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Mercredi cinéma : "Métamorphoses" de Christophe Honoré.

Publié le : 03-09-2014

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Montmorency - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

METAMORPHOSES de Christophe HonoréZoom nouveauté : "Métamorphoses" de Christophe Honoré

L'histoire
Devant son lycée, une fille se fait aborder par un garçon très beau mais étrange. Elle se laisse séduire par ses histoires, des histoires sensuelles et merveilleuses où les dieux tombent amoureux de jeunes mortels. Le garçon propose à la fille de le suivre.
Un film de Christophe Honoré avec Amira Akili, Sébatien Hirel, Mélodie Richard, Damien Chapelle, George Babluani, Matthis Lebrun

>> bande-annonce du film

 

Bonus : propos de Christophe Honoré, réalisateur du film, recueillis par Antoine de Baecque

"Métamorphoses" semble avoir peu de liens avec "Les Biens-aimés", votre film précédent…
J’ai souvent éprouvé l’envie de construire un nouveau film contre le ou les précédents. Après avoir travaillé sur le METAMORPHOSES de Christophe Honoréromanesque avec des acteurs connus, après avoir assumé de citer des grands modèles, j’ai eu le désir de me retrouver sur un territoire complètement différent, assez inédit pour moi. J’avais besoin d’échapper au romanesque, au récit de personnages, qui suit les évolutions biographiques et psychologiques de chacun. Je pense que j’ai voulu me débarrasser des personnages, au sens traditionnel du terme. Sans doute que le travail effectué pour "Nouveau Roman", le spectacle – créé au Festival d’Avignon 2012 – que j’ai mis en scène autour des textes, des situations, des écrivains du Nouveau Roman, a joué son rôle dans cette volonté de raconter autrement autre chose. Les écrivains du Nouveau Roman ont tenté précisément d’échapper à la fatalité des personnages et des récits narratifs. Pour reprendre une expression de Nathalie Sarraute, j’ai essayé de mettre du «soupçon» sur mon film précédent.

C’est une volonté de changer d’air ?
Il s’agit plutôt de trouver une autre forme, qui puisse interroger mon propre travail… Tenter de suivre une forme, qui s’est imposée comme une nouvelle manière de fabriquer un récit et de montrer des corps. Lors de la tournée théâtrale de "Nouveau Roman", je lisais le dernier roman de Russell Banks, Lointain souvenir de la peau ; il a placé en exergue une citation d’Ovide : «Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux.». J’ai pris cette phrase comme un programme, et je suis retourné aux sources en relisant "Les Métamorphoses". Cette phrase a résonné en moi : j’y ai vu la définition même du cinéma, du moins d’un cinéma possible, et une incitation directe à tenter moi-même l’expérience. C’est une qMETAMORPHOSES de Christophe Honoréuestion que je me pose régulièrement : qu’est-ce qui m’attire au cinéma, sinon de métamorphoser le réel en quelque chose de nouveau ? Il y avait là un défi qui m’intéressait, ce qui, à la suite du travail sur "Nouveau Roman", pouvait me permettre d’échapper à l’illusion réaliste. Puisque la restitution réaliste n’était pas l’enjeu du film, cela m’autorisait à aller voir du côté des mythes grecs racontés par un Romain.

Vous aviez des souvenirs d’Ovide ?

Des souvenirs de classe, uniquement. En 5e et 4e, dans les cours de latin, les versions d’Ovide. Je trouvais cela beaucoup plus amusant que "Les Lettres de mon moulin", et cette culture greco-romaine m’avait beaucoup séduit et m’a guidé plus tard dans nombre de mes lectures. Mais je n’avais pas d’autres souvenirs : il n’y a pas de films, pas d’actualité culturelle d’Ovide. Pourtant, ces mythes sont des histoires connues de tous, du moins dans leurs grandes lignes : Narcisse, Pan, Orphée, Jupiter, Europe, voici les matrices originelles de nos récits, encore de nos jours.

