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Mercredi cinéma : "Tiens-toi droite" de Katia Lewkowicz avec Noémie Lvovsky, Marina Foïs, Laura Smet.

Publié le : 26-11-2014

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien (ugc) - Enghien (centre des arts),  Franconville - Montmorency - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mardi et mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

TIENS TA DROITE de Katia LewkowiczZoom cinéma : "Tiens-toi droite" de Katia Lewkowicz

L'histoire
Louise, Sam, Lili. Trois femmes qui ne se connaissent pas mais dont la volonté farouche d’évolution va les faire se rencontrer, se rejoindre, se juxtaposer.
C’est l’histoire de Louise qui quitte le pressing de famille pour travailler dans une grande entreprise de fabrication de poupée où l'a pistonnée son amant.
De Lili, Miss Nouvelle-Calédonie, qui fait la rencontre d'un riche industriel.
De Sam, mère de famille nombreuse, qui décide de prendre son indépendance.
Il y a la pression de leurs mères, de leurs sœurs, de leurs amies.
Il y a leurs hommes qui disparaissent. Il y a leurs filles qui les regardent, les imitent.
Et il y a la conception de ce nouveau modèle de poupée, enfin à l'image de la femme.
Mais est-ce le modèle qui doit s’adapter à la femme ou l’inverse ?
Un film de de Katia Lewkowicz avec Marina Foïs, Noémie Lvovsky, Laura Smet.

 

Bonus : propos de Katia Lewkowicz, réalisatrice du film

"Tiens-toi droite" succède à un premier film, "Pourquoi tu pleures ?". Et à un court-métrage "C’est pour quand ?" Comment comprendre ce goût de l’apostrophe dans vos titres ? Que signifie cette répétition de l’adresse directe faite aux personnages qui semblent toujours obligés de répondre à ce qu’on attend d’eux ?
Obligés de répondre à ce qu’on attend d’eux, c’est exactement ça ! C’est ce qui m’intéresse au TIENS TA DROITE de Katia Lewkowiczfond : une pression vécue au quotidien, toute une série de choses imposées par l’extérieur ou par nous-mêmes, de vieux schémas, de vieilles valeurs que l’on nous a transmis et que nous allons nous-mêmes transmettre, valeurs auxquelles nous n’avons jamais pris le temps de réfléchir. L’accumulation de petites choses au quotidien crée un étouffement. Et c’est ce sentiment que je cherche à filmer, à défaut de le comprendre. Le film s’appelait au début "Etats de femmes". Je voulais faire un état des lieux presque exhaustif de l’accumulation des tensions qui nous traversent, sans chercher à livrer une vérité absolue, mais plutôt à identifier la multiplicité des attitudes possibles.
Puis pendant le tournage c’est devenu, "Des états de femmes". Je voulais que mes comédiennes soient « habitées », je leur répétais régulièrement ce titre comme un leitmotiv: ce doit être « des états de femmes »...
J’ai finalement trouvé le titre au montage. Ce n’est plus un questionnement comme dans mes films précédents mais une injonction : Tiens-toi droite.

Comment le récit s’est-il agencé ?
J’essaie d’exprimer un sentiment. Une sensation, une émotion, un état. Et je ne pouvais pas l’exprimer de façon linéaire. Il n’y a pas une vérité que je détiendrais et que je veux livrer. Mais plutôt plusieurs points de vue qui s’entrechoquent et qui nous mettent dans une impasse.
Très vite j’ai pensé au jazz. Ces instruments qui font des solos puis se répondent, s’accompagnent. Et aux toiles impressionnistes, des touches de couleurs, une accumulation de détails qui forment un tableau.
Je ne suis pas très attachée au principe d’une narration classique, je préfère jouer avec les préjugés, les clichés, déconstruire. Je voulais placer le spectateur dans le domaine de la sensation, pas dans des enjeux dramatiques tels qu’on a l’habitude de les voir avec les 3 actes, les éléments qui empêchent ; etc.
Je rêve d’une narration où avec toute ma force de conviction je ferais la moitié du chemin. Et j’espère un spectateur qui complète… le moment où il se dira : je connais cela, ces mêmes paroles je les ai déjà murmurées… Je fais en quelque sorte le « pari » de l’empathie. Je lui tends la main, mais il faut qu’il ait envie de la prendre.

