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Mercredi cinéma : "Les apaches" de Thierry de Peretti

Publié le : 14-08-2013

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

LES APACHES de Thierry de PerettiZoom nouveauté : "Les apaches" de Thierry de Peretti

L'histoire
Corse / Extrême Sud / Eté.
Pendant que des milliers de touristes envahissent les plages, les campings et les clubs, cinq adolescents de Porto-Vecchio trainent.  Un soir, l’un d’eux conduit les quatre autres dans une luxueuse  villa inoccupée... La bande y passe clandestinement la nuit. Avant de partir, ils volent quelques objets sans valeur et deux fusils de collection. Quand la propriétaire de la maison débarque de Paris, elle se plaint du cambriolage à un petit caïd local de sa connaissance…
Un film de Thierry de Peretti avec François-Joseph Culioli, Aziz El Haddachi, Hamza Meziani, Joseph Ebrard, Maryne Cayon

 

Bonus : propos de Thierry de Peretti, réalisateur du film.

Quel est le point de départ "des apaches" ?
Je voulais réaliser un film en Corse, pas uniquement parce que je viens de là et que c’est un des endroits que je connais le mieux, mais parce que, bizarrement, c’est un territoire qui n’est pratiquement pas filmé, peu visité par le cinéma et par les autres arts, même si ça commence à changer un peu. Or, pour moi, c’est un terrain de jeu absolument passionnant, une terre pour les récits de cinéma, indéniablement. D’un point de vue plastique, et aussi d’un point de vue politique. Je pense que l’île est un des endroits aujourd’hui où on peut sentir le mieux ce début de 21ème siècle.
L’histoire des « Apaches » m’est venue quand j’ai pris connaissance de ce fait divers traumatique. Trois jeunes sans histoire en ont tué un autre et l’ont enterré dans la forêt. Quatre jeunes gens issus de la cité balnéaire de Porto Vecchio et de ses faubourgs, dont deux originaires de Corse, et deux autres Corses d’origine marocaine. Il fallait me confronter d’abord à des questions qui sont centrales aujourd’hui en Corse : la question du rapport à la violence, la question du meurtre.  Et par extension celle de l’héritage. De quoi hérite-t-on quand on naît dans tel ou tel endroit, avec telle ou telle histoire ?

LES APACHES de Thierry de PerettiPourquoi ce fait divers-là ?
Parce qu’il portait en lui beaucoup des contradictions qui sont propres à l’île et qu’il posait la question de ce qu’est vivre là-bas aujourd’hui. Ce n’est en tout cas pas vivre dans la Corse décrite dans les nouvelles de Mérimée ou de Maupassant, où il est question de vengeance atavique et d’honneur, une Corse qui n’a de toute façon jamais existé. Mais vivre là-bas en 2013 laisse t-il entrevoir ce que l’île sera dans dix ou vingt ans ? Tout bouge si vite, alors je ne sais pas. Je voulais enregistrer un peu de ces mutations-là, imaginer qu’on puisse revoir le film dans quelques années et se dire « c’est incroyable, c’était vraiment comme ça ? ».

Où précisément se déroule l’histoire des "Apaches" ?
Dans la petite ville de Porto Vecchio, qui est, comme tout l’Extrême Sud de la Corse, en proie à la spéculation immobilière. Ça ne cesse de construire et de se développer. Ce n’est pas Shanghai hein, mais à l’échelle d’une île comme la Corse, c’est spectaculaire. Pourtant, c’est aussi un territoire où la pastoralité n’a pas encore complètement cédé la place. Il existe une tension entre un certain « archaïsme » hérité du siècle dernier et, pour le dire vite, le « contemporain ». Une commune comme celle de Porto Vecchio peut être considérée à la fois comme un très gros village, mais aussi comme une banlieue un peu hybride et anarchique où les zones d’activités ne cessent de s’étendre de façon ultra dynamique, avec des petits quartiers populaires et une constellation de communes très rurales qui viennent s’agréger et se fondre pour perdre peu à peu leur statut de village.
Et aussi, Porto-Vecchio, qui à première vue ressemble à un golfe paradisiaque, est en réalité bordé de zones marécageuses. C’était jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale ravagé par le paludisme, presque inhabitable. Aujourd’hui, c’est assaini, c’est devenu un endroit de rêve, une enfilade de plages paradisiaque, mais sous la plage, il y a toujours les marais putrides qui affleurent. C’est-à-dire que les plages idylliques sont en réalité des fausses plages ! J’aime beaucoup cette idée. C’est très romanesque et aussi un peu inquiétant.

