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Mercredi cinéma : "M" de et avec Sara Forestier

Publié le : 15-11-2017

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien (ugc) - Enghien (centre des arts),  Franconville - Montmorency - Saint-Gratien - Taverny et les séances à Ermont (mardi-mercredi)
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône 

 

M de et avec Sara ForestierSortie de la semaine : "M" de et avec Sara Forestier

L'histoire
Mo est beau, charismatique, et a le goût de l’adrénaline. Il fait des courses clandestines.
Lorsqu’il rencontre Lila, jeune fille bègue et timide, c’est le coup de foudre.
Il va immédiatement la prendre sous son aile.
Mais Lila est loin d’imaginer que Mo porte un secret : il ne sait pas lire.
Un film de et avec Sara Forestier, Redouanne Harjane, Jean-Pierre Léaud, Liv Andren, Nicolas Vaude

> Bande annonce

 

Bonus : propos de Sara Forestier, actrice et réalsiatrice du film.

D’où vous est venue l’idée qui a donné naissance à "M" ?
Je pense à ce film depuis plus de quinze ans, avant même "L’Esquive". À cette époque, j’avais eu une histoire d’amour avec un garçon qui était assez impressionnant, plus vieux que moi, très animal et qui avait un ascendant sur moi au point de me fasciner. Après m’être séparée de lui, j’ai appris, par un de ses amis, qu’en fait il ne savait pas lire. Il me l’avait caché tout au long de la relation. Je ne m’en étais pas aperçue, et cette révélation m’a fait comme un choc.
Je me suis remémorée notre histoire et j’ai compris à posteriori beaucoup de réactions qu’il avait eues. J’étais loin d’imaginer que quelqu’un d’aussi charismatique portait un tel complexe et j’étais saisie par l’efficacité virulente et implacable de sa dissimulation. J’étais bouleversée par l’écho de la profondeur dans laquelle devait être ancrée sa honte. J’ai pensé que cela ferait une très belle histoire de cinéma, avec l’aspect très cinématographique d’un personnage qui porte un secret et la puissance d’une émotion universelle sur le rapport à soi-même et le désamour que l’on peut avoir... J’en ai parlé à Abdel (Kechiche) en lui demandant s’il se sentirait de la filmer, il m’a dit que ça l’intéressait, et puis le temps a passé, mais cette histoire continuait de m’obséder. J’ai réalisé un premier court métrage, puis un deuxième, puis un moyen métrage, sans cesser d’y penser, et en parallèle de ma vie d’actrice, je me suis mise à l’écrire.

M de et avec Sara ForestierQuel a été le processus d’écriture, combien de temps cela a pris ?
Le scénario m’a pris huit ans. La première version était l’histoire que j’avais vécue puis peu à peu je suis allée vers mes désirs de cinéma (l’aspect jouissif et créatif des personnages de menteurs des comédies italiennes, la simplicité binaire que l’on peut retrouver dans les films de Chaplin, comme dans "Les Lumières de la Ville" où le personnage du clochard essaie de masquer son handicap social en utilisant le handicap physique de la jeune fille aveugle, etc.…) avec notamment des influences où la créativité émane du charme de l’artisanat, notamment "Cabaret" de Bob Fosse, Chaplin, "Les Bêtes du Sud Sauvage"... Cet aspect frontal de l’artisanat. Puis un second cycle, le plus important, s’est opéré, porté par une rigueur d’épuration. Justement en allant vers un aspect de plus en plus frontal, il y a eu une mécanique de distillation, que le fond façonne la forme et rien d’autre. J’ai enlevé tout ce qui ne venait pas directement du ventre des personnages...
Je voulais que tout ce qui se passe découle de leurs émotions, jamais provenant d’évènements extérieurs... chaque scène d’après est provoquée en conséquence d’une frustration, d’une peur ou d’un désir qu’ils ont ressentis. Cette mécanique de la rigueur de l’essentiel s’est imprégnée des personnages : ils préfèrent ne pas vivre quelque chose plutôt que de le vivre faussement, cette entièreté qui les pousse même à mettre leur vie entre parenthèses, comme s’ils étaient sur pause en attendant de vivre vraiment. Cette manière aussi de prendre sur eux, et même de s’en prendre à eux, ils portent chacun à leur manière quelque chose de sacrificiel, et même de masochiste. Ils ne déversent pas leur violence sur les autres mais sur eux-mêmes. Chez eux comme dans le film, l’émotion et le ressenti priment, je ne voulais pas que le film soit vécu par le spectateur sous le prisme de la réflexion mais bel et bien à travers les sensations. Cette rigueur de simplicité/véracité, a donné sa forme au film. C’est aussi ce qui a motivé mes choix de décors, costumes etc.… cet aspect intemporel que je voulais conférer à ces vies qui étaient sur pause, et également ainsi me débarrasser de tout ce qui pouvait ancrer le film dans une réalité sociale ou de références qui suscitait la réflexion du spectateur, son aspect cérébral, pour pouvoir me concentrer uniquement sur leurs ressentis. C’est ainsi que nous nous sommes inspirés de l’esthétique des années 60 qui n’est pas très typé d’une époque reconnaissable (le bus, les costumes, l‘immeuble de Lila), avec l’aspect désuet et la patine organique, l’aspect minéral également (le parking, etc.) avec des tons de gris, de noir, de blanc, sans arbre, sans feuille, sans vie foisonnante, la ville au loin, tel un western avec sa rigueur classique des duels où la mort est matérialisée ici par des murs... la noirceur de l’autodestruction.

