vie entre classes pauvres, moyennes et riches, tiennent compte de leurs biens et de leurs revenus mais pas nécessairement du niveau de culture et des mœurs inhérents à leurs milieux respectifs.

Le montage est souvent cut. Comment avez-vous travaillé le rythme au moment du montage ?
C’est une erreur de croire que le rythme d’un film ne se travaille qu’au montage. Le rythme se construit dès le départ, à l’écriture, puis à la mise en scène et bien évidemment au montage. Ce que je voulais surtout, c’était montrer le rythme de la vie à Téhéran, et faire ressentir ainsi la pulsation de cette ville. Je pensais donc que pour traduire ce tempo très rapide, il fallait partir à la fois d’un découpage comportant beaucoup de plans et d’une caméra constamment mobile. Avec ces deux dispositifs réunis, on pouvait traduire le rythme de cette ville, la tension et la nervosité des personnages. Quand j’évoque le rythme, il ne s’agit pas de rapidité dans l’action. Certes, le rythme de la vie iranienne peut paraitre lent, mais ce qui rend la rend véloce chez nous, c’est la succession de petits moments de la vie quotidienne. Et c’est ce qui se passe dans le film. En fait, il y a énormément d’événements qui se succèdent les uns aux autres et qui chamboulent la vie des protagonistes.

Leila HatamiComment choisissez-vous et dirigez-vous vos acteurs ?
En général, je prends mon temps pour choisir mes comédiens, et ce film n’a pas fait exception à la règle. Mon choix se porte davantage sur les capacités de jeu d’un acteur que sur son apparence physique ou son visage. Par conséquent, je fais faire des essais à tous les candidats potentiels, afin de voir s’ils sont proches du personnage ou pas. J’essaie de ne pas gêner mes acteurs avec mes réflexions d’ensemble sur le film, ou avec la vision que j’en ai. Je trouve que les comédiens n’ont pas besoin de connaître le sens général du fi lm mais qu’ils doivent s’efforcer de se concentrer sur la personnalité et les motivations de leur personnage. Ma méthode, en réalité, consiste à m’adapter à chaque acteur, à sa manière d’être et à son propre fonctionnement. Mais ce qui ne varie pas, ce sont les répétitions auxquelles j’attache une grande importance. C’est à ce moment-là que les acteurs entrent dans la peau de leurs personnages. C’est une approche qui me vient sans doute de mon expérience du théâtre. Une fois sur le plateau, nous nous sommes tous mis d’accord sur le fait qu’à partir de là on ne ferait plus que d’infimes changements. Cela ne veut pas dire que je refuse les suggestions ou les avis des uns ou des autres mais nous avons convenu que ces discussions n’auraient lieu que pendant les répétitions.

Quel est votre prochain projet ? Continuerez-vous à tourner en Iran ?
Je suis justement en train de travailler sur mon prochain scénario, mais tant que je n’ai pas fi ni de l’écrire et que je n’en suis pas totalement satisfait, je ne pourrai vous dire précisément quel sera mon prochain fi lm.
Ce qui est certain, c’est qu’il ne sera pas fondamentalement différent de mes précédents. Cela étant dit, je ne veux pas dormir sur mes lauriers mais profiter du succès qu’ont eu mes précédents films. J’ai évidemment envie de prendre des risques. Je vais peut-être faire un film iranien mais qui sera tourné hors des frontières iraniennes.
(Extrait dossier de presse)

Autres films toujours à l'affiche :

"Un baiser papillon" de Karine Silla Pérez
"Le complexe du castor" de et avec Jodie Foster
"Le gamin au vélo" de Jean-Pierre et Luc Dardenne
"L’œil invisible" de Diego Lerman
"La ballade de l'impossible" de Tran Anh Hung
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