C’est une nouvelle Corse, une autre Corse que l’on voit dans le film ?
C’est le cinéaste algérien Tariq Tequia qui utilise cette expression quand il parle de son film « Rome plutôt que vous ». Il dit que son projet était de filmer Alger « de dos ». C’est aussi ce que j’ai voulu faire : filmer la Corse « de dos ». C’est vrai que la Corse est souvent vue ou représentée, au mieux, comme une gigantesque plage de carte postale avec une nature exceptionnelle préservée, « authentique », etc.… J’imagine que pour toutes les îles, c’est un peu ça. Comme si on ne voulait pas voir que des gens y vivent, ni ce qu’ils y vivent. L’idée était donc de tenter de me situer pour filmer derrière ou à côté de toutes ces représentations communes.

Dans une séquence, l’un des personnages, un jeune corse, dit en regardant le tourisme de masse autour de lui : « moche, moche, moche »...
Porto Vecchio est une cité balnéaire. L’hiver, c’est complètement désert, et l’été, c’est tout à coup 150000 personnes qui débarquent. Donc instantanément, les jeunes qui y habitent, comme les personnages de mon film, se sentent légitimement dépossédés de là où ils vivent. Et bien sûr, ils portent un regard plutôt acéré et cruel là-dessus. Pour eux, les touristes sont des envahisseurs.
Le tourisme de masse ne produit rien, que de la violence, de l’envie, de la frustration. Il amène de la richesse, mais pour quelques-uns seulement. Ça n’en vaut pas la peine si l’on considère la détérioration provoquée, la violence générée par la spéculation immobilière. C’est une des grandes illusions en LES APACHES de Thierry de PerettiCorse, que la richesse et que l’abondance proviendraient du tourisme.  Au 16ème siècle, la Corse était régulièrement envahie par les pirates turcs. C’est pour ça qu’il y a autant de villages perchés sur l’île, parce que les envahisseurs pillaient et massacraient tout ce qu’ils trouvaient sur le littoral et que les gens trouvaient refuge dans les montagnes. Le tourisme de masse, c’est un peu ça. Les habitants n’ont plus vraiment les moyens de se loger là où ils travaillent. Ils repartent habiter dans les villages sur les hauteurs. Et pour les plus chanceux, ils louent tout ce qui peut être loué, une chambre ici, un garage là.

Il y a donc les lieux, mais aussi les différentes populations qui les peuplent.

Je voulais aussi filmer des jeunes gens issus de la communauté marocaine. C’était un des enjeux de ce projet. Même si le sujet du film ne se situe pas là, deux des personnages en font quand même partie. Ils sont aussi irréductiblement insulaires que les deux autres. Avant même d’être français peut-être. La communauté marocaine est une de celles qui a le plus souffert en Corse, tant en raison des conditions de travail que les hommes trouvaient en débarquant sur l’île de la fin des années 60 au milieu des années 70, que par le sentiment de rejet dont elle a fait l’objet. Mais les Marocains ont contribué à construire la Corse telle qu’elle est aujourd’hui. Ils appartiennent légitimement à cette île et cette île leur appartient. Comme à tous ceux qui y vivent et y travaillent. Sa jeunesse est pour moi certainement un espoir.

Comment avez-vous déterminé le choix des jeunes acteurs ?
Je faisais un aller-retour permanent entre ce que j’écrivais avec Benjamin Baroche, mon co-scénariste, et les jeunes gens que je rencontrais pour le casting. Dès que j’ai su que je voulais raconter cette histoire, j’ai passé du temps sur les lieux du drame, même si je connaissais bien les endroits. Je voulais qu’on s’empare à plusieurs de cette histoire-là. C’est pour ça que le casting, ou en tous cas les rencontres avec les jeunes gens, a commencé très tôt, et qu’il s’est déroulé sur presque 2 ans. Comme une sorte de grand workshop. Les jeunes acteurs que je rencontrais, et surtout ceux que j’ai fini par choisir, savaient très bien ce qui s’était passé. Mais  nous n’en parlions pas, ou rarement, ce n’était pas la peine. Il n’était pas question de rejouer ou de reconstituer quoi que ce soit de toute façon, mais de tenter d’ajuster ensemble par le travail notre conscience de ce qui s’était joué, au sens le plus large et spirituel du terme presque. Le plus important, c’était de trouver des acteurs capables de cette conscience, de cette gravité-là, et aussi d’incarner avec le plus de liberté possible.

