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Mercredi cinéma : "Renoir" de Gilles Bourdos avec Michel Bouquet, Christa Théret, Vincent Rottiers…

Publié le : 02-01-2013

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

RENOIR de Gilles BourdosZoom nouveauté : "Renoir" de Gilles Bourdos

L'histoire
1915. Sur la Côte d’Azur.
Au crépuscule de sa vie, Auguste Renoir est éprouvé par la perte de son épouse, les douleurs du grand âge, et les mauvaises nouvelles venues du front : son fils Jean est blessé…
Mais une jeune fille, Andrée, apparue dans sa vie comme un miracle, va insuffler au vieil homme une énergie qu’il n’attendait plus. Éclatante de vitalité, rayonnante de beauté, Andrée sera le dernier modèle du peintre, sa source de jouvence.
Lorsque Jean, revenu blessé de la guerre, vient passer sa convalescence dans la maison familiale, il découvre à son tour, fasciné, celle qui est devenue l’astre roux de la galaxie Renoir. Et dans cet éden Méditerranéen, Jean, malgré l’opposition ronchonne du vieux peintre, va aimer celle qui, animée par une volonté désordonnée, insaisissable, fera de lui, jeune officier velléitaire et bancal, un apprenti cinéaste…
Un film de Gilles Bourdos avec Michel Bouquet, Christa Théret, Vincent Rottiers, Thomas Doret, Anne-Lise Heimburger…

 

Bonus : propos de Gilles Bourdos, réalisateur du film

Pourquoi avez-vous décidé de vous pencher sur les dernières années de la vie d’Auguste Renoir ?
Ce qui m’intéressait, c’était le moment très précis où Andrée Heuschling est entrée dans la vie des Renoir. Source de vie du père qui meurt et du fils «pas encore né», Dédée a été le RENOIR de Gilles Bourdosmédium d’une étrange circulation de désirs, amoureux autant qu’artistiques. C’est donc par cette femme, la future Catherine Hessling, que m’est vraiment venu le désir de faire ce film. J’étais d’autant plus fasciné par ce personnage qu’il n’existe pas beaucoup de documents sur elle, alors qu’elle a eu un destin unique dans l’histoire de l’art, tour à tour modèle et actrice, à la jonction de la peinture et du cinéma. C’est vraiment par elle que j’ai pu trouver l’espace fictionnel du film.

Le contraste entre le poids de la vieillesse d’Auguste et la vitalité de sa peinture est saisissant.
Effectivement, quand on observe sa vie et son travail, vers 1915, on est frappé par ce paradoxe : alors qu’il souffre affreusement de sa polyarthrite, que sa femme est décédée, et que ses deux fils aînés sont au front et tous deux sérieusement blessés, sa peinture déborde de volupté, de désir et de joie. J’ai eu le sentiment, très fort, que sa peinture était un contrepoint à sa souffrance. En reconstituant ce petit éden pictural dans sa propriété des Collettes, il avait trouvé une réponse à un monde qui, tout autour, était en souffrance – un monde où résonnaient, à travers la guerre, la pulsion de mort et le spectre de la décomposition. C’est donc cette dialectique entre la présence de la souffrance physique et la nécessité de la beauté qui m’intéressait chez Auguste Renoir. À ce moment-là de sa vie, sa peinture se détache du quotidien : ne restent sur la toile que des corps féminins qui flottent dans une nature atemporelle. On a le sentiment qu’il cherche à entrer de plain-pied dans l’Arcadie de ses maîtres, dans l’éden, et cela de son vivant. Tout dans son quotidien aurait dû le conduire à peindre des motifs proches du «Cri» de Munch – et bien au contraire, alors que sa chair le fait souffrir terriblement, sa peinture est là pour célébrer la volupté d’une peau de jeune fille.