Comment avez-vous travaillé ?
"Les Métamorphoses", c’est énorme, il y a plusieurs centaines de fables, et je n’allais bien sûr pas pouvoir tout conserver. Mon premier souci fut de choisir les épisodes qui me permettraient de composer un seul récit, de sélectionner ce qui pouvait entrer dans ce que je voulais raconter. J’ai pris une vingtaine d’histoires pour construire une ligne narrative. A l’intérieur de chaque histoire, je reste fidèle à Ovide ; ce que je travaille davantage, ce sont les enchaînements, les enchâssements : je souhaitais passer d’une histoire à une autre en choisissant les bonnes personnes.

METAMORPHOSES de Christophe HonoréQuel est le fil rouge narratif de votre film ?
Je me suis concentré sur la confrontation des dieux et des mortels, selon trois temps. D’abord, la rencontre avec Jupiter, qui attire Europe, et se raconte : c’est l’autoportrait de Jupiter en séducteur, en pygmalion, en initiateur. Ensuite, vient Bacchus, et tout porte là sur la croyance : il faut croire au récit des dieux, puisqu’ils peuvent se venger de l’impiété de certains hommes ou de certaines femmes. Enfin, arrive Orphée, et je le suis dans son prosélytisme, son enseignement, son prophétisme. Une secte se constitue autour de lui, jusqu’à la mort, forcément violente, dont le fer est porté par les bacchantes. Pour lier ces trois moments, je cherchais un point de vue porté par une personne qui unirait l’ensemble selon un fil rouge : j’ai imaginé Europe comme cela, une très jeune femme initiée par ces trois personnages différents, qui les regarde, les suit, et raconte son expérience, ses rencontres avec les dieux, avec les mythes… L’idée était de rendre à ce personnage son innocence originelle, son premier matin.

Vous avez travaillé seul sur ce scénario…
C’est un défi personnel et je me voyais mal entraîner quelqu’un d’autre… Mais ce film est aussi une aventure de production et j’ai beaucoup discuté avec mon nouveau producteur, Philippe Martin, à toutes les étapes. Philippe est mélomane, c’est un grand amateur d’opéra, un domaine où il existe une forte familiarité avec ces mythes gréco-romains et ces récits ovidiens. Quand je lui ai proposé ce film et ce sujet, il a tout de suite été partant, ce qui n’était pas évident à première vue. Cet enthousiasme, ce risque qu’il prenait, et nos discussions, furent pour moi très stimulants.

Vous aviez une ligne de conduite en préparant le film ?
Il était important pour moi de ne pas tourner "Métamorphoses" comme s’il s’agissait d’un objet culturel ou d’un livre d’images anciennes coupées de notre actualité. Ce n’était pas une reconstitution savante dont j’avais envie. Je voulais confronter ces récits à la France telle que je pourrais la filmer aujourd’hui. Je me suis lancé dans un grand casting sauvage : peu des gens qui apparaissent dans le film sont de véritables acteurs professionnels. Je souhaitais travailler avec des gens qui n’avaient pas l’expérience d’être filmés. Soit très jeunes, soit des hommes et des femmes qui viennent d’ailleurs. Je n’imaginais pas, ou j’imaginais trop bien plutôt, Louis Garrel en Jupiter… J’ai donc tenté un pari périlleux, fondé sur la croyance des spectateurs. Car METAMORPHOSES de Christophe Honoréles «acteurs» qu’ils voient à l’écran, ils les voient pour la première fois et il faut qu’ils croient en eux. Ceux qui n’ont pas d’expérience de jeu préalable sont souvent plus étranges que les acteurs, ils ne visent pas un jeu de conventions fondé sur un contrat de reconnaissance avec les spectateurs, ils se laissent regarder dans leur solitude, leur vérité qui échappe à la vraisemblance. J’avais besoin de cette étrangeté. Elle correspondait à celle des dieux grecs apparaissant soudain dans la France actuelle.

