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Mercredi cinéma : "Le dernier des injustes" de Claude Lanzmann

Publié le : 13-11-2013

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Montmorency (nouveau) - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

Le dernier des injustes de Claude lanzmannZoom nouveauté : "Le dernier des injustes" de Claude Lanzmann

L'histoire
1975. A Rome, Claude Lanzmann filme Benjamin Murmelstein, le dernier Président du Conseil Juif du ghetto de Theresienstadt, seul "doyen des Juifs*" à n’avoir pas été tué durant la guerre. Rabbin à Vienne, Murmelstein, après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938, lutta pied à pied avec Eichmann, semaine après semaine, durant sept années, réussissant à faire émigrer 121.000 juifs et à éviter la liquidation du ghetto.
2012. Claude Lanzmann à 87 ans, sans rien masquer du passage du temps sur les hommes, mais montrant la permanence incroyable des lieux, exhume et met en scène ces entretiens de Rome, en revenant à Theresienstadt, la ville « donnée aux juifs par Hitler », « ghetto modèle », ghetto mensonge élu par Adolf Eichmann pour leurrer le monde. On découvre la personnalité extraordinaire de Benjamin Murmelstein : doué d’une intelligence fascinante et d’un courage certain, d’une mémoire sans pareille, formidable conteur ironique, sardonique et vrai.
A travers ces 3 époques, de Nisko à Theresienstadt et de Vienne à Rome, le film éclaire comme jamais auparavant la genèse de la solution finale, démasque le vrai visage d’Eichmann et dévoile sans fard les contradictions sauvages des Conseils Juifs.
Un film de Claude Lanzmann avec Benjamin Murmelstein

 

Bonus : propos de Claude Lanzmann

ÀLe dernier des injustes de Claude lanzmann quel moment avez-vous songé à consacrer un film à la figure ambiguë de Benjamin Murmelstein, ancien président du Conseil juif de Theresienstadt en Tchécoslovaquie, jusqu’ici souvent tenu pour un « collabo » ? Vous aviez eu un très long entretien avec lui au moment du tournage de SHOAH, à Rome en 1975, pourquoi ne l’avoir pas utilisé à ce moment-là ?
"Shoah" est un film épique, le ton général y est d’un tragique sans rémission. Quand on écoute Benjamin Murmelstein, on voit que ça ne colle pas, que c’est un autre esprit. Pourtant il fut le premier protagoniste avec lequel j’ai tourné. Cela m’avait été très difficile d’obtenir un rendez-vous avec lui, et c’est mon épouse d’alors, l’écrivain allemand Angelika Schrobsdorff - on la disait la plus belle femme d’Allemagne - qui l’avait conquis, car il aimait les femmes. De Jérusalem, nous étions arrivés à Rome avec un matériel de prises de vue et de son formidable, très sophistiqué, mais aussitôt arrivés, notre minibus avait été entièrement pillé par un gang italien organisé. Nous fûmes alors obligés de faire venir du matériel en catastrophe de Paris. Cet incident m’avait un peu assommé, mais j’ai quand même tourné pendant une semaine entière avec Murmelstein.
C’était tellement difficile de faire "Shoah", de la façon dont je l’ai fait, sans commentaire, la construction du film générant d’elle-même sa propre intelligibilité, que si j’avais dû intégrer ce tournage, le film aurait duré au moins vingt heures !
Donc, je me suis dit, on verra plus tard, et j’y ai longtemps renoncé.
La question des Conseils juifs, par tout ce qu’elle implique et met en jeu était très difficile mais aussi déjà présente dans "Shoah". Le paradoxe est que j’aurais pu avoir un président de conseil vivant, Murmelstein et que toute l’imprégnation tragique de "Shoah" m’a conduit à le remplacer par un président de conseil mort, Adam Czerniakow, de Varsovie qui s’est suicidé en juillet 1942, le premier jour des déportations pour Treblinka. Dans "Shoah", c’est Raül Le dernier des injustes de Claude lanzmannHilberg qui l’incarne, en commentant le journal tenu chaque jour par Czerniakow jusqu’à son suicide et dont il venait d’assurer la publication aux États-Unis, et de rédiger la préface. Hilberg, avant d’avoir lu sur mes conseils ce journal, était très violemment opposé à tous ces gens, à tous les notables juifs contraints de « collaborer » avec les Allemands. Alors, j’ai longuement discuté avec lui, je lui ai démontré que tous ces hommes étaient pris dans des contradictions sauvages et ne pouvaient pas agir autrement. Hilberg m’a donné raison, il a complètement changé et modifié son jugement sur eux.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous réintéresser aujourd’hui à cet aspect particulièrement douloureux de l’extermination des Juifs d’Europe ?