RENOIR de Gilles BourdosIl insiste aussi sur l’importance du travail manuel.
La famille d’Auguste vient de Limoges, et donc de la porcelaine : il a travaillé comme peintre sur assiette jusqu’à l’âge de 15 ans, au moment où la machine est arrivée et a supplanté l’homme. Il a toujours eu un rapport d’humilité avec le statut d’artiste, se considérant avant tout comme un «ouvrier de la peinture». Ce que j’aime chez Auguste Renoir, c’est son refus de toute mélo-dramatisation. Sa figure est donc en rupture avec une représentation assez courante de l’artiste au cinéma : le mythe de l’artiste maudit, à l’image de Van Gogh, Basquiat ou Munch.

Renoir a une théorie qu’il rappelle à son fils Jean : «il faut se laisser porter dans la vie tel le bouchon au fil de l’eau». En quoi les Renoir, père et fils, ont-ils suivi cet axiome ?

Cette théorie du bouchon est indispensable pour comprendre la posture des Renoir face à leurs arts respectifs. Ils ont tous les deux le sens du fluide. Jean est un cinéaste des eaux, et pas de la pierre ou de l’architecture : son génie, c’est sa capacité permanente à saisir la vie comme elle passe et à s’adapter à toutes les situations de mise en scène auxquelles il se retrouve confronté. Il a su insuffler cette fluidité dans ses films, même si cette attitude a pu entraîner, dans sa vie, des revirements hasardeux. Mais cette omniprésence du fluide est très récurrente chez les Renoir, dans l’acte de création et dans le mode de vie. C’est en cela qu’il y a eu transmission entre père et fils.

RENOIR de Gilles BourdosDès les premières images, Andrée impressionne par sa modernité.
Elle apporte la légèreté, la vitesse et le mouvement : c’est la volonté de modernité qui pousse la porte des Collettes. Elle vient pénétrer un lieu qui semble endormi et réveiller un vieux peintre endeuillé, pour ressusciter le désir chez lui. Il fallait que, d’emblée, on marque son insolence et sa liberté. Il y avait aussi mon envie de filmer le lustre de la jeunesse d’Andrée confrontée aux corps des hommes mutilés, dévorés de l’intérieur, ou en mutation comme celui de Coco, l’adolescent. Trois corps d’hommes à trois âges de la vie soumis au désir. Une quête de volupté à tout moment menacée par l’inquiétude, la maladie et la guerre.

Andrée est aussi la seule qui ose tenir tête au grand peintre…
Je voulais explorer par là les rapports de classe. Il y a dans le quotidien des Renoir une absence totale de prise de conscience de ces rapports-là. La présence des domestiques dans la famille, chez Jean et Auguste, est vécue comme naturelle. Je voulais réinsérer ce rapport de classe dans le film : c’est pour cela qu’Andrée réclame d’être payée pour sa peine ! D’où le fait qu’elle casse rageusement les assiettes – elle s’en prend ainsi au patrimoine – et c’est cette même fougue qu’on retrouvera dans son interprétation de "Nana".

C’est Andrée qui semble faire naître une vocation chez Jean.
Jean Renoir est un personnage extrêmement complexe, kaléidoscopique, et quasiment insaisissable. En 1915, Jean, 21 ans, est alors un jeune homme sans vocation, fasciné par la fraternité des soldats au front. J’ai pris le parti d’insister sur un aspect précis de sa personnalité : l’indécision. C’est ce qui m’intéressait chez ce jeune homme et c’est un trait de caractère qui a beaucoup compté dans sa vie par la suite. Son père est mort dans la conviction que son fils était un bon à rien, ce qui tranche avec l’idée commune de la vocation et du talent précoce.
Il faut dire que Jean aurait pu être écrasé par son père, mais aussi par son frère Pierre, déterminé à devenir comédien dès son plus jeune âge. Il fallait donc un élément extérieur pour faire basculer Jean l’indécis – et c’est Andrée qui joue ce rôle-là… Il la laisse décider pour lui, fidèle en cela à la théorie du père : se laisser porter dans la vie tel le bouchon au fil de l’eau. Plus tard, il en conviendra dans ses mémoires : «Je n’ai mis les pieds dans le cinéma que dans l’espoir de faire de ma femme une vedette

RENOIR de Gilles BourdosL’opposition entre les extérieurs lumineux et chatoyants et les intérieurs, très sombres, est frappante…
La nature, c’est le domaine de la peinture et de la volupté. Renoir ne peignait qu’à la lueur du jour. Dès que la lumière tombe, la douleur reprend ses droits.