Qu’est-ce que la mythologie grecque a de contemporain pour nous, aujourd’hui en France ?
Ce film est aussi une manière de payer la dette grecque ! La Grèce nous a tellement donné : ce n’est pas elle qui est endettée, c’est notre monde contemporain qui doit énormément à la Grèce et à ses dieux. J’avais cette idée en tête, qui inverse, au nom de l’Histoire et des mythes, la pression du système économique actuel. Je voulais donc raconter l’héritage grec dans la France contemporaine : on vient de la Grèce, bien plus que de l’Amérique. On peut, on doit revendiquer cela, comme un renouveau du paganisme ! Mon pari consistait à dire, et à montrer, que ces mythes sont des soubassements, même parfois inconscients, de la société actuelle, une sorte de palimpseste, de sous-texte d’aujourd’hui, que les gens, s’ils grattent un peu, peuvent retrouver assez facilement. Il en reste des traces, parfois anecdotiques mais pas seulement : les cavistes «Au repaire de Bacchus», les transports routiers «Jupiter»… C’est une culture qui ne veut pas mourir, qui refuse d’être effacée, et que je propose à des jeunes Français de retrouver. J’avais envie de quelque chose d’indécis, de mélangé, entre les époques et entre les gens.

D’où l’idée de déplacer la coexistence des dieux et des hommes en banlieue…
Le mot qui me venait, lors des repérages puis du tournage, c’était le «péri-urbain». Je voulais trouver des traces de nature dans la ville, des traces qui résistent à une urbanisation agressive. Ou alors une nature préservée, mais à proximité immédiate de la ville : au bord des sorties et des bretelles d’autoroutes, des centres commerciaux, des terrains vagues. Là, je pouvais définir un territoire de fiction peu filmé, peu parcouru ; là, je pouvais dire à mon spectateur : «C’est parce que vous n’y allez pas que vous ne voyez pas que les dieux grecs y vivent…»

Vous filmez également des forêts, des rivières…
J’avais également besoin de lieux qui échappaient à la ville, au temps : des territoires de contes, de pur récit. Dans la forêt, près des rivières, naissent les histoires des origines. Le film commence donc aux abords de la ville : Jupiter fait la sortie du lycée, il attire une jeune fille, Europe, la séduit, lui raconte des histoires ; quand il la confie ensuite à Bacchus, elle part vers la forêt dans un espace de pure fiction, avant de revenir vers la ville en suivant Orphée, puis de repartir vers la sauvagerie des grottes quand le groupe d’Orphée se transforme en secte, en communauté clanique.

Pourquoi avoir fait d’Europe une jeune femme d’origine maghrébine, une jeune «beurette» ?
Cela semblait normal pour moi. Elle vit dans une cité, c’est une jeune Française d’aujourd’hui. Elle est initiée à un passé qui peut l’accueillir, non pas comme une étrangère mais telle une personne légitime, une méditerranéenne, présente à ces mythes, même inconsciemment, depuis l’origine. Mon «Europe» s’investit dans une histoire, dont le film veut montrer qu’elle la concerne, qu’elle la constitue. J’ai choisi pour ce rôle d’Europe une jeune femme qui m’a marqué, quand je l’ai rencontrée dans la rue. Amira suivait une formation d’aide maternelle, elle n’avait jamais joué et pouvait apporter au film sa vivacité, sa fierté, son innocence. Elle se remplit des histoires que les dieux lui racontent ; elle choisit de les croire, de partir vivre avec eux, ce n’est pas si invraisemblable. Elle choisit les dieux plutôt que la cité. Je n’ai jamais cherché à gommer la langue, les apparences ou les corps de ces acteurs amateurs. Ce sont ces coexistences qui donnent forme au film, comme une série de contradictions : trivialité et métaphysique, matérialité et merveilleux, langage de la cité et verbe d’Ovide. Je ne rends pas les choses harmonieuses, mais je cherche des vérités multiples et opposées.

