Les 50 ans des "Toiles" de Saint-Gratien (2ème partie) : « Nous avons un public enthousiaste qui nous fait confiance ! »

Après avoir évoqué la création des Toiles de Saint-Gratien et son histoire chaotique (1ère partie), il est temps de prendre des nouvelles du cinéma actuel en compagnie de Séverine Rocaboy, la directrice programmatrice de l'établissement. (sur la photo : en compagnie de Richard Stencel, responsable Jeunes Publics Cinéma)

Séverine, nous avons fêté les 50 ans du cinéma. Evoquons aujourd'hui la situation actuelle : comment se porte "Les Toiles" ?
Je dirais que nous avons terminé l'année... "En fanfare" ! Le film d'Emmanuel Courcol est devenu le plus gros succès 2024 pour notre cinéma. Les autres tops de l'année : "Vingt Dieux" le premier film de Louise Courvoisier, "La zone d'intérêt" de Jonathan Glazer, "La petite vadrouille" de notre ami Bruno Podalydès et "Le dernier des Juifs" de Noé Debré.

Je remarque que les comédies ont bien fonctionné et que le difficile film "La zone d'intérêt" a trouvé son public…
Ah oui, dans un cinéma d'Art et d'Essai, ils ne sont pas là pour rigoler… diront certains ! (rires)  Au contraire, quand il y a des comédie de qualité, il ne faut pas s'en priver !!
En ce quiconcerne le film "La zone d'intérêt", nous avons fait un gros travail d'animation auprès des scolaires en faisant intervenir un critique et un historien de renom. Quant au film "Le dernier des juifs", nous étions les seuls dans la région à programmer cette comédie. Et la venue du réalisateur Noé Debré et du comédien Michael Zindel a connu un très grand succès auprès du public des "Toiles".

Avez-vous perçu un changement dans le comportement des spectateurs ces dernières années ?
Aujourd'hui, on remarque évidemment que le public cinéphile vieillit mais tout le travail fait auprès du jeune public porte ses fruits. Souvent l'ado se détourne des "Toiles" pour voir les blockbusters mais, adulte, il revient. Je le retrouve lors des animations et rencontres qui rassemblent un public varié.
D'autre part, les réseaux sociaux nous permettent de tisser un lien de proximité plus fort avec les spectateurs.
Enfin, la période du Covid nous a conduit à nous doter d'un site internet avec une billetterie en ligne qui se révèle très utilisée, surtout lors des gros évènements programmés.

Vous avez évoqué la rénovation du cinéma en 2017. Cela a représenté une étape importante dans l'essor des "Toiles" ?
Oui, cela a représenté un grand évènement dans la vie du cinéma. Pendant neuf mois (d'avril 2026 à janvier 2017), le cinéma a été fermé pour des travaux qui devenaient indispensables. Et maintenant, il me semble que l'équipement est accueillant et chaleureux.
Pour l'anecdote, une personne a trouvé que la programmation était meilleure depuis la réouverture du cinéma, avant d'ajouter… « C'est vachement mieux depuis qu'il y a une nouvelle équipe ! » Quand je lui ai dit que l'équipe est restée identique… il a eu du mal à me croire ! Comme quoi, quand une salle est vieillotte, les films ne sont pas bien mis en valeur…

Un autre atout du cinéma s'avère le prix des places ?
Oui il n'y a plus que les salles publiques comme la nôtre pour pouvoir proposer un tarif modeste (5 € avec la carte d'abonnement).
La tendance actuelle serait de vider les salles de leur personnel alors que pour moi, un vrai cinéma doit fonctionner avec des projectionnistes très formés, des caissiers avec des étudiants cinéma, une directrice programmatrice et un super responsable Jeunes Publics !

A propos des ciné-rencontres que vous organisez, comment procédez-vous ?
J'ai tendance à dire : la meilleure chose pour faire plaisir aux autres c'est de se faire plaisir également, par conséquent j'aime faire émerger de jeunes cinéastes, à côté des réalisateurs confirmés.
Dans l'industrie, les entreprises ont toutes un département "Recherches et Découvertes", alors "Les Toiles" ont un peu ce rôle au sein du milieu cinématographique.
Rappelez-vous : nous avons programmé "La Bataille de Solférino" de Justine Triet en 2013. Le film n'a pas connu un très grand succès mais est-ce que la réalisatrice aurait signé "Sybil" ou "Anatomie d'une chute" si nous n'avions pas accompagné ses premiers pas… ?
Nous invitons les jeunes cinéastes, nous démarrons une histoire avec eux et le lien se tisse avec la salle, avec les spectateurs. Mais, à chaque fois, rien n'est gagné !
En 2024, Raphaël Grisey est venu présenter "Les voix croisées", un documentaire sur une coopérative de travailleurs immigrés au Mali. Qui avait entendu parler de ce film ? Résultat : une salle pleine pour accueillir le cinéaste ! Nous avons un public enthousiaste qui nous fait confiance !
Evidemment c'est plus facile d'inviter les cinéastes français mais nous sommes aussi fiers d'avoir accueilli le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho ("Bacurau") ou le metteur en scène italien Gianfranco Rosi ("Notturno") sans oublier évidemment  Fred Wiseman !

Le cinéma "Les Toiles" réalise aussi un travail souvent méconnu auprès du public scolaire. En quoi consiste-t-il ?
Sous la houlette de Richard Stencel, responsable Jeunes Publics, le cinéma accueille de nombreuses classes qui suivent  les programmes "école au cinéma", "collège au cinéma" et "lycée au cinéma". Au programme : de nombreux films comme "Le Mécano de la Générale" de Buster Keaton ou bien "Bienvenue à Gattaca" d'Andrew Niccol qu'ils étudient ensuite avec leurs professeurs.
D'autre part, nous avons intégralement conçu le projet "La situation est critique mais pas désespérée" : des critiques de cinéma professionnels animent dans des lycées des ateliers d'écriture avec les élèves et nous projetons aux élèves les films soumis à la critique. Et chaque année, le cinéma "Les Toiles" organise une soirée réunissant les participants et édite un recueil avec les meilleurs critiques. C'est vraiment un dispositif très intéressant dont nous sommes fiers !

Terminons en nous projetant sur l'année 2025 !
Nous sommes en janvier et c'est toujours une période délicate. En effet, nous avons fait 64 000 entrées en 2024. Un très bon résultat mais, comme chaque année, nous remettons les compteurs à zéro et donc une nouvelle page blanche à écrire avec le public !
Et, côté tendance, je trouve que les films documentaires sont vecteurs de dynamisme dans le paysage cinématographique et je souhaite continuer à les mettre en avant dans la programmation des "Toiles". Le public s'est régalé en découvrant par exemple "La rivière" de Dominique marchais ou bien "Au cœur des volcans" de Werner Herzog !
Prochainement nous accueillerons Claire Simon pour son magnifique film "Apprendre" qui se déroule dans une école élémentaire. Puis, un peu plus tard, nous recevrons le réalisateur Guillaume Brac qui nous présentera son magnifique documentaire "Ce n'est qu'un au revoir" qui met en scène des lycéens de Die dans la Drôme.
Les documentaires ne bénéficient pas d'une grande promotion alors que la vitalité du cinéma est là pour l'instant. Alors ne manquez pas nos prochains rendez-vous !

Grand merci à Séverine pour sa disponibilité et longue vie aux "Toiles" de Saint-Gratien !