L’eau est un élément-clé du film, et semble imprégner la narration, la lumière et les paysages.
En braconnant sur les terres des Renoir, je me suis imprégné d’une pensée de l’eau. Le père comme le fils ont toujours suivi le fil et les filles de l’eau. J’ai voulu un film fluide, au débit sinueux d’une rivière, où les séquences s’entrelacent d’une seule coulée en évitant une narration aux arêtes trop tranchantes, avec des charnières trop structurées.

En circonscrivant l’action au domaine des Collettes, vous créez un sentiment d’enfermement, malgré la beauté des paysages. Pourquoi ?
C’était le pari de tourner un huis clos à ciel ouvert. Au fur et à mesure des différentes versions du scénario, je suis allé vers de plus en plus d’épure et j’ai naturellement coupé tout ce qui relevait de la périphérie du domaine. Cela me permettait aussi, grâce à la simplicité des décors naturels et à la modernité d’Andrée, d’oublier le film en costumes. Certes, il y a l’histoire en marche qui gronde au loin, et quelques décors et accessoires campent l’époque, mais je voulais éviter la reconstitution historique qui ne m’intéresse pas follement. C’est ainsi que la guerre s’immisce dans l’éden de Renoir par petites touches menaçantes, sans qu’on ait besoin de la représenter.

Comment avez-vous pensé à Michel Bouquet ?
C’était l’évidence même. Parce que ce qui m’intéressait chez lui, outre l’immense comédien qu’il est, c’est le rapport du «vieux maître» aux jeunes acteurs. Il y avait donc des passerelles évidentes entre la réalité et la fiction. J’ai trouvé chez Michel la même émouvante obstination au travail que chez Renoir, le même courage face à l’adversité.

Comment Vincent Rottiers s’est-il imposé dans le rôle de Jean ?
J’avais décelé une présence vibrante dans ses rôles précédents. Malgré ses emplois de garçon des rues, j’ai eu l’intuition qu’il serait crédible en officier de la guerre de 1914, mais c’était un choix beaucoup plus sensoriel que rationnel. Je lui ai proposé de travailler sur l’indécision du personnage. Il y avait le risque que Vincent s’inspire des prestations de Jean Renoir dans ses propres films, autrement dit celles d’un grand bourgeois qui aimait camper des faubouriens à la limite de la caricature. Je lui ai demandé surtout de s’approprier la situation et de ne pas se laisser intimider par le génie de Jean Renoir.

RENOIR de Gilles BourdosEt Christa Théret dans le rôle de Dédée ?

Christa s’est totalement fondue dans le personnage : elle a cette vitalité, cette insolence, qu’il y avait chez Andrée Heuschling. Christa ne triche pas : elle a l’énergie d’une Catherine Hessling, avec un physique atemporel. Je voulais qu’elle ait des rondeurs et j’ai même dû batailler pour qu’elle prenne du poids, ce qui est assez inhabituel pour un réalisateur !

Vous ne vous êtes jamais méfié de la représentation de l’acte de peindre dans le film ?
La représentation de la peinture au cinéma était, pour moi, une vraie question. J’avais en tête deux grandes postures opposées : celle de Pialat qui refuse totalement de filmer le peintre au travail et celle de Minnelli qui cite frontalement les situations dépeintes dans les tableaux par la mise en scène. J’ai essayé de trouver une autre voie, consistant à ne pas m’interdire de filmer la pratique de la peinture, sans pour autant vouloir faire de citations picturales des œuvres de Renoir. Du coup, il n’y a pas de reconstitution de «tableau vivant». D’où aussi un décalage permanent entre les tableaux qu’Auguste peint devant la caméra et son modèle, comme pour souligner la part de réinterprétation de l’artiste par rapport au motif.