M de et avec Sara ForestierEt comment s’est porté le choix sur Redouanne Harjane ?
Par casting (j’ai auditionné 600 garçons), quand je l’ai vu la première fois, il était hirsute et pesait vingt kilos de plus. Sa structure psychologique est assez différente de celle du personnage, plus dans la fuite, il esquive par l’humour, par une sorte de cynisme absurde. Mais dans une scène que je lui demandais de jouer, avant de me décider, j’ai vu quelques secondes dans son regard une noirceur vraie, l’espace d’un instant j’ai entrevu même une certaine tendance à l’autodestruction, comme une tentation de se détruire lui-même, et à cet instant j’ai su qu’il était celui que je cherchais. J’ai buggé sur son regard et c’était comme un phare indiquant la direction de là où je voulais l’emmener, la sensation que je voulais retrouver, ce regard j’ai cherché à le retrouver à chaque étape de notre travail. Redouanne a perdu vingt kilos, et ainsi c’était une manière d’entrer dans une rigueur assez féroce et douloureuse que le personnage porte lui-même en lui. Il s’agissait d’être face à lui-même, et tout mon travail durant le tournage n’a pas cessé d’être de le faire se recentrer face à cette noirceur qu’il porte, de ne pas esquiver ses émotions, d’embrasser dans une vérité tout ce qui le charge et offrir cette véracité. C’était le cœur, ou plutôt le ventre du film, la condition sinequanone, le seul Sens. Tout le film tient sur la véracité de cette souffrance, notamment par le fait que le dernier tiers est le moment où le film se révèle vraiment, se livre, prend sa réelle honnêteté... à partir de ce moment où Mo est acculé par cette souffrance et que l’autodestruction opère réellement, factuellement, sans fascination, dans une désacralisation du masochisme. Au départ ces deux personnages se reconnaissent dans cet aspect sacrificiel, il y a presque une forme de noblesse, qui est désacralisée dans ce dernier tiers concret..., ce qu’on entrevoyait chez Mo, comme émotions, telle que la peur, la honte ou même la terreur je cherchais à ce que ça se matérialise dans les quelques dernières scènes (notamment celle avec sa sœur) par une Sensation qui est de l’ordre du trauma. Un trauma affectif. Avec toujours cette même mécanique que le film devienne palpable, organique.

