Accueil > Culture > Cinéma > Mercredi cinéma : "Les yeux de sa mère" de Thierry Klifa avec Catherine Deneuve, Géraldne Pailhas...
Restez informés
Inscrivez-vous
aux newsletters du Journal !
Je m'inscris

Mercredi cinéma : "Les yeux de sa mère" de Thierry Klifa avec Catherine Deneuve, Géraldne Pailhas...

Publié le : 23-03-2011

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

Zoom nouveauté : "Les yeux de sa mère" de Thierry Klifa

L'histoire
Un écrivain en mal d’inspiration infiltre la vie d’une journaliste star de la télé et de sa fille danseuse étoile pour écrire à leur insu une biographie non autorisée. Pendant ce temps, en Bretagne, un garçon de 20 ans, Bruno, qui habite avec ses parents, ne sait pas encore les conséquences que toute cette histoire va avoir sur son existence…
Un film de Thierry Klifa avec Catherine Deneuve, Géraldine Pailhas, Nicolas Duvauchelle, Marina Foïs, Marisa Paredes, Jean-Marc Barr, Karole Rocher, Hélène Fillières…

Bonus : propos de Thierry Klifa, réalisateur

Quel a été le point de départ des "Yeux de sa mère" ?
Je crois que c’est mon envie, après "Le héros de la famille", de retravailler avec Catherine Deneuve et Géraldine Pailhas, d’écrire pour elles un film où elles seraient mère et fille. Il y avait aussi l’idée d’un jeune garçon de vingt ans qui vivrait en Bretagne et serait lié sans le savoir à ces deux femmes de manière intime et secrète. Ce n’est qu’à partir de là, et pour donner un point de vue à cette histoire, qu’est né le personnage de Nicolas Duvauchelle, cet écrivain qui, en entrant par effraction dans leur vie, serait le lien entre les trois.

Gilles Cohen et Catherine Deneuve"Qu'est-ce qui était le plus compliqué dans l'écriture ?"
Tout ! Des quatre scénarios qu’on a faits ensemble avec Christopher (Thompson), c’est celui qui a été le plus difficile à écrire. Tous ces destins croisés rendaient forcément la structure très complexe, d’autant qu’il y avait à la fois l’ambition de faire un film romanesque et l’envie de le construire un peu comme un thriller, avec du suspense, pour qu’on soit en permanence surpris par ce qui arrive. Ce qui nous a donné le plus de mal, c’est le personnage de Mathieu. Je voyais bien en quoi il pouvait m’être proche, notamment au niveau de sa sensibilité et de sa fragilité, et, en même temps, je le trouvais tellement éloigné de moi, ne serait-ce que par sa démarche d’entrer par effraction dans la vie des gens… C’est seulement lorsqu’on a imaginé que son cynisme apparent cachait un immense chagrin et une profonde solitude que nos problèmes d’écriture se sont dénoués. Mathieu est quelqu’un qui, à cause de ce chagrin qui a fait naître chez lui une certaine forme d’amertume, s’est recroquevillé sur lui-même et a pris un mauvais chemin. Pour Mathieu, c’est plus simple d’observer et de commenter la vie des autres que de vivre la sienne… J’ai longtemps été comme ça moi aussi, à avoir peur d’entrer dans la vie et d’y jouer mon propre rôle.

L'idée de faire de Catherine Deneuve une présentatrice vedette du 20H et de Géraldine Pailhas une danseuse étoile qui a choisi d'assumer l'héritage de son père, ancien résistant espagnol, était-elle là tout de suite ?
Elle est venue rapidement. J’aimais l’idée de personnages emblématiques de leur époque, engagés aussi bien professionnellement que politiquement. Pour Lena Weber, on est parti de figures journalistiques comme Joan Didion aux États-Unis, Oriana Fallacci en Italie ou Christine Ockrent en France. Des femmes totalement impliquées dans leur métier et particulièrement concernées par la vie politique de leur pays et l’évolution du monde. Ce qui m’intéressait par rapport à Lena, c’est la manière dont elle va petit à petit basculer vers quelque chose d’autre, quelque chose qui va la mettre elle-même en danger… L’idée de donner à Maria, un père très engagé, un adversaire farouche du franquisme, procédait de la même volonté. D’inscrire les personnages dans leur époque et de mélanger leurs engagements à leurs sentiments. Je voulais que la détermination idéologique de Miguel Canales, grand résistant espagnol, soit passée de manière presque génétique dans le personnage de Maria, en tout cas qu’on se pose aussi, chemin faisant, le problème de la transmission.