Vos jeunes comédiens ont-ils tous pris la mesure de l’histoire qu’ils allaient incarner ?
Oui bien sûr, mais avec une acuité différente, suivant qui ils étaient. Aziz, qui joue le jeune homme qui va se faire tuer, vit dans le quartier de la vraie victime de ce fait divers. Il a une conscience sur-aigüe du monde dans lequel il vit. Il comprenait très bien pourquoi on ne pouvait pas tourner ailleurs, même si ça pouvait être douloureux. C’était vraiment un des enjeux du  film : la mémoire. On essayait donc ensemble de transcender ce drame par le cinéma.

Parlez-nous des quatre jeunes protagonistes de votre histoire.
Il y a François-Joseph, que j’ai choisi immédiatement pour des raisons de cinéma. Il était incroyable à l’image. Il dégageait une sensualité instantanée. Il ressemble à l’Accatone de Pasolini. Au casting, il était très ouvert et très libre pour parler aussi bien de sa vie sentimentale que de ses attaches très profondes avec la Corse. Il était désinhibé, généreux et sans pathos.  Il y a Joseph, repéré un soir dans une rue à Porto Vecchio. Il a un charme inouï et surtout énormément d’humour, de fantaisie, d’intelligence. C’est le plus jeune. Il est très costaud, enfantin et adulte en même temps. C’est vraiment un jeune d’aujourd’hui ancré dans son époque. Enfin, il y avait aussi son rapport au corps, sa façon de bouger, presque comme un danseur, qui est complètement animale et qui m’a plu. Aziz est l’un des premiers que j’ai rencontré. Au départ, le personnage était beaucoup plus jeune et fluet, mais LES APACHES de Thierry de PerettiAziz s’est imposé pour son intensité à l’image. Il nous faisait penser à Mark Wahlberg dans "The Yards" de James Gray. Il a une présence massive, un charisme. Et aussi, ce qui était très important, c’est qu’on pouvait le confondre par moments avec François-Joseph. Ils avaient un cousinage physique évident. Enfin, il y a Hamza. Il était très doué et véloce, à l’aise en improvisation, tout de suite doux et charmant, pour un personnage qui allait également devoir exprimer un terrible niveau de noirceur à un moment donné du film. Il y avait une tension chez lui qui pouvait rendre crédible qu’il puisse tuer tout en étant un jeune homme auquel on ne peut pas prêter de telles intentions.

Comment avez-vous réfléchi à la scène clé du meurtre ?
C’était compliqué. On a pas mal tourné autour du sujet. C’est une mise à mort. Il a toujours été clair qu’il fallait filmer ce meurtre et l’incarner. Tous les gens de mon âge qui ont grandi en Corse ont assisté à un nombre extrême d’actes violents de cette nature, ils la comprennent de façon intime. On a souvent, entre amis venant du même endroit, cette discussion macabre et un peu désespérante sur le nombre d’exécutions, de cadavres qu’on a pu voir depuis l’enfance, de gens qu’on a connus qui se sont fait tuer… Donc cette question de la représentation du meurtre comme trauma collectif, qui contamine les esprits, la vie, était centrale. Dans le cas présent, ce meurtre, cette imitation d’exécution, ce n’est pas un meurtre de droit commun, mais l’expression d’une pulsion, de quelque chose de très profond, qui échappe presque.

C’est une pulsion organisée car ce meurtre est prémédité. c’est paradoxal, non ?
C’était l’un des problèmes. Il y avait le fait divers réel, point de départ du film. Mais il restait quand même pour nous la question de ce que l’on donne à voir sans être juge de cette histoire, c’est-à-dire comment ce meurtre a pu se passer physiquement. Cet acte est à la fois complètement prémédité, puisqu’il y a un fusil chargé dans une voiture et une future victime qu’on cherche puis qu’on amène loin comme le feraient des tueurs chevronnés et, en même temps… ça nous échappe.