Comment vous est venu le personnage de Lila, et avez-vous pensé depuis le début à l’interpréter vous-même ?
Dans cette même logique de cette volonté que le film donne à ressentir, je voulais que l’hypersensibilité de Lila soit carrément charnelle. C’est alors que ce personnage d’hypersensible, qui faisait des crises d’angoisse, est devenu au fur et à mesure des versions du script une jeune fille bègue avec une mécanique de mâchoire et de chaire troublée par sa sensibilité intérieure. À l’origine, j’ai pensé à une vraie bègue pour interpréter le rôle, de la même manière que j’avais pensé à engager un homme réellement illettré. J’ai tout d’abord fait un casting de jeunes filles bègues, j’en ai vu une cinquantaine, mais je n’ai pas trouvé. Et puis j’ai casté de jeunes actrices, j’ai trouvé Adèle Exarchopoulos très bonne aux essais et je lui ai proposé le rôle, qu’elle a accepté avec enthousiasme. Seulement, à ce moment-là, je ne trouvais pas l’acteur pour le garçon. Adèle a attendu un an, refusant les propositions qu’elle recevait, et puis elle a fini par me dire qu’il fallait quand même qu’elle tourne, elle venait de gagner une Palme d’Or. Je lui ai dit que, bien sûr, elle était libre, et ne trouvant pas d’autre actrice que je désirais, j’ai décidé de prendre le rôle.
Pour préparer le rôle avec Adèle, je travaillais depuis des mois avec des bègues, je « pratiquais » le bégaiement, j’avais trouvé ma manière à moi de bégayer ce qui facilitait les choses pour reprendre le rôle un mois avant la date du tournage et puis j’avais une familiarité avec le personnage parce qu’en réalité il y a chez Lila quelque chose qui a trait à ma part la plus intime, ma fragilité la plus intime. Ma féminité est dans le personnage. Lorsque j’ai endossé le rôle, les choses se sont quelque part dénouées puisque quinze jours seulement après j’ai trouvé l’homme pour aller en face de moi dans le rôle de Mo.

M de et avec Sara ForestierComment avez-vous fait pour vous diriger vous-même, tout en mettant en scène ?
Pour moi, la seule manière d’être actrice est de m’oublier. Pour laisser surgir l’inconscient, là où l’émotion véritable se niche. Là, il fallait le temps des scènes, non seulement que j’oublie que je suis actrice, oublier le résultat que je voulais obtenir de la scène, oublier ce que j’attends des comédiens en face de moi, il fallait dans une sorte de schizophrénie oublier tous mes désirs de metteur en scène. Sur le tournage, je n’ai jamais regardé une seule prise après l’avoir jouée : je me fiais au ressenti, je savais si j’avais ressenti quelque chose durant la prise ou non, si j’avais vraiment vécu le moment. Puis durant le montage, je me suis travaillée (je manie le logiciel Avid) comme si c’était une autre personne que moi.

Pourquoi avoir choisi Jean-Pierre Léaud pour le rôle du père ?
J’avais vu seulement une interview à propos des "400 Coups". Le directeur de casting m’a parlé de Jean-Pierre, en me montrant une photo de lui avec ses longs cheveux noirs, ce qui m’évoquait un amoureux meurtri (d’avoir perdu sa femme) et j’ai eu un coup de foudre. Grâce à lui le personnage existerait sans explication, sans raison sociale ou autre piège, que je voulais éviter. Le Sentiment uniquement comme cause et même transmission filiale de malheur, comme un drame amoureux pourrait en entrainer un autre, se transmettre de génération en génération. Le désamour comme passation. Certaines personnalités sont faites pour être filmées, Jean-Pierre en fait partie. Il est une légende. Cinématographique, essentiellement cinégénique. Sur le plateau, je ne voulais surtout rien lui dire, j’économisais mes mots et je demandais aux autres de lui parler le moins possible, vouloir ne rien brusquer, ne rien altérer, de cette folie enfantine sans explication dans ses yeux noirs profonds, simplement l’emmener dans cette dureté et même cruauté qu’il a su apporter au personnage.