J’avais entreposé tout ce matériel à l’Holocauste Memorial Museum à Washington, et ils avaient numérisé tout ça. Mais ils l’avaient traité comme un matériel brut qui ne pouvait être accessible qu’aux chercheurs. Il se trouve qu’un jour, à Vienne, il y a cinq ou six ans de cela, j’ai assisté à la projection d’un bout de mon interview brute de Benjamin Murmelstein. Cela m’a totalement révolté. J’ai ressenti ça comme un vol. Je me suis dit : « Mais c’est moi, tout ça ! ». Et c’est là que j’ai décidé de m’y coller, je vais en faire un film qui soit une œuvre. Dans The New Yorker, Richard Brody qui avait vu une partie de cette interview brute, a écrit dans un article : « C’est intéressant, mais pour qu’il y ait de l’art, il faut que ce soit Lanzmann qui le fasse. » C’est ainsi que j’ai pris la décision de réaliser une œuvre véritable de cinéma, quelles que soient les difficultés considérables auxquelles je savais devoir m’affronter.

« Le Dernier des Injustes », c’est ainsi que Murmelstein se décrit lui-même dans le film. Un injuste, un traître, c’est ainsi que beaucoup de gens voient les présidents de Conseils juifs de l’époque, aujourd’hui encore. Ce n’est pas ainsi que vous le présentez dans le film, bien que lui posant parfois des questions très dures, quand vous l’interrogez notamment sur son désir de pouvoir. Vous semblez cependant gagné, au fil des entretiens, par une réelle bienveillance à son égard. Qu’est-ce qui vous a convaincu de la sincérité de sa démarche ?
De vrais collabos - c’est-à-dire des gens partageant l’idéologie des nazis – comme c’était le cas par exemple des collabos français, il n’y en a pas eu parmi les Juifs, sauf à Varsovie peut-être, un groupuscule qu’on appelait les Treize, parce qu’ils habitaient au 13 de la rue Leszno. Leur leader était un certain Gancwajch, qui, lui était un traître, renseignant les Allemands. C’est un cas quasiment unique. Les autres étaient nommés par les Allemands et leur refus signifiait la peine de mort. Ils essayaient de sauver quelque chose, ils croyaient à la rationalité allemande, à savoir que les Allemands avaient besoin du travail juif et que s’ils travaillaient, on ne les tuerait pas. Ils se sont trompés. La mort des Juifs était prioritaire. Pour ce qui est de Murmelstein, on est encore dans un autre cas de figure. J’ai été frappé par sa capacité de répartie, par son savoir, par son intelligence. Je l’ai surtout senti Le dernier des injustes de Claude lanzmannparfaitement sincère. Très souvent, il dit: « On n’avait pas le temps de penser ». C’était justement là la perversité des nazis, tout le temps de nouveaux ordres à exécuter à toute vitesse et tous, plus inexécutables les uns que les autres. Murmelstein confesse tout ça à la fin de très longues heures de discussion :
« On n’a pas vu, on n’a pas prêté assez d’attention… », même lui, qui pourtant ne se faisait aucune illusion sur la cruauté des nazis et leur capacité infinie de tromperie. Il ne ment pas non-plus quand il dit que pour les chambres à gaz il ne savait pas, c’est absolument vrai. Ils avaient peur des déportations de Theresienstadt vers l’Est, mais étaient incapables d’imaginer la réalité de la mort dans les chambres à gaz. Birkenau pour eux – et cela recoupe exactement ce que j’ai montré dans "Shoah" à propos du « camp des familles » tchèques – était une sorte de réplique de Theresienstadt en plus dur. Comme le dit magnifiquement Filip Müller dans "Shoah" : « qui veut vivre est condamné à l’espoir. » Ils voulaient tous vivre.