Qu’est-ce qui échappe exactement ?
L’acte en lui-même. Ce meurtre semble inimaginable. Il est, comme je l’ai toujours pensé, à la fois très rapide et très lent, anti spectaculaire. Il semble durer une éternité et pourtant tout va très vite. Il y a une vraie étrangeté. Quelque chose d’halluciné, mais il s’est réellement passé. Pour mes personnages, il est plus facile de tuer l’un d’entre eux que d’assumer un petit larcin. Comme si on était dans un endroit où l’impunité était telle qu’ils se disent : « on peut le faire ».

Quels ont été vos principes de réalisation ?
Nous avons élaboré avec Hélène Louvart, la directrice de la photo du film, des principes à la fois simples, presque rudimentaires, mais le plus affirmés possibles : très peu de lumière artificielle, peu de focales différentes, et le plus possible de plans-séquences. On voulait aussi pouvoir tourner très vite, dès qu’on le voulait, dès que quelque chose commençait à naître avec les acteurs. Bien sûr, cela n’est pas sans créer une certaine tension, mais cela implique une concentration extrême pour tout le monde. Et c’était bien pour le film. J’avais envie de ressentir la durée, que le film soit le plus physique possible et qu’on ait une impression de « pur présent ». Physique, mais surtout pas nerveux. Je voulais qu’à tout moment quelque chose d’inattendu puisse arriver, mais aussi que le spectateur puisse voir comment les acteurs bougent, se regardent, comment les choses circulent entre eux. C’était important que la mise en scène soit suffisamment précise et presque un peu artificielle, pour qu’elle entre en tension avec la liberté et un certain degré de réalisme dans le jeu.

D’où vient le titre "Les Apaches" ?
C’est un titre qui convoque tout de suite la notion de territoire. On pense forcément aux westerns, et en même temps c’est un peu burlesque. Ca fait aussi référence à la façon dont le préfet de police appelait autrefois les hors-la-loi de Paris à Belleville, les mauvais garçons.

En le regardant aujourd’hui, qu’est-ce ce film vous a appris ?
Aujourd’hui, je suis surpris de voir que le film est plus noir que ce que j’avais imaginé. J’ai appris aussi combien le hors-champ était puissant au cinéma et à quel point ce qui manque compte et demeure.

Votre prochain film ?
Les personnages principaux seront des femmes !
(extrait dossier de presse)

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

LES APACHES de Thierry de PerettiZoom nouveauté : "Les apaches" de Thierry de Peretti

L'histoire
Corse / Extrême Sud / Eté.
Pendant que des milliers de touristes envahissent les plages, les campings et les clubs, cinq adolescents de Porto-Vecchio trainent.  Un soir, l’un d’eux conduit les quatre autres dans une luxueuse  villa inoccupée... La bande y passe clandestinement la nuit. Avant de partir, ils volent quelques objets sans valeur et deux fusils de collection. Quand la propriétaire de la maison débarque de Paris, elle se plaint du cambriolage à un petit caïd local de sa connaissance…
Un film de Thierry de Peretti avec François-Joseph Culioli, Aziz El Haddachi, Hamza Meziani, Joseph Ebrard, Maryne Cayon

 

Bonus : propos de Thierry de Peretti, réalisateur du film.

Quel est le point de départ "des apaches" ?
Je voulais réaliser un film en Corse, pas uniquement parce que je viens de là et que c’est un des endroits que je connais le mieux, mais parce que, bizarrement, c’est un territoire qui n’est pratiquement pas filmé, peu visité par le cinéma et par les autres arts, même si ça commence à changer un peu. Or, pour moi, c’est un terrain de jeu absolument passionnant, une terre pour les récits de cinéma, indéniablement. D’un point de vue plastique, et aussi d’un point de vue politique. Je pense que l’île est un des endroits aujourd’hui où on peut sentir le mieux ce début de 21ème siècle.
L’histoire des « Apaches » m’est venue quand j’ai pris connaissance de ce fait divers traumatique. Trois jeunes sans histoire en ont tué un autre et l’ont enterré dans la forêt. Quatre jeunes gens issus de la cité balnéaire de Porto Vecchio et de ses faubourgs, dont deux originaires de Corse, et deux autres Corses d’origine marocaine. Il fallait me confronter d’abord à des questions qui sont centrales aujourd’hui en Corse : la question du rapport à la violence, la question du meurtre.  Et par extension celle de l’héritage. De quoi hérite-t-on quand on naît dans tel ou tel endroit, avec telle ou telle histoire ?