"Le héros de la famille" tournait autour de l'image du père, là c'est la figure maternelle qui est au centre des "Yeux de sa mère"…
Oui… La mère absente, la mère qui abandonne, la mère de substitution, la mère adoptive… On est parti des rapports entre Lena et Maria, et très vite, on a su que ce serait des rapports distants et complexes. Elles sont tout simplement passées à côté l’une de l’autre. Ce n’est pas que Lena ait délibérément sacrifié sa vie de mère pour sa vie professionnelle. Ça s’est fait sans qu’elle s’en rende compte. C’est une journaliste qui était passionnée par son travail, passionnée par ses engagements, qui fait partie de cette génération de femmes qui, à la fin des années 60 ont dû s’imposer dans un métier encore très masculin et cultiver avec une certaine forme d’autorité leur indépendance d’esprit…
D’une certaine manière, elle a été contrainte de renoncer à son rôle de mère au profit de Judit (Marisa Paredes), la sœur de son mari qui, elle, avait plus de temps, peut-être aussi davantage la fibre maternelle, qui était là au bon moment, au bon endroit et qui a su nouer avec Maria des liens quasi filiaux… À partir de là, on a travaillé sur les rapports de Maria avec son fils naturel, de Maylis (Marina Foïs) avec son fils adoptif. Il y a aussi la mère qui a disparu, la mère morte, clé du chagrin de Mathieu (Nicolas Duvauchelle).

Parallèlement à ces relations mères-filles et mères-fils complexes, la force et l'émotion du film résident aussi dans ces rapports troubles que tisse, presque malgré lui, Mathieu avec Maria et aussi avec Bruno…
Quand on travaillait sur Mathieu, je pensais pour son ambition carnassière et sans principe à Kirk Douglas dans "Le gouffre aux chimères" de Billy Wilder mais aussi et surtout au personnage de Daniel Auteuil dans "Un cœur en hiver". Quelqu’un qui, tout d’un coup, a décidé de se mettre comme entre parenthèses, quelqu’un qui est absent à lui-même. C’est ce qui est arrivé à Mathieu après la mort de sa mère. Maintenant qu’il a tellement souffert, il se croit à l’abri de tout sentiment. Il se pense fort pour faire le mal mais il va être troublé par l’attention affectueuse et complice que lui porte cette journaliste célèbre, puis par la manière dont va le regarder sa fille qu’il a connue autrefois et qu’il retrouve. Maria va lui faire découvrir quelque chose de lui qu’il ne connaissait pas, qu’il n’avait pas encore vu ou qu’il ne voulait pas voir. Là-dessus, arrive Bruno qui, de manière radicale et absolue, tombe amoureux de lui - un amour qui le trouble mais dont il ne sait pas quoi faire. Mathieu est alors comme un colosse aux pieds d’argile. C’est le regard de ces trois personnages sur lui qui vont le faire vaciller et faire voler en éclats la carapace qu’il s’était fabriquée et qu’il pensait invincible. C’est ce triple regard qui va lui montrer qu’il est peut-être capable d’être autre chose que ce à quoi il s’était résigné…