Des intellectuels comme Hannah Arendt ou Gershom Scholem, que vous avez très bien connu, ont porté des jugements extrêmement durs sur ces présidents des Conseils juifs. Pour Scholem, Murmelstein aurait mérité selon lui d’être pendu. Qu’est-ce qui explique à vos yeux la dureté de ce regard ?
J’ai très bien connu Scholem, il était le témoin de mon mariage à Jérusalem avec Angelika, je n’ai pas connu Hannah Arendt. Scholem était un homme doux, incapable de tuer une mouche sauf entre deux pages d’un des formidables talmuds qui tapissaient sa sublime bibliothèque. Lorsqu’Eichmann a été condamné à la pendaison par le tribunal de Jérusalem, il s’est prononcé contre l’exécution de la sentence, tout en la réclamant irresponsablement pour Murmelstein qui avait été acquitté de tous les chefs d’accusation portés contre lui, devant la justice tchèque, par certains Juifs de Theresienstadt. Ce qui permet à Murmelstein de dire drôlement : « c’est un grand savant, mais il est un peu capricieux avec la pendaison. ».
Murmelstein a fait volontairement 18 mois de prison et des juges qui ne badinaient pas ont ordonné sa libération, nulle charge sérieuse ne pouvant être retenue contre lui, il fut le contraire absolu d’un collaborateur. Il dit de lui-même qu’il était une grande gueule, et qu’il était brutal. C’était aussi sa façon de tenir tête aux Allemands.

Une des grandes révélations historiques du film, c’est l’éclairage totalement nouveau qu’il apporte sur la personnalité d’Eichmann. Celui-ci n’apparait pas du tout ici comme le bureaucrate lambda, incarnation de la « banalité du mal » dont avait parlé la philosophe Hannah Arendt dans son reportage sur le procès de Jérusalem, mais comme un véritable « démon », fanatiquement antisémite, violent, corrompu… Pour vous ce fut une vraie découverte ?
Oui. Je n’ai pas beaucoup suivi le procès Eichmann en 1961 mais ce que j’ai compris par la suite en travaillant à "shoah" c’est que c’était un procès nul, un procès d’ignorants, où le procureur confondait même les lieux. La participation directe d’Eichmann à la Nuit de Cristal n’avait même pas pu être attestée. C’est un procès qui avait été voulu par Ben Gourion, une sorte d’acte fondateur pour la justification de l’existence de la création de l’État d’Israël. C’était un sale procès… Et Hannah Arendt, émigrée aux États-Unis qui n’avait connu tout cela que de très loin, a raconté beaucoup d’absurdités à ce sujet. La banalité du mal, comme l’écrivait Paul Attanasio dans le Washington Post lorsqu’il rendait compte de "Shoah" n’est le plus souvent rien d’autre que la banalité des propres conclusions de Madame Arendt.
(extrait dossier de presse)

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Montmorency (nouveau) - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

Le dernier des injustes de Claude lanzmannZoom nouveauté : "Le dernier des injustes" de Claude Lanzmann

L'histoire
1975. A Rome, Claude Lanzmann filme Benjamin Murmelstein, le dernier Président du Conseil Juif du ghetto de Theresienstadt, seul "doyen des Juifs*" à n’avoir pas été tué durant la guerre. Rabbin à Vienne, Murmelstein, après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938, lutta pied à pied avec Eichmann, semaine après semaine, durant sept années, réussissant à faire émigrer 121.000 juifs et à éviter la liquidation du ghetto.
2012. Claude Lanzmann à 87 ans, sans rien masquer du passage du temps sur les hommes, mais montrant la permanence incroyable des lieux, exhume et met en scène ces entretiens de Rome, en revenant à Theresienstadt, la ville « donnée aux juifs par Hitler », « ghetto modèle », ghetto mensonge élu par Adolf Eichmann pour leurrer le monde. On découvre la personnalité extraordinaire de Benjamin Murmelstein : doué d’une intelligence fascinante et d’un courage certain, d’une mémoire sans pareille, formidable conteur ironique, sardonique et vrai.
A travers ces 3 époques, de Nisko à Theresienstadt et de Vienne à Rome, le film éclaire comme jamais auparavant la genèse de la solution finale, démasque le vrai visage d’Eichmann et dévoile sans fard les contradictions sauvages des Conseils Juifs.
Un film de Claude Lanzmann avec Benjamin Murmelstein

 