N’y-a-t-il pas un risque de brouiller un peu la clarté du récit ?
Non, cela permet d’avoir plusieurs niveaux de lectures. Peu importe si on ne suit pas tous les fils. Le principal c’est d’en tenir un !
On suit cette mère de famille débordée, dans la satisfaction de son statut de mère au foyer, et qui va se retrouver écrasée par le poids de la culpabilité. TIENS TA DROITE de Katia LewkowiczLe thème de la culpabilité, tout le monde le suit, non ? La construction de la poupée on la suit. Le blog, les sept jours, le « il y eut un soir, il y eut un matin » comme nouvelle traduction de la genèse, on suit… Finalement peu importe si on ne sait pas que c’est la bible.

Pourquoi la culpabilité vous intéresse-t-elle ?

La culpabilité, c’est très fort. On la porte tous en nous. Ce que je voulais raconter, c’est cette culpabilité spécifiquement féminine : l’oppression des femmes, par elles-mêmes. Souvent, mes personnages disent : « Je ne sais pas ». C’est un autre motif important du film. On ne sait pas pourquoi on porte toutes cette culpabilité originelle d’être femme.

Pourquoi la poupée s’est imposée comme l’objet central autour duquel le film se déploie ?
Pour permettre de suivre l’évolution de ces femmes de façon ludique. On a trois personnages de femmes au départ indépendantes qui, au fur et à mesure qu’elles essaient de se construire, vont se rejoindre pour finir par se confondre et créer un modèle unique.
Chacune voulant devenir l’autre : être à la fois « la maman et la putain », la mère au foyer qui se met à travailler, la « working-girl » qui essaie d’aimer.
Chacune désirant devenir un bout de l’autre. J’ai eu envie de matérialiser cette construction de façon concrète. Qu’on puisse parler des thèmes de l’évolution de la femme, du modèle, tout en restant dans un registre qui ne soit pas revendicatif.

Pourquoi cherchez-vous à remplir le cadre de mille mouvements permanents ? D’où vient ce tropisme de l’agitation et de la multitude ?
Le seul motif qui m’intéresse, c’est un être dans une foule. Deux personnes qui se parlent, ce n’est pas mon langage. Dès que j’écris, c’est forcément l’évocation d’un être combatif, dans la société, le monde, la foule.
J’imagine que je ne fais que répéter une sorte de scène primitive. Chez moi, il y a toujours eu beaucoup de monde. J’aime le bruit, la famille, la ville, le chaos. Je ne visualise pas la vie autrement ; un être ne s’explique pas tout seul, il s’explique en opposition à d’autres corps, à d’autres énergies. Cette agitation est évidemment épuisante. Cela ne s’arrête jamais. J’ai dans ma vie ce sentiment qu’il faut toujours avancer, qu’on ne peut pas se poser.

Pour en revenir à cette énergie palpable dans chaque plan, comment avez-vous orchestré le tournage ?
J’ai eu trois tournages, trois ambiances de films avec chaque actrice. Avec Noémie, j’étais dans une ambiance de match de boxe ; on se cherchait. Elle vise toujours une grande sincérité et cherche tous les moyens pour l’obtenir. Un jour, avant de tourner elle m‘a appelée et m’a dit : « jurez-moi que vous ne me laisserez pas tricher ». Marina aussi cherche beaucoup de choses. Elle possède une qualité que j’adore : elle s’autorise tout. Et de fait, vous autorise à tout lui demander. Elle cherche le dépassement. Laura, elle, est très solaire. Généreuse. Tout en instinct... Elle a un rapport animal avec la caméra, les situations... Elle n’avait pas tourné depuis longtemps et j'ai vraiment la sensation que l'on a fait ce film main dans la main.
Elles sont différentes, mais toutes très investies. On était sans cesse debout, dans une énergie constante, on ne se posait jamais. J’ai beaucoup filmé, sans couper, pour trouver le moment juste. Je n’ai pas laissé respirer les actrices, je les ai asphyxiées, je les ai mises sous pression. Je me suis agitée. J’ai marché des kilomètres. Je voulais du mouvement perpétuel dans le cadre. Dès qu’une fille sort du cadre, une autre rentre. Comme si mon intranquillité devait s’exposer et s’imprimer dans le plan.