C’est là que vous avez fait appel à Guy Ribes, ce brillant faussaire ?
À partir du moment où je souhaitais intégrer dans le récit la pratique même de la peinture, et où je ne voulais pas recourir aux effets numériques, il me fallait trouver un peintre. La difficulté tenait au fait que la peinture de Renoir fonctionne par couches successives, extrêmement fluides et diluées à la térébenthine, si bien qu’avec un coup de pinceau un peu trop appuyé, on pouvait tomber complètement à côté de la touche de Renoir. Je cherchais donc un virtuose qui pouvait se fondre dans le corps de Renoir – dans sa main. C’est alors que j’ai rencontré Guy Ribes qui sortait de prison. Ce qui m’intéressait, c’est qu’il s’agit d’un faussaire, et non pas d’un copiste. Autrement dit, il peint des œuvres de grands peintres qui n’existent pas, en s’inspirant de leur style, mais il ne reproduit pas des originaux. En consultant son dossier judiciaire, qui réunissait tous les faux qu’il avait exécutés, je me suis rendu compte que c’était un vrai travail d’interprétation.

C’est donc sa main et son geste que vous avez filmés ?
Oui, et grâce à lui, toutes les scènes de pratique de la peinture ont pu se faire sur le plateau, en temps réel. C’est pour cela que tous ces plans sont contextualisés pour qu’on retrouve à l’écran le rapport entre la peinture et l’environnement immédiat du peintre. Il fallait que ses gestes coïncident avec le jeu des acteurs. Je captais donc d’abord la voix et l’esprit de Michel Bouquet, puis la main de Guy Ribes, tout en les «dirigeant» tous les deux. Et par moments, ses touches de peintre étaient dans la justesse, et parfois, elles ne l’étaient pas, exactement comme un acteur.
(extrait dossier de presse)

 

Autres films toujours à l'affiche :

"Un enfant de toi" de Jacques Doillon
"Main dans la main" de Valérie Donzelli
"Télé Gaucho" de Michel Leclerc
"Le noir (te) vous va si bien" de Jacques Bral
"Populaire" de Régis Roinsard
"Thérèse Desqueyrous" de Claude Miller
"Après mai" d'Olivier Assayas
"Stars 80" de Thomas Langmann
"Dans la maison" de François Ozon

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

RENOIR de Gilles BourdosZoom nouveauté : "Renoir" de Gilles Bourdos

L'histoire
1915. Sur la Côte d’Azur.
Au crépuscule de sa vie, Auguste Renoir est éprouvé par la perte de son épouse, les douleurs du grand âge, et les mauvaises nouvelles venues du front : son fils Jean est blessé…
Mais une jeune fille, Andrée, apparue dans sa vie comme un miracle, va insuffler au vieil homme une énergie qu’il n’attendait plus. Éclatante de vitalité, rayonnante de beauté, Andrée sera le dernier modèle du peintre, sa source de jouvence.
Lorsque Jean, revenu blessé de la guerre, vient passer sa convalescence dans la maison familiale, il découvre à son tour, fasciné, celle qui est devenue l’astre roux de la galaxie Renoir. Et dans cet éden Méditerranéen, Jean, malgré l’opposition ronchonne du vieux peintre, va aimer celle qui, animée par une volonté désordonnée, insaisissable, fera de lui, jeune officier velléitaire et bancal, un apprenti cinéaste…
Un film de Gilles Bourdos avec Michel Bouquet, Christa Théret, Vincent Rottiers, Thomas Doret, Anne-Lise Heimburger…

 

Bonus : propos de Gilles Bourdos, réalisateur du film

Pourquoi avez-vous décidé de vous pencher sur les dernières années de la vie d’Auguste Renoir ?
Ce qui m’intéressait, c’était le moment très précis où Andrée Heuschling est entrée dans la vie des Renoir. Source de vie du père qui meurt et du fils «pas encore né», Dédée a été le RENOIR de Gilles Bourdosmédium d’une étrange circulation de désirs, amoureux autant qu’artistiques. C’est donc par cette femme, la future Catherine Hessling, que m’est vraiment venu le désir de faire ce film. J’étais d’autant plus fasciné par ce personnage qu’il n’existe pas beaucoup de documents sur elle, alors qu’elle a eu un destin unique dans l’histoire de l’art, tour à tour modèle et actrice, à la jonction de la peinture et du cinéma. C’est vraiment par elle que j’ai pu trouver l’espace fictionnel du film.