Géraldine PailhasEn quoi ce personnage est proche de vous ?
Pour sa réserve, ce chagrin qu’il a en lui, cette manière dont il ne veut pas se remettre de la perte de sa mère et de le revendiquer presque comme un acte politique.
Tout Mathieu est dans cette scène au cimetière où, avec son père, il pleure en silence devant la tombe de sa mère, où on comprend qu’il n’arrive pas à guérir de cette blessure… C’est d’ailleurs par cette blessure que Maria, qui vient de perdre son père, et lui se rapprochent. Mathieu vit dans cet appartement qui était celui de sa mère, un peu comme le personnage de François Truffaut dans "La chambre verte". Il a une manière radicale de penser que sa mère vit encore à travers lui. Quitter l’endroit où ils ont vécu serait la trahir, l’abandonner à l’oubli, tourner la page et il ne veut pas tourner la page… On nous explique tout le temps comment on se remet forcément des deuils, des disparitions, moi, au contraire, je voulais parler du mal qu’on peut avoir à survivre à la disparition d’un être cher, de l’amputation qu’on ressent, de la vie qui, même si elle continue, ne sera plus jamais la même.

Comment définiriez-vous le personnage de Bruno ?
Bruno ressemble à son époque, à sa jeunesse, à ses 20 ans. Il attend beaucoup de la vie, de l’avenir. Il croit en sa force, en sa détermination. Il a une forme d’innocence, de naïveté, il a parfaitement assimilé qu’il est un enfant adopté mais il n’a jamais eu envie ni besoin de retrouver ses parents. C’est quelqu’un de lumineux mais qui, petit à petit, va se blesser à l’égoïsme des autres personnages qui partent à sa recherche sans jamais imaginer les conséquences que ça pourra avoir pour lui. C’est sans doute lui que cette histoire va le plus fracasser… Ce que j’aime, c’est son côté jusqu’au-boutiste, son goût pour l’absolu. C’est quelqu’un qui n’a pas peur de se perdre. Dans "Le lieu du crime" d’André Téchiné, Catherine Deneuve disait : «Se sauver ou bien se perdre, est-ce que ce n’est pas la même chose ?» Eh bien, Bruno, il a un peu de ça en lui, se sauver ou bien se perdre lui importe peu. C’est quelqu’un qui va jusqu’au bout de son amour, de sa croyance en cet amour, quelqu’un qui pense que rien n’est obstacle et qu’il suffit d’aimer pour convaincre. Au fond, ce n’est pas tant de la naïveté que le signe d’une profonde sincérité.

Si, de manière un peu schématique, on devait ranger le film dans un genre, on pourrait dire que "Les yeux de sa mère" tient du mélo. On y retrouve certains de ses codes : les rebondissements inattendus, l'enfant caché, l'amour absolu mais pas partagé…
J’ai toujours aimé le mélodrame. Cela va de "La fièvre dans le sang" d’Elia Kazan au "Mirage de la vie" de Douglas Sirk jusqu’à "La femme d'à côté" de Truffaut et aux films d’Almódovar… Il y a quelque chose dans le mélodrame sur la violence des sentiments, sur le côté exacerbé de certaines situations qui m’émeut particulièrement… Je l’assume donc parfaitement. Le plus difficile avec le mélodrame, c’est de trouver la limite, de savoir jusqu’où on peut aller sans aller trop loin. En tout cas, notre volonté était de faire un thriller sentimental qui flirterait avec le mélodrame…

Une fois encore, vous avez écrit le scénario avec Christopher Thompson, en quoi vos rapports ont-ils le plus changé depuis "Une vie à t'attendre" ?
C’est peut-être aujourd’hui que nos rapports vont évoluer puisque, depuis l’écriture des "Yeux de sa mère", il a mis en scène son premier film : "Bus palladium". Ça va être intéressant maintenant qu’on s’est remis à écrire de voir ce que son expérience de réalisateur va apporter à notre tandem. Ce qui était particulier cette fois-ci, c’est qu’on écrivait en même temps "Bus palladium" et "Les yeux de sa mère". Une semaine l’un, une semaine l’autre. C’était à la fois exaltant et un peu schizophrénique de passer d’un univers à l’autre, d’une histoire à une autre, d’autant qu’elles étaient très différentes et que chacun essayait d’aider l’autre à accoucher de son projet tout en y mettant aussi des choses personnelles. L’évolution de notre rapport dans le travail correspond simplement à notre évolution personnelle dans la vie. Il n’y a en tout cas - pour l’instant ! - aucune lassitude ni pour l’un ni pour l’autre. J’ai même le sentiment qu’on arrive à se renouveler même s’il y a forcément des thématiques qui nous poursuivent… Ce qui nous rapproche, c’est cette régularité dans le travail et l’obstination qui est la nôtre lorsqu’il faut s’acharner sur un sujet. Nos personnalités sont complémentaires. Je suis plutôt excessif quand Christopher est plus posé, plus rationnel. Sans doute que j’envisage la vie de manière peut-être plus romanesque et qu’il a cet avantage - important - de me ramener à une forme de réalité.

