Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône
Zoom nouveauté : "La chair de ma chair" de Denis Dercourt
L'histoire
Anna aime sa fille plus que tout au monde et est prête à tous les sacrifices pour la nourrir. Mais l’assassinat de plusieurs personnes qui se sont approchées d’elle fait peser des soupçons sur sa santé mentale...
Un film de Denis Dercourt avec Anna Juliana Jaenner, Mathieu Charrière, François Smesny.
Bonus : propos de Denis Dercourt, réalisateur du film
Comment vous est venue l’idée du film ?
J’habite à proximité immédiate d’une structure psychiatrique, qui est en fait une prison où sont soignés des malades jugés irresponsables au moment des faits qu’ils ont commis. Un voisin, qui y travaille en tant qu’infirmier, m’avait fait part de quelques “cas”, dont celui de la jeune femme qui a servi de source au personnage principal du film.Lorsque s’est précisé mon désir d’écrire le film, j’ai procédé comme je le fais d’habitude : je suis parti d’une scène-noyau, d’une image qui irrigue ensuite le reste de l’écriture. Pour "La Tourneuse de pages", c’était l’image d’une jeune employée « volant » un baiser à la femme qui l’avait engagée. Pour "La Chair de ma chair", ça a été l’image de la jeune femme qui tranche une main, et en fait manger des bouts à son enfant. Ensuite, je tourne cette scène-noyau sous la forme d’un court métrage – la plupart du temps avec d’autres acteurs que ceux du casting final. Et pendant que je la monte, les pistes d’écriture se précisent.
Bien sûr, cette écriture n’est jamais linéaire et les thématiques s’enchevêtrent. Ici, dès le départ, je savais que le film traiterait de la norme, et de l’amour maternel.
Vous avez souvent dit de vos films qu’ils avaient une écriture musicale. "La Chair de ma chair" fait-il exception à cette règle ?
Les règles et les contraintes qu’on s’impose lorsqu’on compose une musique sont très similaires à celles du cinéma. Il y a les mêmes recherches de tension et détente (en musique : les « cadences »), le contrepoint, les « passages obligés »… Et puis autre chose rapproche "La Chair de ma chair" de la musique : le tempo. Je l’ai tendu à la manière d’un compositeur qui développe une cellule très simple de quelques mesures, en la variant constamment. Ça contribuait à l’émotion que je recherchais : une émotion sourde, qui développe son effet peu à peu, comme le ferait un poison.
Vous demandez aussi au spectateur de faire une « partie du travail », de s’immerger dans votre dispositif.
Oui, c’est essentiel pour moi. En tant que spectateur, je n’aime pas les films qui ne me demandent pas une coopération, qui n’obligent pas mon cerveau à faire son propre travail. C’est peut-être aussi pour cela que je privilégie l’effet durable. Je dirai presque que je me méfie de l’effet immédiat que provoque un film : il doit continuer de travailler en moi après sa vision.
Par sa thématique et ses partis-pris artistiques assez radicaux le film va beaucoup surprendre, en particulier ceux qui ont suivi votre parcours et gardent en mémoire "Les Cachetonneurs" ou "Demain dès l’aube". Avez-vous pris cette décision afin de changer votre image ?
Ce n’est pas intentionnel, ni conscient. Je vois même ce nouveau film comme une continuation logique des précédents. Et le film suivant, est encore différent, sans que cela me paraisse incohérent. Pour un projet comme celui-ci, il faut aussi trouver des partenaires en parfaite affinité avec le projet. C’était le cas d'Alexis Dantec et Fred Bellaïche de "The French Connection" dont les univers et les goûts apportent un sang nouveau dans la production française.
Vous n’hésitez pas non plus à intégrer des séquences assez graphiques et explicites. Les avez-vous envisagées comme un rite de passage vers des territoires cinématographiques nouveaux que vous souhaitiez explorer ?
J’ai l’impression que mes deux derniers films allaient dans ce sens, mais sans l’assumer complètement. Sans doute que je n’étais pas prêt. Mais c’était peut être dû aussi au fait qu’on avait fait appel à des effets numériques, et qu’ils me touchent peu. Il fallait que je tourne avec du « vrai » sang pour en comprendre le potentiel filmique. De tous les sangs, c’est le sang de porc qui ressemble le plus au sang humain. Ce qui est important c’est qu’il y en ait vraiment beaucoup. Et de ne pas trop attendre pour tourner. Parce que très vite l’odeur devient insupportable pour les acteurs.