On a cette impression d’un fort contraste entre les personnages…
Je dirais qu’il s’agit d’un film «très peuplé», avec des corps différents, allant du bébé au couple de vieillards ; il y a des gros, des petits, des beaux, des laids. Il fallait que je trouve une manière simple de les regarder. Ce n’est pas un «jeu naturel» que j’attendais d’eux, mais un état au plus près d’eux-mêmes. Il n’y a pas de parole aisée. Jupiter, par exemple, est un homme bizarre et séduisant, venu d’ailleurs mais très proche, portant une parole inhabituelle, avec beaucoup de style mais un regard fuyant ; il refuse les conventions.
METAMORPHOSES de Christophe HonoréCette manière d’échapper aux clichés fascine Europe, qui, quant à elle, échappe à la représentation conventionnelle qui en fait une belle jeune femme blonde, assez nordique… Ici, comme dans le mythe, elle est vraiment partagée entre Orient et Occident.

Un des défis du film est la représentation de la nudité…
Chez Ovide, la nudité ne pose pas de problème, elle est absolument offerte et belle. Evidemment, dans une cité de banlieue, aujourd’hui, pour une jeune femme, c’est plus problématique. Mais j’ai été surpris : beaucoup des jeunes gens que j’avais choisis ont été très à l’aise avec cela ; sans doute que le film et son tournage les protégeaient. Je n’ai pas rencontré d’interdits ; tous ont aimé être nus dans la nature et être filmés comme cela. Même en bordure d’autoroute. Le film ne vise pas un quelconque «retour à la nature», mais voudrait saisir les corps de manière hédoniste : la nudité n’est pas un retour mais un préalable, la condition première de l’homme et de la femme. L’initiation passe par la possession du corps, le sien et celui de l’autre ; la connaissance des dieux, des mythes, de l’histoire, des origines, passe également par la rencontre charnelle. Les scènes de nudité, de sensualité, de sexualité, racontent toutes cela : il s’agit d’un mode d’accès à la connaissance, de l’autre comme du monde. C’est une expérience forte : la confrontation corporelle aux dieux rend les mortels impropres au retour à leur vie d’avant.

Quels ont été les choix de mise en scène pour ces scènes de nudité ?
Le naturel et la tendresse. Je souhaitais quelque chose de simple, de direct, surtout pas filmer une performance, pas un défi. Mais envisager ces scènes comme des moments privilégiés : là où se révèle, naturellement, évidemment, le sens. C’est une nudité non provocante, et que j’espère sensuelle et séduisante.

Et pour les scènes de métamorphoses ?
Je voulais également fuir la performance. Ces métamorphoses ne sont pas des transformations à vue avec surenchère de maquillages ou d’effets spéciaux numériques. Ce n’est pas une position conservatrice mais un choix esthétique, éthique : ne pas faire voir mais faire croire. Il ne s’agit pas du tout d’un film de genre fantastique ; plutôt d’un manifeste pour la croyance la plus simple dans le pouvoir «merveilleux» du cinéma, son pouvoir, justement, de métamorphose. En cela, le montage est le plus approprié car le plus efficace : rapprocher et coller deux plans successifs, un homme et un cerf, Io et une génisse, trois jeunes femmes et trois chauves-souris, deux vieillards et deux troncs d’arbres noueux… Il faut faire l’effort de croire pour que cela marche. Sinon tout s’effondre. Mon film est finalement construit par le spectateur, dans la peur comme dans le merveilleux.
De plus, il y a chez Ovide une grande diversité de métamorphoses, une variété de tons, de registres, et mes outils cinématographiques propres, le montage, le collage, le hors-champ, le rapport au son, me permettaient de varier les effets. C’était très amusant, y compris d’utiliser, à notre façon, des effets numériques pour certaines scènes.
(extrait dossier de presse – propos recueillis par Antoine de Baecque)