Bonus : propos de Claude Lanzmann

ÀLe dernier des injustes de Claude lanzmann quel moment avez-vous songé à consacrer un film à la figure ambiguë de Benjamin Murmelstein, ancien président du Conseil juif de Theresienstadt en Tchécoslovaquie, jusqu’ici souvent tenu pour un « collabo » ? Vous aviez eu un très long entretien avec lui au moment du tournage de SHOAH, à Rome en 1975, pourquoi ne l’avoir pas utilisé à ce moment-là ?
"Shoah" est un film épique, le ton général y est d’un tragique sans rémission. Quand on écoute Benjamin Murmelstein, on voit que ça ne colle pas, que c’est un autre esprit. Pourtant il fut le premier protagoniste avec lequel j’ai tourné. Cela m’avait été très difficile d’obtenir un rendez-vous avec lui, et c’est mon épouse d’alors, l’écrivain allemand Angelika Schrobsdorff - on la disait la plus belle femme d’Allemagne - qui l’avait conquis, car il aimait les femmes. De Jérusalem, nous étions arrivés à Rome avec un matériel de prises de vue et de son formidable, très sophistiqué, mais aussitôt arrivés, notre minibus avait été entièrement pillé par un gang italien organisé. Nous fûmes alors obligés de faire venir du matériel en catastrophe de Paris. Cet incident m’avait un peu assommé, mais j’ai quand même tourné pendant une semaine entière avec Murmelstein.
C’était tellement difficile de faire "Shoah", de la façon dont je l’ai fait, sans commentaire, la construction du film générant d’elle-même sa propre intelligibilité, que si j’avais dû intégrer ce tournage, le film aurait duré au moins vingt heures !
Donc, je me suis dit, on verra plus tard, et j’y ai longtemps renoncé.
La question des Conseils juifs, par tout ce qu’elle implique et met en jeu était très difficile mais aussi déjà présente dans "Shoah". Le paradoxe est que j’aurais pu avoir un président de conseil vivant, Murmelstein et que toute l’imprégnation tragique de "Shoah" m’a conduit à le remplacer par un président de conseil mort, Adam Czerniakow, de Varsovie qui s’est suicidé en juillet 1942, le premier jour des déportations pour Treblinka. Dans "Shoah", c’est Raül Le dernier des injustes de Claude lanzmannHilberg qui l’incarne, en commentant le journal tenu chaque jour par Czerniakow jusqu’à son suicide et dont il venait d’assurer la publication aux États-Unis, et de rédiger la préface. Hilberg, avant d’avoir lu sur mes conseils ce journal, était très violemment opposé à tous ces gens, à tous les notables juifs contraints de « collaborer » avec les Allemands. Alors, j’ai longuement discuté avec lui, je lui ai démontré que tous ces hommes étaient pris dans des contradictions sauvages et ne pouvaient pas agir autrement. Hilberg m’a donné raison, il a complètement changé et modifié son jugement sur eux.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous réintéresser aujourd’hui à cet aspect particulièrement douloureux de l’extermination des Juifs d’Europe ?

J’avais entreposé tout ce matériel à l’Holocauste Memorial Museum à Washington, et ils avaient numérisé tout ça. Mais ils l’avaient traité comme un matériel brut qui ne pouvait être accessible qu’aux chercheurs. Il se trouve qu’un jour, à Vienne, il y a cinq ou six ans de cela, j’ai assisté à la projection d’un bout de mon interview brute de Benjamin Murmelstein. Cela m’a totalement révolté. J’ai ressenti ça comme un vol. Je me suis dit : « Mais c’est moi, tout ça ! ». Et c’est là que j’ai décidé de m’y coller, je vais en faire un film qui soit une œuvre. Dans The New Yorker, Richard Brody qui avait vu une partie de cette interview brute, a écrit dans un article : « C’est intéressant, mais pour qu’il y ait de l’art, il faut que ce soit Lanzmann qui le fasse. » C’est ainsi que j’ai pris la décision de réaliser une œuvre véritable de cinéma, quelles que soient les difficultés considérables auxquelles je savais devoir m’affronter.