L’idée de filmer votre personnage principal avec dans le même plan des parties extrêmement nettes et d’autres entièrement floues est l’un des choix de mise en scène les plus intrigants du film. Quelles sensations cherchiez-vous à créer ainsi ?
Travailler sur les distorsions de l’image était dans l’essence même du projet : le « champ » de l’héroïne est tout sauf unifié et ne répond pas à notre norme du regard. J’ai cherché longtemps, fait des essais pendant presque 18 mois car je ne voulais pas d’un « effet » applicable uniformément sur chaque plan. Je voulais pouvoir tout maîtriser dans la surface. D’ailleurs ces différences de netteté sont impossibles à obtenir en digital. Finalement, j’ai trouvé une série d’objectifs japonais de la fin des années 70, à très grande ouverture. Le travail de l’image s’est construit à partir de là. Mais pour arriver à ce résultat, qui bouscule la perception du spectateur afin de l’amener vers la réalité d’Anna, le travail sur le son a été également déterminant. Il était intrinsèquement lié au travail de l’image, et c’est pour cela que je l’ai effectué moi-même. Je m’étais seulement donné une contrainte : rester dans les normes du son naturaliste. Ça m’a obligé à trouver des solutions fines qui orientent le spectateur/auditeur là où je le désirais.
Le compositeur Jérôme Lemonnier est votre seul collaborateur pour la partie créative et technique du film...
La musique est un personnage à part entière dans le film, comme dans tous les films qu’on a faits avec Jérôme. Il a par conséquent la même liberté qu’ont les acteurs. Sa musique apparemment toute simple, hypnotique, prolonge l’effet entier du film.
Anna Juliana Jaenner, qui interprète le rôle d’Anna, est la grande révélation du film. Comment l’avez-vous découverte ? Cherchiez-vous un personnage ayant des traits particuliers ?
Lorsque j’ai tourné en amont la scène-noyau évoquée précédemment, un des comédiens prévus pour cette scène a amené une amie, une jeune actrice autrichienne que je ne connaissais pas. Quand j’ai vu Anna Juliana, puis quand j’ai tourné les quelques plans de ce film préparatoire, il était devenu totalement impensable de confier le rôle d’Anna à quelqu’un d’autre. C’est extrêmement rare de trouver quelqu’un comme elle, qui, outre sa beauté si peu commune et sa technique de jeu incroyablement maîtrisée, peut en même temps faire peur et émouvoir. Anna Juliana étant inconnue, il a fallu changer tous les plans de financement et de production. En même temps, comme, dès le départ, j’avais manifesté mon intention d’être seul avec les acteurs, sans « équipe » entre eux et moi, mes producteurs ont quand même pu mener le projet à terme.
Cette manière de faire peu conventionnelle, y compris dans son écriture, c’était une envie de retrouver une certaine forme de liberté créatrice ?
En musique il existe des thèmes, des formes qui appellent l’orchestre. Et il y en a d’autres qui sonnent mieux en musique de chambre. Il me semble que c’est la même chose pour un film. Ici il fallait être au plus proche des comédiens, de la fabrication de l’image, être prêt à suivre le récit dans des endroits qui n’étaient peut être pas prévus sur le papier. Ça n’aurait pas été possible avec l’équipe de "Demain dès l’aube". Mais il est vrai que tout ceci est nouveau. Ça n’est réalisable que depuis l’apparition du cinéma digital. Il y a encore cinq ans, ça aurait été impossible.
Certains films ou certains cinéastes ont-ils influencé de manière directe ou indirecte La Chair de ma chair ?
Le réalisateur auquel je reviens toujours, c’est Georges Franju. Je m’aperçois à quel point "Les Yeux sans visage", que j’ai vu très jeune, m’a influencé. Tout comme ses films documentaires, "Hôtel des Invalides" ou "Le Sang des bêtes", que j’ai découverts par la suite. La manière dont il introduit l’aspérité au sein du lisse... Mais "Les Yeux sans visage", ça vraiment, ça m’a marqué. Les yeux d’Edith Scob... La photographie d'Eugen Schüfftan...