LES APACHES de Thierry de PerettiPourquoi ce fait divers-là ?
Parce qu’il portait en lui beaucoup des contradictions qui sont propres à l’île et qu’il posait la question de ce qu’est vivre là-bas aujourd’hui. Ce n’est en tout cas pas vivre dans la Corse décrite dans les nouvelles de Mérimée ou de Maupassant, où il est question de vengeance atavique et d’honneur, une Corse qui n’a de toute façon jamais existé. Mais vivre là-bas en 2013 laisse t-il entrevoir ce que l’île sera dans dix ou vingt ans ? Tout bouge si vite, alors je ne sais pas. Je voulais enregistrer un peu de ces mutations-là, imaginer qu’on puisse revoir le film dans quelques années et se dire « c’est incroyable, c’était vraiment comme ça ? ».

Où précisément se déroule l’histoire des "Apaches" ?
Dans la petite ville de Porto Vecchio, qui est, comme tout l’Extrême Sud de la Corse, en proie à la spéculation immobilière. Ça ne cesse de construire et de se développer. Ce n’est pas Shanghai hein, mais à l’échelle d’une île comme la Corse, c’est spectaculaire. Pourtant, c’est aussi un territoire où la pastoralité n’a pas encore complètement cédé la place. Il existe une tension entre un certain « archaïsme » hérité du siècle dernier et, pour le dire vite, le « contemporain ». Une commune comme celle de Porto Vecchio peut être considérée à la fois comme un très gros village, mais aussi comme une banlieue un peu hybride et anarchique où les zones d’activités ne cessent de s’étendre de façon ultra dynamique, avec des petits quartiers populaires et une constellation de communes très rurales qui viennent s’agréger et se fondre pour perdre peu à peu leur statut de village.
Et aussi, Porto-Vecchio, qui à première vue ressemble à un golfe paradisiaque, est en réalité bordé de zones marécageuses. C’était jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale ravagé par le paludisme, presque inhabitable. Aujourd’hui, c’est assaini, c’est devenu un endroit de rêve, une enfilade de plages paradisiaque, mais sous la plage, il y a toujours les marais putrides qui affleurent. C’est-à-dire que les plages idylliques sont en réalité des fausses plages ! J’aime beaucoup cette idée. C’est très romanesque et aussi un peu inquiétant.

C’est une nouvelle Corse, une autre Corse que l’on voit dans le film ?
C’est le cinéaste algérien Tariq Tequia qui utilise cette expression quand il parle de son film « Rome plutôt que vous ». Il dit que son projet était de filmer Alger « de dos ». C’est aussi ce que j’ai voulu faire : filmer la Corse « de dos ». C’est vrai que la Corse est souvent vue ou représentée, au mieux, comme une gigantesque plage de carte postale avec une nature exceptionnelle préservée, « authentique », etc.… J’imagine que pour toutes les îles, c’est un peu ça. Comme si on ne voulait pas voir que des gens y vivent, ni ce qu’ils y vivent. L’idée était donc de tenter de me situer pour filmer derrière ou à côté de toutes ces représentations communes.

Dans une séquence, l’un des personnages, un jeune corse, dit en regardant le tourisme de masse autour de lui : « moche, moche, moche »...
Porto Vecchio est une cité balnéaire. L’hiver, c’est complètement désert, et l’été, c’est tout à coup 150000 personnes qui débarquent. Donc instantanément, les jeunes qui y habitent, comme les personnages de mon film, se sentent légitimement dépossédés de là où ils vivent. Et bien sûr, ils portent un regard plutôt acéré et cruel là-dessus. Pour eux, les touristes sont des envahisseurs.
Le tourisme de masse ne produit rien, que de la violence, de l’envie, de la frustration. Il amène de la richesse, mais pour quelques-uns seulement. Ça n’en vaut pas la peine si l’on considère la détérioration provoquée, la violence générée par la spéculation immobilière. C’est une des grandes illusions en LES APACHES de Thierry de PerettiCorse, que la richesse et que l’abondance proviendraient du tourisme.  Au 16ème siècle, la Corse était régulièrement envahie par les pirates turcs. C’est pour ça qu’il y a autant de villages perchés sur l’île, parce que les envahisseurs pillaient et massacraient tout ce qu’ils trouvaient sur le littoral et que les gens trouvaient refuge dans les montagnes. Le tourisme de masse, c’est un peu ça. Les habitants n’ont plus vraiment les moyens de se loger là où ils travaillent. Ils repartent habiter dans les villages sur les hauteurs. Et pour les plus chanceux, ils louent tout ce qui peut être loué, une chambre ici, un garage là.