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien - Franconville - Montmorency - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

METAMORPHOSES de Christophe HonoréZoom nouveauté : "Métamorphoses" de Christophe Honoré

L'histoire
Devant son lycée, une fille se fait aborder par un garçon très beau mais étrange. Elle se laisse séduire par ses histoires, des histoires sensuelles et merveilleuses où les dieux tombent amoureux de jeunes mortels. Le garçon propose à la fille de le suivre.
Un film de Christophe Honoré avec Amira Akili, Sébatien Hirel, Mélodie Richard, Damien Chapelle, George Babluani, Matthis Lebrun

>> bande-annonce du film

 

Bonus : propos de Christophe Honoré, réalisateur du film, recueillis par Antoine de Baecque

"Métamorphoses" semble avoir peu de liens avec "Les Biens-aimés", votre film précédent…
J’ai souvent éprouvé l’envie de construire un nouveau film contre le ou les précédents. Après avoir travaillé sur le METAMORPHOSES de Christophe Honoréromanesque avec des acteurs connus, après avoir assumé de citer des grands modèles, j’ai eu le désir de me retrouver sur un territoire complètement différent, assez inédit pour moi. J’avais besoin d’échapper au romanesque, au récit de personnages, qui suit les évolutions biographiques et psychologiques de chacun. Je pense que j’ai voulu me débarrasser des personnages, au sens traditionnel du terme. Sans doute que le travail effectué pour "Nouveau Roman", le spectacle – créé au Festival d’Avignon 2012 – que j’ai mis en scène autour des textes, des situations, des écrivains du Nouveau Roman, a joué son rôle dans cette volonté de raconter autrement autre chose. Les écrivains du Nouveau Roman ont tenté précisément d’échapper à la fatalité des personnages et des récits narratifs. Pour reprendre une expression de Nathalie Sarraute, j’ai essayé de mettre du «soupçon» sur mon film précédent.

C’est une volonté de changer d’air ?
Il s’agit plutôt de trouver une autre forme, qui puisse interroger mon propre travail… Tenter de suivre une forme, qui s’est imposée comme une nouvelle manière de fabriquer un récit et de montrer des corps. Lors de la tournée théâtrale de "Nouveau Roman", je lisais le dernier roman de Russell Banks, Lointain souvenir de la peau ; il a placé en exergue une citation d’Ovide : «Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux.». J’ai pris cette phrase comme un programme, et je suis retourné aux sources en relisant "Les Métamorphoses". Cette phrase a résonné en moi : j’y ai vu la définition même du cinéma, du moins d’un cinéma possible, et une incitation directe à tenter moi-même l’expérience. C’est une qMETAMORPHOSES de Christophe Honoréuestion que je me pose régulièrement : qu’est-ce qui m’attire au cinéma, sinon de métamorphoser le réel en quelque chose de nouveau ? Il y avait là un défi qui m’intéressait, ce qui, à la suite du travail sur "Nouveau Roman", pouvait me permettre d’échapper à l’illusion réaliste. Puisque la restitution réaliste n’était pas l’enjeu du film, cela m’autorisait à aller voir du côté des mythes grecs racontés par un Romain.

Vous aviez des souvenirs d’Ovide ?

Des souvenirs de classe, uniquement. En 5e et 4e, dans les cours de latin, les versions d’Ovide. Je trouvais cela beaucoup plus amusant que "Les Lettres de mon moulin", et cette culture greco-romaine m’avait beaucoup séduit et m’a guidé plus tard dans nombre de mes lectures. Mais je n’avais pas d’autres souvenirs : il n’y a pas de films, pas d’actualité culturelle d’Ovide. Pourtant, ces mythes sont des histoires connues de tous, du moins dans leurs grandes lignes : Narcisse, Pan, Orphée, Jupiter, Europe, voici les matrices originelles de nos récits, encore de nos jours.