(extrait dossier de presse)
Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône
Zoom nouveauté : "La chair de ma chair" de Denis Dercourt
L'histoire
Anna aime sa fille plus que tout au monde et est prête à tous les sacrifices pour la nourrir. Mais l’assassinat de plusieurs personnes qui se sont approchées d’elle fait peser des soupçons sur sa santé mentale...
Un film de Denis Dercourt avec Anna Juliana Jaenner, Mathieu Charrière, François Smesny.
Bonus : propos de Denis Dercourt, réalisateur du film
Comment vous est venue l’idée du film ?
J’habite à proximité immédiate d’une structure psychiatrique, qui est en fait une prison où sont soignés des malades jugés irresponsables au moment des faits qu’ils ont commis. Un voisin, qui y travaille en tant qu’infirmier, m’avait fait part de quelques “cas”, dont celui de la jeune femme qui a servi de source au personnage principal du film.Lorsque s’est précisé mon désir d’écrire le film, j’ai procédé comme je le fais d’habitude : je suis parti d’une scène-noyau, d’une image qui irrigue ensuite le reste de l’écriture. Pour "La Tourneuse de pages", c’était l’image d’une jeune employée « volant » un baiser à la femme qui l’avait engagée. Pour "La Chair de ma chair", ça a été l’image de la jeune femme qui tranche une main, et en fait manger des bouts à son enfant. Ensuite, je tourne cette scène-noyau sous la forme d’un court métrage – la plupart du temps avec d’autres acteurs que ceux du casting final. Et pendant que je la monte, les pistes d’écriture se précisent.
Bien sûr, cette écriture n’est jamais linéaire et les thématiques s’enchevêtrent. Ici, dès le départ, je savais que le film traiterait de la norme, et de l’amour maternel.
Vous avez souvent dit de vos films qu’ils avaient une écriture musicale. "La Chair de ma chair" fait-il exception à cette règle ?
Les règles et les contraintes qu’on s’impose lorsqu’on compose une musique sont très similaires à celles du cinéma. Il y a les mêmes recherches de tension et détente (en musique : les « cadences »), le contrepoint, les « passages obligés »… Et puis autre chose rapproche "La Chair de ma chair" de la musique : le tempo. Je l’ai tendu à la manière d’un compositeur qui développe une cellule très simple de quelques mesures, en la variant constamment. Ça contribuait à l’émotion que je recherchais : une émotion sourde, qui développe son effet peu à peu, comme le ferait un poison.
Vous demandez aussi au spectateur de faire une « partie du travail », de s’immerger dans votre dispositif.
Oui, c’est essentiel pour moi. En tant que spectateur, je n’aime pas les films qui ne me demandent pas une coopération, qui n’obligent pas mon cerveau à faire son propre travail. C’est peut-être aussi pour cela que je privilégie l’effet durable. Je dirai presque que je me méfie de l’effet immédiat que provoque un film : il doit continuer de travailler en moi après sa vision.
Par sa thématique et ses partis-pris artistiques assez radicaux le film va beaucoup surprendre, en particulier ceux qui ont suivi votre parcours et gardent en mémoire "Les Cachetonneurs" ou "Demain dès l’aube". Avez-vous pris cette décision afin de changer votre image ?
Ce n’est pas intentionnel, ni conscient. Je vois même ce nouveau film comme une continuation logique des précédents. Et le film suivant, est encore différent, sans que cela me paraisse incohérent. Pour un projet comme celui-ci, il faut aussi trouver des partenaires en parfaite affinité avec le projet. C’était le cas d'Alexis Dantec et Fred Bellaïche de "The French Connection" dont les univers et les goûts apportent un sang nouveau dans la production française.
Vous n’hésitez pas non plus à intégrer des séquences assez graphiques et explicites. Les avez-vous envisagées comme un rite de passage vers des territoires cinématographiques nouveaux que vous souhaitiez explorer ?
J’ai l’impression que mes deux derniers films allaient dans ce sens, mais sans l’assumer complètement. Sans doute que je n’étais pas prêt. Mais c’était peut être dû aussi au fait qu’on avait fait appel à des effets numériques, et qu’ils me touchent peu. Il fallait que je tourne avec du « vrai » sang pour en comprendre le potentiel filmique. De tous les sangs, c’est le sang de porc qui ressemble le plus au sang humain. Ce qui est important c’est qu’il y en ait vraiment beaucoup. Et de ne pas trop attendre pour tourner. Parce que très vite l’odeur devient insupportable pour les acteurs.