Il y a donc les lieux, mais aussi les différentes populations qui les peuplent.

Je voulais aussi filmer des jeunes gens issus de la communauté marocaine. C’était un des enjeux de ce projet. Même si le sujet du film ne se situe pas là, deux des personnages en font quand même partie. Ils sont aussi irréductiblement insulaires que les deux autres. Avant même d’être français peut-être. La communauté marocaine est une de celles qui a le plus souffert en Corse, tant en raison des conditions de travail que les hommes trouvaient en débarquant sur l’île de la fin des années 60 au milieu des années 70, que par le sentiment de rejet dont elle a fait l’objet. Mais les Marocains ont contribué à construire la Corse telle qu’elle est aujourd’hui. Ils appartiennent légitimement à cette île et cette île leur appartient. Comme à tous ceux qui y vivent et y travaillent. Sa jeunesse est pour moi certainement un espoir.

Comment avez-vous déterminé le choix des jeunes acteurs ?
Je faisais un aller-retour permanent entre ce que j’écrivais avec Benjamin Baroche, mon co-scénariste, et les jeunes gens que je rencontrais pour le casting. Dès que j’ai su que je voulais raconter cette histoire, j’ai passé du temps sur les lieux du drame, même si je connaissais bien les endroits. Je voulais qu’on s’empare à plusieurs de cette histoire-là. C’est pour ça que le casting, ou en tous cas les rencontres avec les jeunes gens, a commencé très tôt, et qu’il s’est déroulé sur presque 2 ans. Comme une sorte de grand workshop. Les jeunes acteurs que je rencontrais, et surtout ceux que j’ai fini par choisir, savaient très bien ce qui s’était passé. Mais  nous n’en parlions pas, ou rarement, ce n’était pas la peine. Il n’était pas question de rejouer ou de reconstituer quoi que ce soit de toute façon, mais de tenter d’ajuster ensemble par le travail notre conscience de ce qui s’était joué, au sens le plus large et spirituel du terme presque. Le plus important, c’était de trouver des acteurs capables de cette conscience, de cette gravité-là, et aussi d’incarner avec le plus de liberté possible.

Vos jeunes comédiens ont-ils tous pris la mesure de l’histoire qu’ils allaient incarner ?
Oui bien sûr, mais avec une acuité différente, suivant qui ils étaient. Aziz, qui joue le jeune homme qui va se faire tuer, vit dans le quartier de la vraie victime de ce fait divers. Il a une conscience sur-aigüe du monde dans lequel il vit. Il comprenait très bien pourquoi on ne pouvait pas tourner ailleurs, même si ça pouvait être douloureux. C’était vraiment un des enjeux du  film : la mémoire. On essayait donc ensemble de transcender ce drame par le cinéma.

Parlez-nous des quatre jeunes protagonistes de votre histoire.
Il y a François-Joseph, que j’ai choisi immédiatement pour des raisons de cinéma. Il était incroyable à l’image. Il dégageait une sensualité instantanée. Il ressemble à l’Accatone de Pasolini. Au casting, il était très ouvert et très libre pour parler aussi bien de sa vie sentimentale que de ses attaches très profondes avec la Corse. Il était désinhibé, généreux et sans pathos.  Il y a Joseph, repéré un soir dans une rue à Porto Vecchio. Il a un charme inouï et surtout énormément d’humour, de fantaisie, d’intelligence. C’est le plus jeune. Il est très costaud, enfantin et adulte en même temps. C’est vraiment un jeune d’aujourd’hui ancré dans son époque. Enfin, il y avait aussi son rapport au corps, sa façon de bouger, presque comme un danseur, qui est complètement animale et qui m’a plu. Aziz est l’un des premiers que j’ai rencontré. Au départ, le personnage était beaucoup plus jeune et fluet, mais LES APACHES de Thierry de PerettiAziz s’est imposé pour son intensité à l’image. Il nous faisait penser à Mark Wahlberg dans "The Yards" de James Gray. Il a une présence massive, un charisme. Et aussi, ce qui était très important, c’est qu’on pouvait le confondre par moments avec François-Joseph. Ils avaient un cousinage physique évident. Enfin, il y a Hamza. Il était très doué et véloce, à l’aise en improvisation, tout de suite doux et charmant, pour un personnage qui allait également devoir exprimer un terrible niveau de noirceur à un moment donné du film. Il y avait une tension chez lui qui pouvait rendre crédible qu’il puisse tuer tout en étant un jeune homme auquel on ne peut pas prêter de telles intentions.