Comment avez-vous cherché à articuler la place des hommes dans le film ?
Je voulais à tout prix éviter l’opposition homme-femme. Ce n’était pas mon sujet. Je voulais traiter de l’oppression des femmes par les femmes. Il y a donc eu la tentation de faire un film sans homme. Mais c’est compliqué d’identifier une femme sans référence à un homme… Alors est venue l’idée de les faire disparaître petit à petit. De les affaiblir. Je voulais que les hommes soient près des femmes, qu’ils essaient de les accompagner, qu’ils les regardent se débattre en leur disant : si tu as besoin de moi, je suis là. Mais qu’elles ne les voient plus, trop concentrées sur leur chemin. Cet aveuglement n’est pas un geste hostile à leur égard, mais elles sont trop obnubilées par elles-mêmes, par leur évolution.

TIENS TA DROITE de Katia LewkowiczEt les enfants ? Les jeunes filles, pré-ado, comment avez-vous voulu les représenter ?
Le rapport mère-fille me passionne. Je voulais qu’il y ait un rappel de la sexualité naissante des filles, en contre-point de ces femmes qui ne voient plus les hommes. Les mères ne voient plus leurs filles non plus. Je voulais des jeunes actrices pleines de vitalité, voyant les mères se débattre. J’ai pris les filles les plus belles que j’ai vues. Je voulais une image de la beauté enfantine à la Botticelli. Qu’est-ce qu’on va leur laisser à ces filles ? Elles regardent, observent, imitent leurs aînées. J’ai réfléchi à la notion d’enfant-roi ; aujourd’hui, c’est la femme de 13 ans qui décide; je voulais en arriver là. Je suis assez sidérée par ces jeunes filles qui veulent très vite devenir femmes et restent prisonnières des plus gros clichés, ne parlent que de mariage, jouent avec ça. Sur le rapport à la sexualité, j’ai volontairement pris des filles assez petites pour que cela reste comique et que cela ne dépasse pas un niveau d’ambiguïté glauque.

Qu’est ce qui vous touche, au fond, chez ces personnages ?
Elles se rêvent en héroïnes, mais sont tout simplement humaines. Donner à voir des humains c’est pour moi montrer nos faiblesses et les comprendre. Mais pas au sens intellectuel. Plutôt comprendre comme « cela fait partie de moi ». Les héroïnes parfaites m’ennuient. Je les voulais actives, en mouvement, contradictoires, ce sont des vraies guerrières, des guerrières par nécessité. Elles avancent dans l’instant, chacune avec leurs armes, sans trop réfléchir. C’est l’histoire qui les conduit ; je ne crois pas aux héros qui prennent des décisions, mes personnages se font prendre par ce qui les dépasse.
Je crois que ça correspond pour moi au deuil perpétuel. Le fait d’être toujours en deuil d’une partie de soi. Ah ! Réussir à être les trois femmes en même temps… C’est une forme de quête…

"Tiens-toi droite", faut-il l’entendre comme une règle de politesse imposée ou comme la nécessité de garder la tête haute dans une époque violente qui accable ?
C’est plus que cela dans mon esprit ! C’est ce que j’ai envie de dire à tout le monde, tout le temps. Tenons-nous droit, ne lâchons rien, ne descendons pas au-dessous du seuil minimal d’estime de soi. Relevons le menton et continuons d’avancer. Je pensais aux filles qui marchent, qui avancent ; j’ai envie de leur demander : mais d’où vient-on, qu’est-ce qu’on fait et vers où on va. Pourquoi on avance aussi vite, comme des amazones dans la rue ? C’est cette énergie de frondeuse que je souhaitais raconter. Essayer de dépeindre toutes les femmes différentes qui sont en nous.