Comment avez-vous trouvé la petite fille qui interprète la sœur de Lila, Liv Andren ?
Je procède à chaque casting de la même manière : avant de filmer des scènes je fais passer un questionnaire sous forme d’interview, le directeur de casting pose une série de dix questions assez intimes aux acteurs ou aux personnes castées dans la rue. Pour le rôle de Soraya il y a eu un casting d’une vingtaine de petites filles, et au moment de découvrir ces entretiens filmés, on m’a dit que les fillettes étaient très bien, sauf une, qui était réticente, et on me l’a déconseillé en me disant qu’elle serait difficile à gérer, j’ai alors demandé au contraire à voir celle-ci en premier. Durant l’interview elle nous faisait comprendre que les questions étaient pourries, refusant de répondre à certaines d’entre elles et j’ai eu pour elle un vrai coup de foudre. Elle a un don naturel, et elle a été incroyable pendant tout le film. Je me comportais avec elle comme Mo, pour qu’elle se libère et s’autorise à être crûe, je lui disais juste de ne pas faire sa gamine, de sorte qu’elle soit sauvage avec lui. Notre relation était celle de deux sauvages, je voulais qu’elle semble une vraie sauvageonne, comme la gamine du film "Les Bêtes du Sud sauvage". Elle me fait penser à Iggy Pop, torse nu avec ses boas ! Chez elle, on la surnomme Mowgli ! Elle a 7 ans, mais fait penser à une ado. J’aime la singularité de ces acteurs. Par exemple, Rania qui joue la sœur de Mo, me fascine par la tragédie qu’elle porte sur son visage dessiné comme provenant du Moyen-Âge. Sans elle, je n’aurais pas fait le film... Nicolas Vaude aussi qui apporte cette sensibilité artistique au-delà du didactique scolaire.

M de et avec Sara ForestierEn quoi le tournage a-t-il contribué à modifier le film que vous aviez en tête quand vous avez commencé à y penser, il y a plus de quinze ans ?
Le scénario était plus souterrain, plus taiseux. Je pensais que le film lui ressemblerait, presque comme une espèce de film noir avec l’idée d’un torrent émotionnel qui serait sous la terre, des vrombissements sous nos pieds. Puis le tournage est arrivé, et le film m’a embarquée ailleurs... alors évidemment, la préparation du tournage c’est là que s’opère l’incarnation, mais là le film m’exigeait de trouver sa forme dans le charnel, l’émotion organique, et d’éradiquer tout ce qui pouvait rester encore sous forme de pensées, de distanciation.
Être amoureux vous place dans un état de présence pure, dans l’animalité, vous êtes alors plus en vie que jamais : je souhaitais que le film ressemble à une expérience amoureuse. La sensation de l’état amoureux, et d’un premier amour, qui plus est. Donc, le film devait ressembler à une première fois. La première fois on se jette comme si on ne voulait rien cacher, et en même temps se jeter c’est une manière de se cacher, de dissimuler ce que l’on est en réalité. Le film est aussi là-dessus, sur ce qu’on cache et ce que l’on montre. Alors il y a eu durant ces neuf semaines de tournage, deux caméras, environ deux cents heures de rush, avec cette recherche sur les visages, mon chef opérateur avait comme référence la façon dont Terrence Malik filme les peaux... La plus grande difficulté du film était de filmer organiquement des personnages qui n’étaient pas dans une vitalité manifeste. Ce qui lui donne ce rythme singulier. Ce n’est pas la même chose que de filmer des personnages en vie, bavards, les mouvements... l’enjeu de filmer du statique pour saisir le moindre frémissement et qu’il devienne un séisme. Durant le montage, qui a duré deux ans, je ne trouvais pas de référence à donner à mes monteurs, puis vers la fin du montage j’ai vu "Moonlight" et là j’ai dit à mon monteur : « putain c’est ça que je voulais te dire depuis le début... ». Comment nommer ce qui est indicible, qu’on ne voit pas, ce qui vous chope par derrière ou on ne sait où... Nommer, c’est déjà tuer ? Durant le montage son, je faisais remettre ces petits craquements que l’on nettoie pour que les prises soient propres, au montage saisir le souffle qui dure, les moments de prises volées, les presque regards caméra, bref se méfier aussi de soi même dans son envie d’efficacité. Le film m’a appris que l’imperfection est l’endroit où se niche cette possibilité que l’inconscient surgisse, ce que l’on ne maitrise pas. Les films qui m’ont le plus marqués sont imparfaits. Et, j’ai toujours aimé l’art brut, les arts premiers, « la frontalité » de la poésie, les musiques de Christophe...