Nicoals DuvauchelleVous avez écrit pour Catherine Deneuve et Géraldine Pailhas. Quelles ont été leur réaction lorsque vous leur avez donné le scénario à lire ?
Ce qui pouvait faire peur à Catherine Deneuve, c’était l’assimilation que les gens pouvaient faire entre ce personnage de Lena Weber, une icône médiatique, et ce qu’elle est dans la vie, une actrice célèbre. Elle pouvait se dire que ces raccourcis possibles pourraient nuire au personnage et faire qu’il disparaisse derrière ce qu’elle représente aux yeux des gens. On en a beaucoup discuté, on a fait des lectures… Après, c’est quelqu’un qui, une fois qu’elle a dit oui, suit toute l’élaboration du projet. Elle ne s’occupe pas seulement de son personnage mais elle a une vision globale du film et s’intéresse à tout, aussi bien au casting qu’aux techniciens et aux musiciens. Elle n’est absolument pas narcissique. C’est une vraie partenaire pour un metteur en scène, qui, elle le dit elle-même, est toujours du côté du film. En plus, ce qui était important pour moi comme pour elle, et pareil pour Géraldine d’ailleurs, c’était de ne pas refaire des choses qu’on avait déjà faites mais d’explorer de nouveaux territoires, de nouvelles émotions. C’est d’ailleurs l’une des choses qui m’a le plus surpris : ce que Catherine a donné au-delà de ce qui était écrit et prévu. Dans les films où on l’a vue, chez Téchiné par exemple où elle est exceptionnelle, Catherine, lorsqu’elle est confrontée au désespoir ou au chagrin, a souvent une manière volontaire de se battre contre eux, une certaine forme d’énergie alors que là, c’est plutôt de l’abandon, presque de la lassitude. Comme si ce personnage qui arrive à un tournant de sa vie professionnelle, de sa vie tout court, voyait son château de cartes s’effondrer, se retrouvait assez démunie et n’avait plus tout à fait la volonté de se battre… Catherine a apporté cette forme de lassitude que je trouve très émouvante.

Et quelle a été la réaction de Géraldine Pailhas ?
Avec Géraldine, on avait beaucoup travaillé, notamment sur "Le héros de la famille" et aussi, mais de manière plus diffuse, sur "Une vie à t'attendre", sur la dureté que son personnage pouvait avoir. Là aussi, on aurait pu emmener cette danseuse étoile vers une sorte de dureté. Ce qui était intéressant au contraire était de construire Maria à la fois sur une évidente fragilité et sur une certaine force qui émanerait presque de sa jeunesse. D’ailleurs, je trouve que Géraldine a dans le film quelque chose qu’on ne lui a pas vu souvent comme une gaieté, un entrain, une juvénilité, une séduction… Toutes ces caractéristiques qu’ont souvent les sportifs de haut niveau ou les danseurs classiques, des gens qui, très jeunes, ont compris que leur vie professionnelle allait s’arrêter après leurs 40 ans et qui ne vivent que pour leur discipline, leur art, avec, comme souci principal, leur corps…
(extrait dossier de presse)

Je souhaite que, vous aussi, vous partagiez vos émotions et vos coups de cœur ciné. Envoyez vos critiques de films par mail (contact@journaldefrancois.fr ). Elles seront publiées dans le Journal !
Mercredi cinéma, c’est votre rendez-vous !