Le contraste entre le poids de la vieillesse d’Auguste et la vitalité de sa peinture est saisissant.
Effectivement, quand on observe sa vie et son travail, vers 1915, on est frappé par ce paradoxe : alors qu’il souffre affreusement de sa polyarthrite, que sa femme est décédée, et que ses deux fils aînés sont au front et tous deux sérieusement blessés, sa peinture déborde de volupté, de désir et de joie. J’ai eu le sentiment, très fort, que sa peinture était un contrepoint à sa souffrance. En reconstituant ce petit éden pictural dans sa propriété des Collettes, il avait trouvé une réponse à un monde qui, tout autour, était en souffrance – un monde où résonnaient, à travers la guerre, la pulsion de mort et le spectre de la décomposition. C’est donc cette dialectique entre la présence de la souffrance physique et la nécessité de la beauté qui m’intéressait chez Auguste Renoir. À ce moment-là de sa vie, sa peinture se détache du quotidien : ne restent sur la toile que des corps féminins qui flottent dans une nature atemporelle. On a le sentiment qu’il cherche à entrer de plain-pied dans l’Arcadie de ses maîtres, dans l’éden, et cela de son vivant. Tout dans son quotidien aurait dû le conduire à peindre des motifs proches du «Cri» de Munch – et bien au contraire, alors que sa chair le fait souffrir terriblement, sa peinture est là pour célébrer la volupté d’une peau de jeune fille.

RENOIR de Gilles BourdosIl insiste aussi sur l’importance du travail manuel.
La famille d’Auguste vient de Limoges, et donc de la porcelaine : il a travaillé comme peintre sur assiette jusqu’à l’âge de 15 ans, au moment où la machine est arrivée et a supplanté l’homme. Il a toujours eu un rapport d’humilité avec le statut d’artiste, se considérant avant tout comme un «ouvrier de la peinture». Ce que j’aime chez Auguste Renoir, c’est son refus de toute mélo-dramatisation. Sa figure est donc en rupture avec une représentation assez courante de l’artiste au cinéma : le mythe de l’artiste maudit, à l’image de Van Gogh, Basquiat ou Munch.

Renoir a une théorie qu’il rappelle à son fils Jean : «il faut se laisser porter dans la vie tel le bouchon au fil de l’eau». En quoi les Renoir, père et fils, ont-ils suivi cet axiome ?

Cette théorie du bouchon est indispensable pour comprendre la posture des Renoir face à leurs arts respectifs. Ils ont tous les deux le sens du fluide. Jean est un cinéaste des eaux, et pas de la pierre ou de l’architecture : son génie, c’est sa capacité permanente à saisir la vie comme elle passe et à s’adapter à toutes les situations de mise en scène auxquelles il se retrouve confronté. Il a su insuffler cette fluidité dans ses films, même si cette attitude a pu entraîner, dans sa vie, des revirements hasardeux. Mais cette omniprésence du fluide est très récurrente chez les Renoir, dans l’acte de création et dans le mode de vie. C’est en cela qu’il y a eu transmission entre père et fils.

RENOIR de Gilles BourdosDès les premières images, Andrée impressionne par sa modernité.
Elle apporte la légèreté, la vitesse et le mouvement : c’est la volonté de modernité qui pousse la porte des Collettes. Elle vient pénétrer un lieu qui semble endormi et réveiller un vieux peintre endeuillé, pour ressusciter le désir chez lui. Il fallait que, d’emblée, on marque son insolence et sa liberté. Il y avait aussi mon envie de filmer le lustre de la jeunesse d’Andrée confrontée aux corps des hommes mutilés, dévorés de l’intérieur, ou en mutation comme celui de Coco, l’adolescent. Trois corps d’hommes à trois âges de la vie soumis au désir. Une quête de volupté à tout moment menacée par l’inquiétude, la maladie et la guerre.