Après la famille et le mariage, motifs centraux de "Pourquoi tu pleures ?", vous abordez la question du travail, de la féminité à l’âge de la maturité, de la transmission… Est-ce le désenchantement du quotidien que vous avez voulu capter ?
Je ne perçois pas du tout cela comme un désenchantement mais comme une vie qui avance… Pleine de remous, de contradictions, et d’avancées. Et parfois de renoncements, mais des renoncements consentis…
C’est une suite naturelle comme une chaine animalière. On élimine un insecte qui nous empêche de vivre, c’est un progrès, mais c’est tout l’écosystème qui est déréglé. Et comme on a beaucoup évolué ces dernières années concernant la question du féminin, je me suis dit qu’il serait intéressant de voir où en était notre écosystème.

Pourquoi l’air du temps est-il à votre avis obsédé par cette question ?
Je trouve que l’on s’est littéralement surchargé, nous, les femmes.
Notre volonté de progrès et d’évolution a fait de nous des humains submergés. Dans la vie quotidienne, on se surcharge, on ne se laisse pas en paix, on est d’une exigence telle que souvent le sentiment de ne pas être à la hauteur l’emporte. D’où cette idée du désenchantement qui plane partout. Tout le monde en ressent les effets. C’est ce que j’observe autour de moi, ce que je ressens subjectivement. On est tous sur un fil. C’est de ce sentiment qu’est arrivé le constat de l’oppression personnelle…
Cette impression d’avoir en permanence une partie de soi en deuil, de ne jamais pouvoir profiter de quelque chose. Pourquoi lorsqu’on se sent bien dans TIENS TA DROITE de Katia Lewkowiczun contexte familial, est-on rattrapé par la culpabilité du travail ? Quand on travaille, c’est la question de l’amour qui se pose. Quand on est dans un duo amoureux, la culpabilité de n’être pas en train de s’occuper de ses enfants… Ou de ne pas en avoir. Bref, le sentiment concret d’avoir trois féminités à l’intérieur d’un même corps, qui luttent… Chacune revendiquant sa place. C’est ce tourbillon permanent que j’avais envie de raconter.

Etes-vous sensible aux combats féministes d’aujourd’hui ?

On est évidemment les héritières des combats féministes d’hier. Je serai peut-être nostalgique d’une époque où il y avait plus de place pour le combat. Aujourd’hui dire simplement qu’il faut combattre, c’est se positionner à une mauvaise place, à mon avis. Je n’ai pas de revendication particulière. Où plutôt, il y en a tellement qu’il faut trouver une nouvelle façon d’agir.
Je souhaiterais ne pas me battre pour l’égalité mais trouver la force de me positionner pour que cette égalité soit mon évidence. Je suis l’égale de l’homme. Ce n’est pas un débat. Ce n’est pas discutable. J’ai la chance de vivre dans une démocratie dont le mouvement, trop lent, certes, est en faveur des femmes. Nous sommes différents, oui mais égaux en droits.
L’idée du film est venue après un dîner, où j’étais assise à côté d’une femme de mon âge qui ne faisait rien dans la vie : ce rien la satisfaisait complètement. Or, je me suis retrouvée désemparée face à cette fille ; pourquoi ai-je perçu cette inactivité comme un renoncement, alors qu’elle le vivait très bien elle-même ? Je suis partie de ce questionnement.
Mon sujet, c’était l’évolution de la femme. Alors je suis partie d’images d’Epinal. Celles des années 50. Quand partout, en publicité surtout, l’image des femmes était claire. Il y avait celle en tablier devant son four, un gigot à la main. Il y avait Marilyn, les miss, ces filles belles, blondes, fantasmées aux cerveaux inconséquents qu’on admire encore. Et la femme active qui n’a le temps de rien, tailleur, regard perçant, qui cherche à gagner du temps. Trois profils féminins qui restent totalement dissociés. Or, aujourd’hui, les femmes veulent être tout cela à la fois. Comme si on cherchait à réunir ces trois modèles en une seule personne. J’ai voulu donc prendre les images iconiques et m’aventurer à partir d’elles. Voilà mon fil rouge : ce passage entre les trois modèles. L’entrée des miss et des femmes au foyer dans le monde de l’industrie. Comment les icônes féminines sont devenues des « modèles », des stars de blog… J’ai construit "Tiens-toi droite" comme un film historique bourré d’anachronismes : c’est l’histoire de la femme des années 50 à celle d’aujourd’hui.
(extrait dossier de presse)