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

Zoom nouveauté : "Les yeux de sa mère" de Thierry Klifa

L'histoire
Un écrivain en mal d’inspiration infiltre la vie d’une journaliste star de la télé et de sa fille danseuse étoile pour écrire à leur insu une biographie non autorisée. Pendant ce temps, en Bretagne, un garçon de 20 ans, Bruno, qui habite avec ses parents, ne sait pas encore les conséquences que toute cette histoire va avoir sur son existence…
Un film de Thierry Klifa avec Catherine Deneuve, Géraldine Pailhas, Nicolas Duvauchelle, Marina Foïs, Marisa Paredes, Jean-Marc Barr, Karole Rocher, Hélène Fillières…

Bonus : propos de Thierry Klifa, réalisateur

Quel a été le point de départ des "Yeux de sa mère" ?
Je crois que c’est mon envie, après "Le héros de la famille", de retravailler avec Catherine Deneuve et Géraldine Pailhas, d’écrire pour elles un film où elles seraient mère et fille. Il y avait aussi l’idée d’un jeune garçon de vingt ans qui vivrait en Bretagne et serait lié sans le savoir à ces deux femmes de manière intime et secrète. Ce n’est qu’à partir de là, et pour donner un point de vue à cette histoire, qu’est né le personnage de Nicolas Duvauchelle, cet écrivain qui, en entrant par effraction dans leur vie, serait le lien entre les trois.

Gilles Cohen et Catherine Deneuve"Qu'est-ce qui était le plus compliqué dans l'écriture ?"
Tout ! Des quatre scénarios qu’on a faits ensemble avec Christopher (Thompson), c’est celui qui a été le plus difficile à écrire. Tous ces destins croisés rendaient forcément la structure très complexe, d’autant qu’il y avait à la fois l’ambition de faire un film romanesque et l’envie de le construire un peu comme un thriller, avec du suspense, pour qu’on soit en permanence surpris par ce qui arrive. Ce qui nous a donné le plus de mal, c’est le personnage de Mathieu. Je voyais bien en quoi il pouvait m’être proche, notamment au niveau de sa sensibilité et de sa fragilité, et, en même temps, je le trouvais tellement éloigné de moi, ne serait-ce que par sa démarche d’entrer par effraction dans la vie des gens… C’est seulement lorsqu’on a imaginé que son cynisme apparent cachait un immense chagrin et une profonde solitude que nos problèmes d’écriture se sont dénoués. Mathieu est quelqu’un qui, à cause de ce chagrin qui a fait naître chez lui une certaine forme d’amertume, s’est recroquevillé sur lui-même et a pris un mauvais chemin. Pour Mathieu, c’est plus simple d’observer et de commenter la vie des autres que de vivre la sienne… J’ai longtemps été comme ça moi aussi, à avoir peur d’entrer dans la vie et d’y jouer mon propre rôle.

L'idée de faire de Catherine Deneuve une présentatrice vedette du 20H et de Géraldine Pailhas une danseuse étoile qui a choisi d'assumer l'héritage de son père, ancien résistant espagnol, était-elle là tout de suite ?
Elle est venue rapidement. J’aimais l’idée de personnages emblématiques de leur époque, engagés aussi bien professionnellement que politiquement. Pour Lena Weber, on est parti de figures journalistiques comme Joan Didion aux États-Unis, Oriana Fallacci en Italie ou Christine Ockrent en France. Des femmes totalement impliquées dans leur métier et particulièrement concernées par la vie politique de leur pays et l’évolution du monde. Ce qui m’intéressait par rapport à Lena, c’est la manière dont elle va petit à petit basculer vers quelque chose d’autre, quelque chose qui va la mettre elle-même en danger… L’idée de donner à Maria, un père très engagé, un adversaire farouche du franquisme, procédait de la même volonté. D’inscrire les personnages dans leur époque et de mélanger leurs engagements à leurs sentiments. Je voulais que la détermination idéologique de Miguel Canales, grand résistant espagnol, soit passée de manière presque génétique dans le personnage de Maria, en tout cas qu’on se pose aussi, chemin faisant, le problème de la transmission.