Andrée est aussi la seule qui ose tenir tête au grand peintre…
Je voulais explorer par là les rapports de classe. Il y a dans le quotidien des Renoir une absence totale de prise de conscience de ces rapports-là. La présence des domestiques dans la famille, chez Jean et Auguste, est vécue comme naturelle. Je voulais réinsérer ce rapport de classe dans le film : c’est pour cela qu’Andrée réclame d’être payée pour sa peine ! D’où le fait qu’elle casse rageusement les assiettes – elle s’en prend ainsi au patrimoine – et c’est cette même fougue qu’on retrouvera dans son interprétation de "Nana".

C’est Andrée qui semble faire naître une vocation chez Jean.
Jean Renoir est un personnage extrêmement complexe, kaléidoscopique, et quasiment insaisissable. En 1915, Jean, 21 ans, est alors un jeune homme sans vocation, fasciné par la fraternité des soldats au front. J’ai pris le parti d’insister sur un aspect précis de sa personnalité : l’indécision. C’est ce qui m’intéressait chez ce jeune homme et c’est un trait de caractère qui a beaucoup compté dans sa vie par la suite. Son père est mort dans la conviction que son fils était un bon à rien, ce qui tranche avec l’idée commune de la vocation et du talent précoce.
Il faut dire que Jean aurait pu être écrasé par son père, mais aussi par son frère Pierre, déterminé à devenir comédien dès son plus jeune âge. Il fallait donc un élément extérieur pour faire basculer Jean l’indécis – et c’est Andrée qui joue ce rôle-là… Il la laisse décider pour lui, fidèle en cela à la théorie du père : se laisser porter dans la vie tel le bouchon au fil de l’eau. Plus tard, il en conviendra dans ses mémoires : «Je n’ai mis les pieds dans le cinéma que dans l’espoir de faire de ma femme une vedette

RENOIR de Gilles BourdosL’opposition entre les extérieurs lumineux et chatoyants et les intérieurs, très sombres, est frappante…
La nature, c’est le domaine de la peinture et de la volupté. Renoir ne peignait qu’à la lueur du jour. Dès que la lumière tombe, la douleur reprend ses droits.

L’eau est un élément-clé du film, et semble imprégner la narration, la lumière et les paysages.
En braconnant sur les terres des Renoir, je me suis imprégné d’une pensée de l’eau. Le père comme le fils ont toujours suivi le fil et les filles de l’eau. J’ai voulu un film fluide, au débit sinueux d’une rivière, où les séquences s’entrelacent d’une seule coulée en évitant une narration aux arêtes trop tranchantes, avec des charnières trop structurées.

En circonscrivant l’action au domaine des Collettes, vous créez un sentiment d’enfermement, malgré la beauté des paysages. Pourquoi ?
C’était le pari de tourner un huis clos à ciel ouvert. Au fur et à mesure des différentes versions du scénario, je suis allé vers de plus en plus d’épure et j’ai naturellement coupé tout ce qui relevait de la périphérie du domaine. Cela me permettait aussi, grâce à la simplicité des décors naturels et à la modernité d’Andrée, d’oublier le film en costumes. Certes, il y a l’histoire en marche qui gronde au loin, et quelques décors et accessoires campent l’époque, mais je voulais éviter la reconstitution historique qui ne m’intéresse pas follement. C’est ainsi que la guerre s’immisce dans l’éden de Renoir par petites touches menaçantes, sans qu’on ait besoin de la représenter.

Comment avez-vous pensé à Michel Bouquet ?
C’était l’évidence même. Parce que ce qui m’intéressait chez lui, outre l’immense comédien qu’il est, c’est le rapport du «vieux maître» aux jeunes acteurs. Il y avait donc des passerelles évidentes entre la réalité et la fiction. J’ai trouvé chez Michel la même émouvante obstination au travail que chez Renoir, le même courage face à l’adversité.