« Le Dernier des Injustes », c’est ainsi que Murmelstein se décrit lui-même dans le film. Un injuste, un traître, c’est ainsi que beaucoup de gens voient les présidents de Conseils juifs de l’époque, aujourd’hui encore. Ce n’est pas ainsi que vous le présentez dans le film, bien que lui posant parfois des questions très dures, quand vous l’interrogez notamment sur son désir de pouvoir. Vous semblez cependant gagné, au fil des entretiens, par une réelle bienveillance à son égard. Qu’est-ce qui vous a convaincu de la sincérité de sa démarche ?
De vrais collabos - c’est-à-dire des gens partageant l’idéologie des nazis – comme c’était le cas par exemple des collabos français, il n’y en a pas eu parmi les Juifs, sauf à Varsovie peut-être, un groupuscule qu’on appelait les Treize, parce qu’ils habitaient au 13 de la rue Leszno. Leur leader était un certain Gancwajch, qui, lui était un traître, renseignant les Allemands. C’est un cas quasiment unique. Les autres étaient nommés par les Allemands et leur refus signifiait la peine de mort. Ils essayaient de sauver quelque chose, ils croyaient à la rationalité allemande, à savoir que les Allemands avaient besoin du travail juif et que s’ils travaillaient, on ne les tuerait pas. Ils se sont trompés. La mort des Juifs était prioritaire. Pour ce qui est de Murmelstein, on est encore dans un autre cas de figure. J’ai été frappé par sa capacité de répartie, par son savoir, par son intelligence. Je l’ai surtout senti Le dernier des injustes de Claude lanzmannparfaitement sincère. Très souvent, il dit: « On n’avait pas le temps de penser ». C’était justement là la perversité des nazis, tout le temps de nouveaux ordres à exécuter à toute vitesse et tous, plus inexécutables les uns que les autres. Murmelstein confesse tout ça à la fin de très longues heures de discussion :
« On n’a pas vu, on n’a pas prêté assez d’attention… », même lui, qui pourtant ne se faisait aucune illusion sur la cruauté des nazis et leur capacité infinie de tromperie. Il ne ment pas non-plus quand il dit que pour les chambres à gaz il ne savait pas, c’est absolument vrai. Ils avaient peur des déportations de Theresienstadt vers l’Est, mais étaient incapables d’imaginer la réalité de la mort dans les chambres à gaz. Birkenau pour eux – et cela recoupe exactement ce que j’ai montré dans "Shoah" à propos du « camp des familles » tchèques – était une sorte de réplique de Theresienstadt en plus dur. Comme le dit magnifiquement Filip Müller dans "Shoah" : « qui veut vivre est condamné à l’espoir. » Ils voulaient tous vivre.

Des intellectuels comme Hannah Arendt ou Gershom Scholem, que vous avez très bien connu, ont porté des jugements extrêmement durs sur ces présidents des Conseils juifs. Pour Scholem, Murmelstein aurait mérité selon lui d’être pendu. Qu’est-ce qui explique à vos yeux la dureté de ce regard ?
J’ai très bien connu Scholem, il était le témoin de mon mariage à Jérusalem avec Angelika, je n’ai pas connu Hannah Arendt. Scholem était un homme doux, incapable de tuer une mouche sauf entre deux pages d’un des formidables talmuds qui tapissaient sa sublime bibliothèque. Lorsqu’Eichmann a été condamné à la pendaison par le tribunal de Jérusalem, il s’est prononcé contre l’exécution de la sentence, tout en la réclamant irresponsablement pour Murmelstein qui avait été acquitté de tous les chefs d’accusation portés contre lui, devant la justice tchèque, par certains Juifs de Theresienstadt. Ce qui permet à Murmelstein de dire drôlement : « c’est un grand savant, mais il est un peu capricieux avec la pendaison. ».
Murmelstein a fait volontairement 18 mois de prison et des juges qui ne badinaient pas ont ordonné sa libération, nulle charge sérieuse ne pouvant être retenue contre lui, il fut le contraire absolu d’un collaborateur. Il dit de lui-même qu’il était une grande gueule, et qu’il était brutal. C’était aussi sa façon de tenir tête aux Allemands.

Une des grandes révélations historiques du film, c’est l’éclairage totalement nouveau qu’il apporte sur la personnalité d’Eichmann. Celui-ci n’apparait pas du tout ici comme le bureaucrate lambda, incarnation de la « banalité du mal » dont avait parlé la philosophe Hannah Arendt dans son reportage sur le procès de Jérusalem, mais comme un véritable « démon », fanatiquement antisémite, violent, corrompu… Pour vous ce fut une vraie découverte ?
Oui. Je n’ai pas beaucoup suivi le procès Eichmann en 1961 mais ce que j’ai compris par la suite en travaillant à "shoah" c’est que c’était un procès nul, un procès d’ignorants, où le procureur confondait même les lieux. La participation directe d’Eichmann à la Nuit de Cristal n’avait même pas pu être attestée. C’est un procès qui avait été voulu par Ben Gourion, une sorte d’acte fondateur pour la justification de l’existence de la création de l’État d’Israël. C’était un sale procès… Et Hannah Arendt, émigrée aux États-Unis qui n’avait connu tout cela que de très loin, a raconté beaucoup d’absurdités à ce sujet. La banalité du mal, comme l’écrivait Paul Attanasio dans le Washington Post lorsqu’il rendait compte de "Shoah" n’est le plus souvent rien d’autre que la banalité des propres conclusions de Madame Arendt.
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