"Le héros de la famille" tournait autour de l'image du père, là c'est la figure maternelle qui est au centre des "Yeux de sa mère"…
Oui… La mère absente, la mère qui abandonne, la mère de substitution, la mère adoptive… On est parti des rapports entre Lena et Maria, et très vite, on a su que ce serait des rapports distants et complexes. Elles sont tout simplement passées à côté l’une de l’autre. Ce n’est pas que Lena ait délibérément sacrifié sa vie de mère pour sa vie professionnelle. Ça s’est fait sans qu’elle s’en rende compte. C’est une journaliste qui était passionnée par son travail, passionnée par ses engagements, qui fait partie de cette génération de femmes qui, à la fin des années 60 ont dû s’imposer dans un métier encore très masculin et cultiver avec une certaine forme d’autorité leur indépendance d’esprit…
D’une certaine manière, elle a été contrainte de renoncer à son rôle de mère au profit de Judit (Marisa Paredes), la sœur de son mari qui, elle, avait plus de temps, peut-être aussi davantage la fibre maternelle, qui était là au bon moment, au bon endroit et qui a su nouer avec Maria des liens quasi filiaux… À partir de là, on a travaillé sur les rapports de Maria avec son fils naturel, de Maylis (Marina Foïs) avec son fils adoptif. Il y a aussi la mère qui a disparu, la mère morte, clé du chagrin de Mathieu (Nicolas Duvauchelle).

Parallèlement à ces relations mères-filles et mères-fils complexes, la force et l'émotion du film résident aussi dans ces rapports troubles que tisse, presque malgré lui, Mathieu avec Maria et aussi avec Bruno…
Quand on travaillait sur Mathieu, je pensais pour son ambition carnassière et sans principe à Kirk Douglas dans "Le gouffre aux chimères" de Billy Wilder mais aussi et surtout au personnage de Daniel Auteuil dans "Un cœur en hiver". Quelqu’un qui, tout d’un coup, a décidé de se mettre comme entre parenthèses, quelqu’un qui est absent à lui-même. C’est ce qui est arrivé à Mathieu après la mort de sa mère. Maintenant qu’il a tellement souffert, il se croit à l’abri de tout sentiment. Il se pense fort pour faire le mal mais il va être troublé par l’attention affectueuse et complice que lui porte cette journaliste célèbre, puis par la manière dont va le regarder sa fille qu’il a connue autrefois et qu’il retrouve. Maria va lui faire découvrir quelque chose de lui qu’il ne connaissait pas, qu’il n’avait pas encore vu ou qu’il ne voulait pas voir. Là-dessus, arrive Bruno qui, de manière radicale et absolue, tombe amoureux de lui - un amour qui le trouble mais dont il ne sait pas quoi faire. Mathieu est alors comme un colosse aux pieds d’argile. C’est le regard de ces trois personnages sur lui qui vont le faire vaciller et faire voler en éclats la carapace qu’il s’était fabriquée et qu’il pensait invincible. C’est ce triple regard qui va lui montrer qu’il est peut-être capable d’être autre chose que ce à quoi il s’était résigné…

Géraldine PailhasEn quoi ce personnage est proche de vous ?
Pour sa réserve, ce chagrin qu’il a en lui, cette manière dont il ne veut pas se remettre de la perte de sa mère et de le revendiquer presque comme un acte politique.
Tout Mathieu est dans cette scène au cimetière où, avec son père, il pleure en silence devant la tombe de sa mère, où on comprend qu’il n’arrive pas à guérir de cette blessure… C’est d’ailleurs par cette blessure que Maria, qui vient de perdre son père, et lui se rapprochent. Mathieu vit dans cet appartement qui était celui de sa mère, un peu comme le personnage de François Truffaut dans "La chambre verte". Il a une manière radicale de penser que sa mère vit encore à travers lui. Quitter l’endroit où ils ont vécu serait la trahir, l’abandonner à l’oubli, tourner la page et il ne veut pas tourner la page… On nous explique tout le temps comment on se remet forcément des deuils, des disparitions, moi, au contraire, je voulais parler du mal qu’on peut avoir à survivre à la disparition d’un être cher, de l’amputation qu’on ressent, de la vie qui, même si elle continue, ne sera plus jamais la même.