Comment avez-vous travaillé ?
"Les Métamorphoses", c’est énorme, il y a plusieurs centaines de fables, et je n’allais bien sûr pas pouvoir tout conserver. Mon premier souci fut de choisir les épisodes qui me permettraient de composer un seul récit, de sélectionner ce qui pouvait entrer dans ce que je voulais raconter. J’ai pris une vingtaine d’histoires pour construire une ligne narrative. A l’intérieur de chaque histoire, je reste fidèle à Ovide ; ce que je travaille davantage, ce sont les enchaînements, les enchâssements : je souhaitais passer d’une histoire à une autre en choisissant les bonnes personnes.

METAMORPHOSES de Christophe HonoréQuel est le fil rouge narratif de votre film ?
Je me suis concentré sur la confrontation des dieux et des mortels, selon trois temps. D’abord, la rencontre avec Jupiter, qui attire Europe, et se raconte : c’est l’autoportrait de Jupiter en séducteur, en pygmalion, en initiateur. Ensuite, vient Bacchus, et tout porte là sur la croyance : il faut croire au récit des dieux, puisqu’ils peuvent se venger de l’impiété de certains hommes ou de certaines femmes. Enfin, arrive Orphée, et je le suis dans son prosélytisme, son enseignement, son prophétisme. Une secte se constitue autour de lui, jusqu’à la mort, forcément violente, dont le fer est porté par les bacchantes. Pour lier ces trois moments, je cherchais un point de vue porté par une personne qui unirait l’ensemble selon un fil rouge : j’ai imaginé Europe comme cela, une très jeune femme initiée par ces trois personnages différents, qui les regarde, les suit, et raconte son expérience, ses rencontres avec les dieux, avec les mythes… L’idée était de rendre à ce personnage son innocence originelle, son premier matin.

Vous avez travaillé seul sur ce scénario…
C’est un défi personnel et je me voyais mal entraîner quelqu’un d’autre… Mais ce film est aussi une aventure de production et j’ai beaucoup discuté avec mon nouveau producteur, Philippe Martin, à toutes les étapes. Philippe est mélomane, c’est un grand amateur d’opéra, un domaine où il existe une forte familiarité avec ces mythes gréco-romains et ces récits ovidiens. Quand je lui ai proposé ce film et ce sujet, il a tout de suite été partant, ce qui n’était pas évident à première vue. Cet enthousiasme, ce risque qu’il prenait, et nos discussions, furent pour moi très stimulants.

Vous aviez une ligne de conduite en préparant le film ?
Il était important pour moi de ne pas tourner "Métamorphoses" comme s’il s’agissait d’un objet culturel ou d’un livre d’images anciennes coupées de notre actualité. Ce n’était pas une reconstitution savante dont j’avais envie. Je voulais confronter ces récits à la France telle que je pourrais la filmer aujourd’hui. Je me suis lancé dans un grand casting sauvage : peu des gens qui apparaissent dans le film sont de véritables acteurs professionnels. Je souhaitais travailler avec des gens qui n’avaient pas l’expérience d’être filmés. Soit très jeunes, soit des hommes et des femmes qui viennent d’ailleurs. Je n’imaginais pas, ou j’imaginais trop bien plutôt, Louis Garrel en Jupiter… J’ai donc tenté un pari périlleux, fondé sur la croyance des spectateurs. Car METAMORPHOSES de Christophe Honoréles «acteurs» qu’ils voient à l’écran, ils les voient pour la première fois et il faut qu’ils croient en eux. Ceux qui n’ont pas d’expérience de jeu préalable sont souvent plus étranges que les acteurs, ils ne visent pas un jeu de conventions fondé sur un contrat de reconnaissance avec les spectateurs, ils se laissent regarder dans leur solitude, leur vérité qui échappe à la vraisemblance. J’avais besoin de cette étrangeté. Elle correspondait à celle des dieux grecs apparaissant soudain dans la France actuelle.