L’idée de filmer votre personnage principal avec dans le même plan des parties extrêmement nettes et d’autres entièrement floues est l’un des choix de mise en scène les plus intrigants du film. Quelles sensations cherchiez-vous à créer ainsi ?
Travailler sur les distorsions de l’image était dans l’essence même du projet : le « champ » de l’héroïne est tout sauf unifié et ne répond pas à notre norme du regard. J’ai cherché longtemps, fait des essais pendant presque 18 mois car je ne voulais pas d’un « effet » applicable uniformément sur chaque plan. Je voulais pouvoir tout maîtriser dans la surface. D’ailleurs ces différences de netteté sont impossibles à obtenir en digital. Finalement, j’ai trouvé une série d’objectifs japonais de la fin des années 70, à très grande ouverture. Le travail de l’image s’est construit à partir de là. Mais pour arriver à ce résultat, qui bouscule la perception du spectateur afin de l’amener vers la réalité d’Anna, le travail sur le son a été également déterminant. Il était intrinsèquement lié au travail de l’image, et c’est pour cela que je l’ai effectué moi-même. Je m’étais seulement donné une contrainte : rester dans les normes du son naturaliste. Ça m’a obligé à trouver des solutions fines qui orientent le spectateur/auditeur là où je le désirais.
Le compositeur Jérôme Lemonnier est votre seul collaborateur pour la partie créative et technique du film...
La musique est un personnage à part entière dans le film, comme dans tous les films qu’on a faits avec Jérôme. Il a par conséquent la même liberté qu’ont les acteurs. Sa musique apparemment toute simple, hypnotique, prolonge l’effet entier du film.
Anna Juliana Jaenner, qui interprète le rôle d’Anna, est la grande révélation du film. Comment l’avez-vous découverte ? Cherchiez-vous un personnage ayant des traits particuliers ?
Lorsque j’ai tourné en amont la scène-noyau évoquée précédemment, un des comédiens prévus pour cette scène a amené une amie, une jeune actrice autrichienne que je ne connaissais pas. Quand j’ai vu Anna Juliana, puis quand j’ai tourné les quelques plans de ce film préparatoire, il était devenu totalement impensable de confier le rôle d’Anna à quelqu’un d’autre. C’est extrêmement rare de trouver quelqu’un comme elle, qui, outre sa beauté si peu commune et sa technique de jeu incroyablement maîtrisée, peut en même temps faire peur et émouvoir. Anna Juliana étant inconnue, il a fallu changer tous les plans de financement et de production. En même temps, comme, dès le départ, j’avais manifesté mon intention d’être seul avec les acteurs, sans « équipe » entre eux et moi, mes producteurs ont quand même pu mener le projet à terme.
Cette manière de faire peu conventionnelle, y compris dans son écriture, c’était une envie de retrouver une certaine forme de liberté créatrice ?
En musique il existe des thèmes, des formes qui appellent l’orchestre. Et il y en a d’autres qui sonnent mieux en musique de chambre. Il me semble que c’est la même chose pour un film. Ici il fallait être au plus proche des comédiens, de la fabrication de l’image, être prêt à suivre le récit dans des endroits qui n’étaient peut être pas prévus sur le papier. Ça n’aurait pas été possible avec l’équipe de "Demain dès l’aube". Mais il est vrai que tout ceci est nouveau. Ça n’est réalisable que depuis l’apparition du cinéma digital. Il y a encore cinq ans, ça aurait été impossible.
Certains films ou certains cinéastes ont-ils influencé de manière directe ou indirecte La Chair de ma chair ?
Le réalisateur auquel je reviens toujours, c’est Georges Franju. Je m’aperçois à quel point "Les Yeux sans visage", que j’ai vu très jeune, m’a influencé. Tout comme ses films documentaires, "Hôtel des Invalides" ou "Le Sang des bêtes", que j’ai découverts par la suite. La manière dont il introduit l’aspérité au sein du lisse... Mais "Les Yeux sans visage", ça vraiment, ça m’a marqué. Les yeux d’Edith Scob... La photographie d'Eugen Schüfftan...
(extrait dossier de presse)
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