Comment définiriez-vous le personnage de Bruno ?
Bruno ressemble à son époque, à sa jeunesse, à ses 20 ans. Il attend beaucoup de la vie, de l’avenir. Il croit en sa force, en sa détermination. Il a une forme d’innocence, de naïveté, il a parfaitement assimilé qu’il est un enfant adopté mais il n’a jamais eu envie ni besoin de retrouver ses parents. C’est quelqu’un de lumineux mais qui, petit à petit, va se blesser à l’égoïsme des autres personnages qui partent à sa recherche sans jamais imaginer les conséquences que ça pourra avoir pour lui. C’est sans doute lui que cette histoire va le plus fracasser… Ce que j’aime, c’est son côté jusqu’au-boutiste, son goût pour l’absolu. C’est quelqu’un qui n’a pas peur de se perdre. Dans "Le lieu du crime" d’André Téchiné, Catherine Deneuve disait : «Se sauver ou bien se perdre, est-ce que ce n’est pas la même chose ?» Eh bien, Bruno, il a un peu de ça en lui, se sauver ou bien se perdre lui importe peu. C’est quelqu’un qui va jusqu’au bout de son amour, de sa croyance en cet amour, quelqu’un qui pense que rien n’est obstacle et qu’il suffit d’aimer pour convaincre. Au fond, ce n’est pas tant de la naïveté que le signe d’une profonde sincérité.

Si, de manière un peu schématique, on devait ranger le film dans un genre, on pourrait dire que "Les yeux de sa mère" tient du mélo. On y retrouve certains de ses codes : les rebondissements inattendus, l'enfant caché, l'amour absolu mais pas partagé…
J’ai toujours aimé le mélodrame. Cela va de "La fièvre dans le sang" d’Elia Kazan au "Mirage de la vie" de Douglas Sirk jusqu’à "La femme d'à côté" de Truffaut et aux films d’Almódovar… Il y a quelque chose dans le mélodrame sur la violence des sentiments, sur le côté exacerbé de certaines situations qui m’émeut particulièrement… Je l’assume donc parfaitement. Le plus difficile avec le mélodrame, c’est de trouver la limite, de savoir jusqu’où on peut aller sans aller trop loin. En tout cas, notre volonté était de faire un thriller sentimental qui flirterait avec le mélodrame…

Une fois encore, vous avez écrit le scénario avec Christopher Thompson, en quoi vos rapports ont-ils le plus changé depuis "Une vie à t'attendre" ?
C’est peut-être aujourd’hui que nos rapports vont évoluer puisque, depuis l’écriture des "Yeux de sa mère", il a mis en scène son premier film : "Bus palladium". Ça va être intéressant maintenant qu’on s’est remis à écrire de voir ce que son expérience de réalisateur va apporter à notre tandem. Ce qui était particulier cette fois-ci, c’est qu’on écrivait en même temps "Bus palladium" et "Les yeux de sa mère". Une semaine l’un, une semaine l’autre. C’était à la fois exaltant et un peu schizophrénique de passer d’un univers à l’autre, d’une histoire à une autre, d’autant qu’elles étaient très différentes et que chacun essayait d’aider l’autre à accoucher de son projet tout en y mettant aussi des choses personnelles. L’évolution de notre rapport dans le travail correspond simplement à notre évolution personnelle dans la vie. Il n’y a en tout cas - pour l’instant ! - aucune lassitude ni pour l’un ni pour l’autre. J’ai même le sentiment qu’on arrive à se renouveler même s’il y a forcément des thématiques qui nous poursuivent… Ce qui nous rapproche, c’est cette régularité dans le travail et l’obstination qui est la nôtre lorsqu’il faut s’acharner sur un sujet. Nos personnalités sont complémentaires. Je suis plutôt excessif quand Christopher est plus posé, plus rationnel. Sans doute que j’envisage la vie de manière peut-être plus romanesque et qu’il a cet avantage - important - de me ramener à une forme de réalité.