Qu’est-ce que la mythologie grecque a de contemporain pour nous, aujourd’hui en France ?
Ce film est aussi une manière de payer la dette grecque ! La Grèce nous a tellement donné : ce n’est pas elle qui est endettée, c’est notre monde contemporain qui doit énormément à la Grèce et à ses dieux. J’avais cette idée en tête, qui inverse, au nom de l’Histoire et des mythes, la pression du système économique actuel. Je voulais donc raconter l’héritage grec dans la France contemporaine : on vient de la Grèce, bien plus que de l’Amérique. On peut, on doit revendiquer cela, comme un renouveau du paganisme ! Mon pari consistait à dire, et à montrer, que ces mythes sont des soubassements, même parfois inconscients, de la société actuelle, une sorte de palimpseste, de sous-texte d’aujourd’hui, que les gens, s’ils grattent un peu, peuvent retrouver assez facilement. Il en reste des traces, parfois anecdotiques mais pas seulement : les cavistes «Au repaire de Bacchus», les transports routiers «Jupiter»… C’est une culture qui ne veut pas mourir, qui refuse d’être effacée, et que je propose à des jeunes Français de retrouver. J’avais envie de quelque chose d’indécis, de mélangé, entre les époques et entre les gens.

D’où l’idée de déplacer la coexistence des dieux et des hommes en banlieue…
Le mot qui me venait, lors des repérages puis du tournage, c’était le «péri-urbain». Je voulais trouver des traces de nature dans la ville, des traces qui résistent à une urbanisation agressive. Ou alors une nature préservée, mais à proximité immédiate de la ville : au bord des sorties et des bretelles d’autoroutes, des centres commerciaux, des terrains vagues. Là, je pouvais définir un territoire de fiction peu filmé, peu parcouru ; là, je pouvais dire à mon spectateur : «C’est parce que vous n’y allez pas que vous ne voyez pas que les dieux grecs y vivent…»

Vous filmez également des forêts, des rivières…
J’avais également besoin de lieux qui échappaient à la ville, au temps : des territoires de contes, de pur récit. Dans la forêt, près des rivières, naissent les histoires des origines. Le film commence donc aux abords de la ville : Jupiter fait la sortie du lycée, il attire une jeune fille, Europe, la séduit, lui raconte des histoires ; quand il la confie ensuite à Bacchus, elle part vers la forêt dans un espace de pure fiction, avant de revenir vers la ville en suivant Orphée, puis de repartir vers la sauvagerie des grottes quand le groupe d’Orphée se transforme en secte, en communauté clanique.

Pourquoi avoir fait d’Europe une jeune femme d’origine maghrébine, une jeune «beurette» ?
Cela semblait normal pour moi. Elle vit dans une cité, c’est une jeune Française d’aujourd’hui. Elle est initiée à un passé qui peut l’accueillir, non pas comme une étrangère mais telle une personne légitime, une méditerranéenne, présente à ces mythes, même inconsciemment, depuis l’origine. Mon «Europe» s’investit dans une histoire, dont le film veut montrer qu’elle la concerne, qu’elle la constitue. J’ai choisi pour ce rôle d’Europe une jeune femme qui m’a marqué, quand je l’ai rencontrée dans la rue. Amira suivait une formation d’aide maternelle, elle n’avait jamais joué et pouvait apporter au film sa vivacité, sa fierté, son innocence. Elle se remplit des histoires que les dieux lui racontent ; elle choisit de les croire, de partir vivre avec eux, ce n’est pas si invraisemblable. Elle choisit les dieux plutôt que la cité. Je n’ai jamais cherché à gommer la langue, les apparences ou les corps de ces acteurs amateurs. Ce sont ces coexistences qui donnent forme au film, comme une série de contradictions : trivialité et métaphysique, matérialité et merveilleux, langage de la cité et verbe d’Ovide. Je ne rends pas les choses harmonieuses, mais je cherche des vérités multiples et opposées.