Comment avez-vous réfléchi à la scène clé du meurtre ?
C’était compliqué. On a pas mal tourné autour du sujet. C’est une mise à mort. Il a toujours été clair qu’il fallait filmer ce meurtre et l’incarner. Tous les gens de mon âge qui ont grandi en Corse ont assisté à un nombre extrême d’actes violents de cette nature, ils la comprennent de façon intime. On a souvent, entre amis venant du même endroit, cette discussion macabre et un peu désespérante sur le nombre d’exécutions, de cadavres qu’on a pu voir depuis l’enfance, de gens qu’on a connus qui se sont fait tuer… Donc cette question de la représentation du meurtre comme trauma collectif, qui contamine les esprits, la vie, était centrale. Dans le cas présent, ce meurtre, cette imitation d’exécution, ce n’est pas un meurtre de droit commun, mais l’expression d’une pulsion, de quelque chose de très profond, qui échappe presque.

C’est une pulsion organisée car ce meurtre est prémédité. c’est paradoxal, non ?
C’était l’un des problèmes. Il y avait le fait divers réel, point de départ du film. Mais il restait quand même pour nous la question de ce que l’on donne à voir sans être juge de cette histoire, c’est-à-dire comment ce meurtre a pu se passer physiquement. Cet acte est à la fois complètement prémédité, puisqu’il y a un fusil chargé dans une voiture et une future victime qu’on cherche puis qu’on amène loin comme le feraient des tueurs chevronnés et, en même temps… ça nous échappe.

Qu’est-ce qui échappe exactement ?
L’acte en lui-même. Ce meurtre semble inimaginable. Il est, comme je l’ai toujours pensé, à la fois très rapide et très lent, anti spectaculaire. Il semble durer une éternité et pourtant tout va très vite. Il y a une vraie étrangeté. Quelque chose d’halluciné, mais il s’est réellement passé. Pour mes personnages, il est plus facile de tuer l’un d’entre eux que d’assumer un petit larcin. Comme si on était dans un endroit où l’impunité était telle qu’ils se disent : « on peut le faire ».

Quels ont été vos principes de réalisation ?
Nous avons élaboré avec Hélène Louvart, la directrice de la photo du film, des principes à la fois simples, presque rudimentaires, mais le plus affirmés possibles : très peu de lumière artificielle, peu de focales différentes, et le plus possible de plans-séquences. On voulait aussi pouvoir tourner très vite, dès qu’on le voulait, dès que quelque chose commençait à naître avec les acteurs. Bien sûr, cela n’est pas sans créer une certaine tension, mais cela implique une concentration extrême pour tout le monde. Et c’était bien pour le film. J’avais envie de ressentir la durée, que le film soit le plus physique possible et qu’on ait une impression de « pur présent ». Physique, mais surtout pas nerveux. Je voulais qu’à tout moment quelque chose d’inattendu puisse arriver, mais aussi que le spectateur puisse voir comment les acteurs bougent, se regardent, comment les choses circulent entre eux. C’était important que la mise en scène soit suffisamment précise et presque un peu artificielle, pour qu’elle entre en tension avec la liberté et un certain degré de réalisme dans le jeu.

D’où vient le titre "Les Apaches" ?
C’est un titre qui convoque tout de suite la notion de territoire. On pense forcément aux westerns, et en même temps c’est un peu burlesque. Ca fait aussi référence à la façon dont le préfet de police appelait autrefois les hors-la-loi de Paris à Belleville, les mauvais garçons.

En le regardant aujourd’hui, qu’est-ce ce film vous a appris ?
Aujourd’hui, je suis surpris de voir que le film est plus noir que ce que j’avais imaginé. J’ai appris aussi combien le hors-champ était puissant au cinéma et à quel point ce qui manque compte et demeure.

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