 

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
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Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

TIENS TA DROITE de Katia LewkowiczZoom cinéma : "Tiens-toi droite" de Katia Lewkowicz

L'histoire
Louise, Sam, Lili. Trois femmes qui ne se connaissent pas mais dont la volonté farouche d’évolution va les faire se rencontrer, se rejoindre, se juxtaposer.
C’est l’histoire de Louise qui quitte le pressing de famille pour travailler dans une grande entreprise de fabrication de poupée où l'a pistonnée son amant.
De Lili, Miss Nouvelle-Calédonie, qui fait la rencontre d'un riche industriel.
De Sam, mère de famille nombreuse, qui décide de prendre son indépendance.
Il y a la pression de leurs mères, de leurs sœurs, de leurs amies.
Il y a leurs hommes qui disparaissent. Il y a leurs filles qui les regardent, les imitent.
Et il y a la conception de ce nouveau modèle de poupée, enfin à l'image de la femme.
Mais est-ce le modèle qui doit s’adapter à la femme ou l’inverse ?
Un film de de Katia Lewkowicz avec Marina Foïs, Noémie Lvovsky, Laura Smet.

 

Bonus : propos de Katia Lewkowicz, réalisatrice du film

"Tiens-toi droite" succède à un premier film, "Pourquoi tu pleures ?". Et à un court-métrage "C’est pour quand ?" Comment comprendre ce goût de l’apostrophe dans vos titres ? Que signifie cette répétition de l’adresse directe faite aux personnages qui semblent toujours obligés de répondre à ce qu’on attend d’eux ?
Obligés de répondre à ce qu’on attend d’eux, c’est exactement ça ! C’est ce qui m’intéresse au TIENS TA DROITE de Katia Lewkowiczfond : une pression vécue au quotidien, toute une série de choses imposées par l’extérieur ou par nous-mêmes, de vieux schémas, de vieilles valeurs que l’on nous a transmis et que nous allons nous-mêmes transmettre, valeurs auxquelles nous n’avons jamais pris le temps de réfléchir. L’accumulation de petites choses au quotidien crée un étouffement. Et c’est ce sentiment que je cherche à filmer, à défaut de le comprendre. Le film s’appelait au début "Etats de femmes". Je voulais faire un état des lieux presque exhaustif de l’accumulation des tensions qui nous traversent, sans chercher à livrer une vérité absolue, mais plutôt à identifier la multiplicité des attitudes possibles.
Puis pendant le tournage c’est devenu, "Des états de femmes". Je voulais que mes comédiennes soient « habitées », je leur répétais régulièrement ce titre comme un leitmotiv: ce doit être « des états de femmes »...
J’ai finalement trouvé le titre au montage. Ce n’est plus un questionnement comme dans mes films précédents mais une injonction : Tiens-toi droite.

Comment le récit s’est-il agencé ?
J’essaie d’exprimer un sentiment. Une sensation, une émotion, un état. Et je ne pouvais pas l’exprimer de façon linéaire. Il n’y a pas une vérité que je détiendrais et que je veux livrer. Mais plutôt plusieurs points de vue qui s’entrechoquent et qui nous mettent dans une impasse.
Très vite j’ai pensé au jazz. Ces instruments qui font des solos puis se répondent, s’accompagnent. Et aux toiles impressionnistes, des touches de couleurs, une accumulation de détails qui forment un tableau.
Je ne suis pas très attachée au principe d’une narration classique, je préfère jouer avec les préjugés, les clichés, déconstruire. Je voulais placer le spectateur dans le domaine de la sensation, pas dans des enjeux dramatiques tels qu’on a l’habitude de les voir avec les 3 actes, les éléments qui empêchent ; etc.
Je rêve d’une narration où avec toute ma force de conviction je ferais la moitié du chemin. Et j’espère un spectateur qui complète… le moment où il se dira : je connais cela, ces mêmes paroles je les ai déjà murmurées… Je fais en quelque sorte le « pari » de l’empathie. Je lui tends la main, mais il faut qu’il ait envie de la prendre.