On a cette impression d’un fort contraste entre les personnages…
Je dirais qu’il s’agit d’un film «très peuplé», avec des corps différents, allant du bébé au couple de vieillards ; il y a des gros, des petits, des beaux, des laids. Il fallait que je trouve une manière simple de les regarder. Ce n’est pas un «jeu naturel» que j’attendais d’eux, mais un état au plus près d’eux-mêmes. Il n’y a pas de parole aisée. Jupiter, par exemple, est un homme bizarre et séduisant, venu d’ailleurs mais très proche, portant une parole inhabituelle, avec beaucoup de style mais un regard fuyant ; il refuse les conventions.
METAMORPHOSES de Christophe HonoréCette manière d’échapper aux clichés fascine Europe, qui, quant à elle, échappe à la représentation conventionnelle qui en fait une belle jeune femme blonde, assez nordique… Ici, comme dans le mythe, elle est vraiment partagée entre Orient et Occident.

Un des défis du film est la représentation de la nudité…
Chez Ovide, la nudité ne pose pas de problème, elle est absolument offerte et belle. Evidemment, dans une cité de banlieue, aujourd’hui, pour une jeune femme, c’est plus problématique. Mais j’ai été surpris : beaucoup des jeunes gens que j’avais choisis ont été très à l’aise avec cela ; sans doute que le film et son tournage les protégeaient. Je n’ai pas rencontré d’interdits ; tous ont aimé être nus dans la nature et être filmés comme cela. Même en bordure d’autoroute. Le film ne vise pas un quelconque «retour à la nature», mais voudrait saisir les corps de manière hédoniste : la nudité n’est pas un retour mais un préalable, la condition première de l’homme et de la femme. L’initiation passe par la possession du corps, le sien et celui de l’autre ; la connaissance des dieux, des mythes, de l’histoire, des origines, passe également par la rencontre charnelle. Les scènes de nudité, de sensualité, de sexualité, racontent toutes cela : il s’agit d’un mode d’accès à la connaissance, de l’autre comme du monde. C’est une expérience forte : la confrontation corporelle aux dieux rend les mortels impropres au retour à leur vie d’avant.

Quels ont été les choix de mise en scène pour ces scènes de nudité ?
Le naturel et la tendresse. Je souhaitais quelque chose de simple, de direct, surtout pas filmer une performance, pas un défi. Mais envisager ces scènes comme des moments privilégiés : là où se révèle, naturellement, évidemment, le sens. C’est une nudité non provocante, et que j’espère sensuelle et séduisante.

Et pour les scènes de métamorphoses ?
Je voulais également fuir la performance. Ces métamorphoses ne sont pas des transformations à vue avec surenchère de maquillages ou d’effets spéciaux numériques. Ce n’est pas une position conservatrice mais un choix esthétique, éthique : ne pas faire voir mais faire croire. Il ne s’agit pas du tout d’un film de genre fantastique ; plutôt d’un manifeste pour la croyance la plus simple dans le pouvoir «merveilleux» du cinéma, son pouvoir, justement, de métamorphose. En cela, le montage est le plus approprié car le plus efficace : rapprocher et coller deux plans successifs, un homme et un cerf, Io et une génisse, trois jeunes femmes et trois chauves-souris, deux vieillards et deux troncs d’arbres noueux… Il faut faire l’effort de croire pour que cela marche. Sinon tout s’effondre. Mon film est finalement construit par le spectateur, dans la peur comme dans le merveilleux.
De plus, il y a chez Ovide une grande diversité de métamorphoses, une variété de tons, de registres, et mes outils cinématographiques propres, le montage, le collage, le hors-champ, le rapport au son, me permettaient de varier les effets. C’était très amusant, y compris d’utiliser, à notre façon, des effets numériques pour certaines scènes.
(extrait dossier de presse – propos recueillis par Antoine de Baecque)

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