Comment Vincent Rottiers s’est-il imposé dans le rôle de Jean ?
J’avais décelé une présence vibrante dans ses rôles précédents. Malgré ses emplois de garçon des rues, j’ai eu l’intuition qu’il serait crédible en officier de la guerre de 1914, mais c’était un choix beaucoup plus sensoriel que rationnel. Je lui ai proposé de travailler sur l’indécision du personnage. Il y avait le risque que Vincent s’inspire des prestations de Jean Renoir dans ses propres films, autrement dit celles d’un grand bourgeois qui aimait camper des faubouriens à la limite de la caricature. Je lui ai demandé surtout de s’approprier la situation et de ne pas se laisser intimider par le génie de Jean Renoir.

RENOIR de Gilles BourdosEt Christa Théret dans le rôle de Dédée ?

Christa s’est totalement fondue dans le personnage : elle a cette vitalité, cette insolence, qu’il y avait chez Andrée Heuschling. Christa ne triche pas : elle a l’énergie d’une Catherine Hessling, avec un physique atemporel. Je voulais qu’elle ait des rondeurs et j’ai même dû batailler pour qu’elle prenne du poids, ce qui est assez inhabituel pour un réalisateur !

Vous ne vous êtes jamais méfié de la représentation de l’acte de peindre dans le film ?
La représentation de la peinture au cinéma était, pour moi, une vraie question. J’avais en tête deux grandes postures opposées : celle de Pialat qui refuse totalement de filmer le peintre au travail et celle de Minnelli qui cite frontalement les situations dépeintes dans les tableaux par la mise en scène. J’ai essayé de trouver une autre voie, consistant à ne pas m’interdire de filmer la pratique de la peinture, sans pour autant vouloir faire de citations picturales des œuvres de Renoir. Du coup, il n’y a pas de reconstitution de «tableau vivant». D’où aussi un décalage permanent entre les tableaux qu’Auguste peint devant la caméra et son modèle, comme pour souligner la part de réinterprétation de l’artiste par rapport au motif.

C’est là que vous avez fait appel à Guy Ribes, ce brillant faussaire ?
À partir du moment où je souhaitais intégrer dans le récit la pratique même de la peinture, et où je ne voulais pas recourir aux effets numériques, il me fallait trouver un peintre. La difficulté tenait au fait que la peinture de Renoir fonctionne par couches successives, extrêmement fluides et diluées à la térébenthine, si bien qu’avec un coup de pinceau un peu trop appuyé, on pouvait tomber complètement à côté de la touche de Renoir. Je cherchais donc un virtuose qui pouvait se fondre dans le corps de Renoir – dans sa main. C’est alors que j’ai rencontré Guy Ribes qui sortait de prison. Ce qui m’intéressait, c’est qu’il s’agit d’un faussaire, et non pas d’un copiste. Autrement dit, il peint des œuvres de grands peintres qui n’existent pas, en s’inspirant de leur style, mais il ne reproduit pas des originaux. En consultant son dossier judiciaire, qui réunissait tous les faux qu’il avait exécutés, je me suis rendu compte que c’était un vrai travail d’interprétation.

C’est donc sa main et son geste que vous avez filmés ?
Oui, et grâce à lui, toutes les scènes de pratique de la peinture ont pu se faire sur le plateau, en temps réel. C’est pour cela que tous ces plans sont contextualisés pour qu’on retrouve à l’écran le rapport entre la peinture et l’environnement immédiat du peintre. Il fallait que ses gestes coïncident avec le jeu des acteurs. Je captais donc d’abord la voix et l’esprit de Michel Bouquet, puis la main de Guy Ribes, tout en les «dirigeant» tous les deux. Et par moments, ses touches de peintre étaient dans la justesse, et parfois, elles ne l’étaient pas, exactement comme un acteur.
(extrait dossier de presse)

 

Autres films toujours à l'affiche :

"Un enfant de toi" de Jacques Doillon
"Main dans la main" de Valérie Donzelli
"Télé Gaucho" de Michel Leclerc
"Le noir (te) vous va si bien" de Jacques Bral
"Populaire" de Régis Roinsard
"Thérèse Desqueyrous" de Claude Miller
"Après mai" d'Olivier Assayas
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