N’y-a-t-il pas un risque de brouiller un peu la clarté du récit ?
Non, cela permet d’avoir plusieurs niveaux de lectures. Peu importe si on ne suit pas tous les fils. Le principal c’est d’en tenir un !
On suit cette mère de famille débordée, dans la satisfaction de son statut de mère au foyer, et qui va se retrouver écrasée par le poids de la culpabilité. TIENS TA DROITE de Katia LewkowiczLe thème de la culpabilité, tout le monde le suit, non ? La construction de la poupée on la suit. Le blog, les sept jours, le « il y eut un soir, il y eut un matin » comme nouvelle traduction de la genèse, on suit… Finalement peu importe si on ne sait pas que c’est la bible.

Pourquoi la culpabilité vous intéresse-t-elle ?

La culpabilité, c’est très fort. On la porte tous en nous. Ce que je voulais raconter, c’est cette culpabilité spécifiquement féminine : l’oppression des femmes, par elles-mêmes. Souvent, mes personnages disent : « Je ne sais pas ». C’est un autre motif important du film. On ne sait pas pourquoi on porte toutes cette culpabilité originelle d’être femme.

Pourquoi la poupée s’est imposée comme l’objet central autour duquel le film se déploie ?
Pour permettre de suivre l’évolution de ces femmes de façon ludique. On a trois personnages de femmes au départ indépendantes qui, au fur et à mesure qu’elles essaient de se construire, vont se rejoindre pour finir par se confondre et créer un modèle unique.
Chacune voulant devenir l’autre : être à la fois « la maman et la putain », la mère au foyer qui se met à travailler, la « working-girl » qui essaie d’aimer.
Chacune désirant devenir un bout de l’autre. J’ai eu envie de matérialiser cette construction de façon concrète. Qu’on puisse parler des thèmes de l’évolution de la femme, du modèle, tout en restant dans un registre qui ne soit pas revendicatif.

Pourquoi cherchez-vous à remplir le cadre de mille mouvements permanents ? D’où vient ce tropisme de l’agitation et de la multitude ?
Le seul motif qui m’intéresse, c’est un être dans une foule. Deux personnes qui se parlent, ce n’est pas mon langage. Dès que j’écris, c’est forcément l’évocation d’un être combatif, dans la société, le monde, la foule.
J’imagine que je ne fais que répéter une sorte de scène primitive. Chez moi, il y a toujours eu beaucoup de monde. J’aime le bruit, la famille, la ville, le chaos. Je ne visualise pas la vie autrement ; un être ne s’explique pas tout seul, il s’explique en opposition à d’autres corps, à d’autres énergies. Cette agitation est évidemment épuisante. Cela ne s’arrête jamais. J’ai dans ma vie ce sentiment qu’il faut toujours avancer, qu’on ne peut pas se poser.

Pour en revenir à cette énergie palpable dans chaque plan, comment avez-vous orchestré le tournage ?
J’ai eu trois tournages, trois ambiances de films avec chaque actrice. Avec Noémie, j’étais dans une ambiance de match de boxe ; on se cherchait. Elle vise toujours une grande sincérité et cherche tous les moyens pour l’obtenir. Un jour, avant de tourner elle m‘a appelée et m’a dit : « jurez-moi que vous ne me laisserez pas tricher ». Marina aussi cherche beaucoup de choses. Elle possède une qualité que j’adore : elle s’autorise tout. Et de fait, vous autorise à tout lui demander. Elle cherche le dépassement. Laura, elle, est très solaire. Généreuse. Tout en instinct... Elle a un rapport animal avec la caméra, les situations... Elle n’avait pas tourné depuis longtemps et j'ai vraiment la sensation que l'on a fait ce film main dans la main.
Elles sont différentes, mais toutes très investies. On était sans cesse debout, dans une énergie constante, on ne se posait jamais. J’ai beaucoup filmé, sans couper, pour trouver le moment juste. Je n’ai pas laissé respirer les actrices, je les ai asphyxiées, je les ai mises sous pression. Je me suis agitée. J’ai marché des kilomètres. Je voulais du mouvement perpétuel dans le cadre. Dès qu’une fille sort du cadre, une autre rentre. Comme si mon intranquillité devait s’exposer et s’imprimer dans le plan.