Nicoals DuvauchelleVous avez écrit pour Catherine Deneuve et Géraldine Pailhas. Quelles ont été leur réaction lorsque vous leur avez donné le scénario à lire ?
Ce qui pouvait faire peur à Catherine Deneuve, c’était l’assimilation que les gens pouvaient faire entre ce personnage de Lena Weber, une icône médiatique, et ce qu’elle est dans la vie, une actrice célèbre. Elle pouvait se dire que ces raccourcis possibles pourraient nuire au personnage et faire qu’il disparaisse derrière ce qu’elle représente aux yeux des gens. On en a beaucoup discuté, on a fait des lectures… Après, c’est quelqu’un qui, une fois qu’elle a dit oui, suit toute l’élaboration du projet. Elle ne s’occupe pas seulement de son personnage mais elle a une vision globale du film et s’intéresse à tout, aussi bien au casting qu’aux techniciens et aux musiciens. Elle n’est absolument pas narcissique. C’est une vraie partenaire pour un metteur en scène, qui, elle le dit elle-même, est toujours du côté du film. En plus, ce qui était important pour moi comme pour elle, et pareil pour Géraldine d’ailleurs, c’était de ne pas refaire des choses qu’on avait déjà faites mais d’explorer de nouveaux territoires, de nouvelles émotions. C’est d’ailleurs l’une des choses qui m’a le plus surpris : ce que Catherine a donné au-delà de ce qui était écrit et prévu. Dans les films où on l’a vue, chez Téchiné par exemple où elle est exceptionnelle, Catherine, lorsqu’elle est confrontée au désespoir ou au chagrin, a souvent une manière volontaire de se battre contre eux, une certaine forme d’énergie alors que là, c’est plutôt de l’abandon, presque de la lassitude. Comme si ce personnage qui arrive à un tournant de sa vie professionnelle, de sa vie tout court, voyait son château de cartes s’effondrer, se retrouvait assez démunie et n’avait plus tout à fait la volonté de se battre… Catherine a apporté cette forme de lassitude que je trouve très émouvante.

Et quelle a été la réaction de Géraldine Pailhas ?
Avec Géraldine, on avait beaucoup travaillé, notamment sur "Le héros de la famille" et aussi, mais de manière plus diffuse, sur "Une vie à t'attendre", sur la dureté que son personnage pouvait avoir. Là aussi, on aurait pu emmener cette danseuse étoile vers une sorte de dureté. Ce qui était intéressant au contraire était de construire Maria à la fois sur une évidente fragilité et sur une certaine force qui émanerait presque de sa jeunesse. D’ailleurs, je trouve que Géraldine a dans le film quelque chose qu’on ne lui a pas vu souvent comme une gaieté, un entrain, une juvénilité, une séduction… Toutes ces caractéristiques qu’ont souvent les sportifs de haut niveau ou les danseurs classiques, des gens qui, très jeunes, ont compris que leur vie professionnelle allait s’arrêter après leurs 40 ans et qui ne vivent que pour leur discipline, leur art, avec, comme souci principal, leur corps…
(extrait dossier de presse)

Je souhaite que, vous aussi, vous partagiez vos émotions et vos coups de cœur ciné. Envoyez vos critiques de films par mail (contact@journaldefrancois.fr ). Elles seront publiées dans le Journal !
Mercredi cinéma, c’est votre rendez-vous !

Partager cette page :

Vous appréciez le Journal de François ? Soutenez-le ! Merci.

Retourner à la page d'accueil - Retourner à la page "Cinéma"

Vous appréciez le Journal de François ? Soutenez-le ! Merci.

Retourner à la page d'accueil Retourner à la page "Cinéma"


Déposer un commentaire
0 commentaire(s)

Filtre anti-spam

Aucun commentaire

Informations Newsletter
  • Inscrivez-vous aux newsletters du Journal :
    "Agenda du week-end" et "Infos de proximité"
Contact
11 allée du Clos Laisnées, 95120 Ermont
06 89 80 56 28