Comment avez-vous cherché à articuler la place des hommes dans le film ?
Je voulais à tout prix éviter l’opposition homme-femme. Ce n’était pas mon sujet. Je voulais traiter de l’oppression des femmes par les femmes. Il y a donc eu la tentation de faire un film sans homme. Mais c’est compliqué d’identifier une femme sans référence à un homme… Alors est venue l’idée de les faire disparaître petit à petit. De les affaiblir. Je voulais que les hommes soient près des femmes, qu’ils essaient de les accompagner, qu’ils les regardent se débattre en leur disant : si tu as besoin de moi, je suis là. Mais qu’elles ne les voient plus, trop concentrées sur leur chemin. Cet aveuglement n’est pas un geste hostile à leur égard, mais elles sont trop obnubilées par elles-mêmes, par leur évolution.

TIENS TA DROITE de Katia LewkowiczEt les enfants ? Les jeunes filles, pré-ado, comment avez-vous voulu les représenter ?
Le rapport mère-fille me passionne. Je voulais qu’il y ait un rappel de la sexualité naissante des filles, en contre-point de ces femmes qui ne voient plus les hommes. Les mères ne voient plus leurs filles non plus. Je voulais des jeunes actrices pleines de vitalité, voyant les mères se débattre. J’ai pris les filles les plus belles que j’ai vues. Je voulais une image de la beauté enfantine à la Botticelli. Qu’est-ce qu’on va leur laisser à ces filles ? Elles regardent, observent, imitent leurs aînées. J’ai réfléchi à la notion d’enfant-roi ; aujourd’hui, c’est la femme de 13 ans qui décide; je voulais en arriver là. Je suis assez sidérée par ces jeunes filles qui veulent très vite devenir femmes et restent prisonnières des plus gros clichés, ne parlent que de mariage, jouent avec ça. Sur le rapport à la sexualité, j’ai volontairement pris des filles assez petites pour que cela reste comique et que cela ne dépasse pas un niveau d’ambiguïté glauque.

Qu’est ce qui vous touche, au fond, chez ces personnages ?
Elles se rêvent en héroïnes, mais sont tout simplement humaines. Donner à voir des humains c’est pour moi montrer nos faiblesses et les comprendre. Mais pas au sens intellectuel. Plutôt comprendre comme « cela fait partie de moi ». Les héroïnes parfaites m’ennuient. Je les voulais actives, en mouvement, contradictoires, ce sont des vraies guerrières, des guerrières par nécessité. Elles avancent dans l’instant, chacune avec leurs armes, sans trop réfléchir. C’est l’histoire qui les conduit ; je ne crois pas aux héros qui prennent des décisions, mes personnages se font prendre par ce qui les dépasse.
Je crois que ça correspond pour moi au deuil perpétuel. Le fait d’être toujours en deuil d’une partie de soi. Ah ! Réussir à être les trois femmes en même temps… C’est une forme de quête…

"Tiens-toi droite", faut-il l’entendre comme une règle de politesse imposée ou comme la nécessité de garder la tête haute dans une époque violente qui accable ?
C’est plus que cela dans mon esprit ! C’est ce que j’ai envie de dire à tout le monde, tout le temps. Tenons-nous droit, ne lâchons rien, ne descendons pas au-dessous du seuil minimal d’estime de soi. Relevons le menton et continuons d’avancer. Je pensais aux filles qui marchent, qui avancent ; j’ai envie de leur demander : mais d’où vient-on, qu’est-ce qu’on fait et vers où on va. Pourquoi on avance aussi vite, comme des amazones dans la rue ? C’est cette énergie de frondeuse que je souhaitais raconter. Essayer de dépeindre toutes les femmes différentes qui sont en nous.

Après la famille et le mariage, motifs centraux de "Pourquoi tu pleures ?", vous abordez la question du travail, de la féminité à l’âge de la maturité, de la transmission… Est-ce le désenchantement du quotidien que vous avez voulu capter ?
Je ne perçois pas du tout cela comme un désenchantement mais comme une vie qui avance… Pleine de remous, de contradictions, et d’avancées. Et parfois de renoncements, mais des renoncements consentis…
C’est une suite naturelle comme une chaine animalière. On élimine un insecte qui nous empêche de vivre, c’est un progrès, mais c’est tout l’écosystème qui est déréglé. Et comme on a beaucoup évolué ces dernières années concernant la question du féminin, je me suis dit qu’il serait intéressant de voir où en était notre écosystème.

Pourquoi l’air du temps est-il à votre avis obsédé par cette question ?
Je trouve que l’on s’est littéralement surchargé, nous, les femmes.
Notre volonté de progrès et d’évolution a fait de nous des humains submergés. Dans la vie quotidienne, on se surcharge, on ne se laisse pas en paix, on est d’une exigence telle que souvent le sentiment de ne pas être à la hauteur l’emporte. D’où cette idée du désenchantement qui plane partout. Tout le monde en ressent les effets. C’est ce que j’observe autour de moi, ce que je ressens subjectivement. On est tous sur un fil. C’est de ce sentiment qu’est arrivé le constat de l’oppression personnelle…
Cette impression d’avoir en permanence une partie de soi en deuil, de ne jamais pouvoir profiter de quelque chose. Pourquoi lorsqu’on se sent bien dans TIENS TA DROITE de Katia Lewkowiczun contexte familial, est-on rattrapé par la culpabilité du travail ? Quand on travaille, c’est la question de l’amour qui se pose. Quand on est dans un duo amoureux, la culpabilité de n’être pas en train de s’occuper de ses enfants… Ou de ne pas en avoir. Bref, le sentiment concret d’avoir trois féminités à l’intérieur d’un même corps, qui luttent… Chacune revendiquant sa place. C’est ce tourbillon permanent que j’avais envie de raconter.

Etes-vous sensible aux combats féministes d’aujourd’hui ?

On est évidemment les héritières des combats féministes d’hier. Je serai peut-être nostalgique d’une époque où il y avait plus de place pour le combat. Aujourd’hui dire simplement qu’il faut combattre, c’est se positionner à une mauvaise place, à mon avis. Je n’ai pas de revendication particulière. Où plutôt, il y en a tellement qu’il faut trouver une nouvelle façon d’agir.
Je souhaiterais ne pas me battre pour l’égalité mais trouver la force de me positionner pour que cette égalité soit mon évidence. Je suis l’égale de l’homme. Ce n’est pas un débat. Ce n’est pas discutable. J’ai la chance de vivre dans une démocratie dont le mouvement, trop lent, certes, est en faveur des femmes. Nous sommes différents, oui mais égaux en droits.
L’idée du film est venue après un dîner, où j’étais assise à côté d’une femme de mon âge qui ne faisait rien dans la vie : ce rien la satisfaisait complètement. Or, je me suis retrouvée désemparée face à cette fille ; pourquoi ai-je perçu cette inactivité comme un renoncement, alors qu’elle le vivait très bien elle-même ? Je suis partie de ce questionnement.
Mon sujet, c’était l’évolution de la femme. Alors je suis partie d’images d’Epinal. Celles des années 50. Quand partout, en publicité surtout, l’image des femmes était claire. Il y avait celle en tablier devant son four, un gigot à la main. Il y avait Marilyn, les miss, ces filles belles, blondes, fantasmées aux cerveaux inconséquents qu’on admire encore. Et la femme active qui n’a le temps de rien, tailleur, regard perçant, qui cherche à gagner du temps. Trois profils féminins qui restent totalement dissociés. Or, aujourd’hui, les femmes veulent être tout cela à la fois. Comme si on cherchait à réunir ces trois modèles en une seule personne. J’ai voulu donc prendre les images iconiques et m’aventurer à partir d’elles. Voilà mon fil rouge : ce passage entre les trois modèles. L’entrée des miss et des femmes au foyer dans le monde de l’industrie. Comment les icônes féminines sont devenues des « modèles », des stars de blog… J’ai construit "Tiens-toi droite" comme un film historique bourré d’anachronismes : c’est l’histoire de la femme des années 50 à celle d’aujourd’hui.
(extrait dossier de presse)

 

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