Cette première expérience vous a-t-elle donné le désir de recommencer ?
J’espère tourner au printemps prochain. Un film qui se nomme Alpha.
(extrait dossier de presse)

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien (ugc) - Enghien (centre des arts),  Franconville - Montmorency - Saint-Gratien - Taverny et les séances à Ermont (mardi-mercredi)
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône 

 

M de et avec Sara ForestierSortie de la semaine : "M" de et avec Sara Forestier

L'histoire
Mo est beau, charismatique, et a le goût de l’adrénaline. Il fait des courses clandestines.
Lorsqu’il rencontre Lila, jeune fille bègue et timide, c’est le coup de foudre.
Il va immédiatement la prendre sous son aile.
Mais Lila est loin d’imaginer que Mo porte un secret : il ne sait pas lire.
Un film de et avec Sara Forestier, Redouanne Harjane, Jean-Pierre Léaud, Liv Andren, Nicolas Vaude

> Bande annonce

 

Bonus : propos de Sara Forestier, actrice et réalsiatrice du film.

D’où vous est venue l’idée qui a donné naissance à "M" ?
Je pense à ce film depuis plus de quinze ans, avant même "L’Esquive". À cette époque, j’avais eu une histoire d’amour avec un garçon qui était assez impressionnant, plus vieux que moi, très animal et qui avait un ascendant sur moi au point de me fasciner. Après m’être séparée de lui, j’ai appris, par un de ses amis, qu’en fait il ne savait pas lire. Il me l’avait caché tout au long de la relation. Je ne m’en étais pas aperçue, et cette révélation m’a fait comme un choc.
Je me suis remémorée notre histoire et j’ai compris à posteriori beaucoup de réactions qu’il avait eues. J’étais loin d’imaginer que quelqu’un d’aussi charismatique portait un tel complexe et j’étais saisie par l’efficacité virulente et implacable de sa dissimulation. J’étais bouleversée par l’écho de la profondeur dans laquelle devait être ancrée sa honte. J’ai pensé que cela ferait une très belle histoire de cinéma, avec l’aspect très cinématographique d’un personnage qui porte un secret et la puissance d’une émotion universelle sur le rapport à soi-même et le désamour que l’on peut avoir... J’en ai parlé à Abdel (Kechiche) en lui demandant s’il se sentirait de la filmer, il m’a dit que ça l’intéressait, et puis le temps a passé, mais cette histoire continuait de m’obséder. J’ai réalisé un premier court métrage, puis un deuxième, puis un moyen métrage, sans cesser d’y penser, et en parallèle de ma vie d’actrice, je me suis mise à l’écrire.

M de et avec Sara ForestierQuel a été le processus d’écriture, combien de temps cela a pris ?
Le scénario m’a pris huit ans. La première version était l’histoire que j’avais vécue puis peu à peu je suis allée vers mes désirs de cinéma (l’aspect jouissif et créatif des personnages de menteurs des comédies italiennes, la simplicité binaire que l’on peut retrouver dans les films de Chaplin, comme dans "Les Lumières de la Ville" où le personnage du clochard essaie de masquer son handicap social en utilisant le handicap physique de la jeune fille aveugle, etc.…) avec notamment des influences où la créativité émane du charme de l’artisanat, notamment "Cabaret" de Bob Fosse, Chaplin, "Les Bêtes du Sud Sauvage"... Cet aspect frontal de l’artisanat. Puis un second cycle, le plus important, s’est opéré, porté par une rigueur d’épuration. Justement en allant vers un aspect de plus en plus frontal, il y a eu une mécanique de distillation, que le fond façonne la forme et rien d’autre. J’ai enlevé tout ce qui ne venait pas directement du ventre des personnages...
Je voulais que tout ce qui se passe découle de leurs émotions, jamais provenant d’évènements extérieurs... chaque scène d’après est provoquée en conséquence d’une frustration, d’une peur ou d’un désir qu’ils ont ressentis. Cette mécanique de la rigueur de l’essentiel s’est imprégnée des personnages : ils préfèrent ne pas vivre quelque chose plutôt que de le vivre faussement, cette entièreté qui les pousse même à mettre leur vie entre parenthèses, comme s’ils étaient sur pause en attendant de vivre vraiment. Cette manière aussi de prendre sur eux, et même de s’en prendre à eux, ils portent chacun à leur manière quelque chose de sacrificiel, et même de masochiste. Ils ne déversent pas leur violence sur les autres mais sur eux-mêmes. Chez eux comme dans le film, l’émotion et le ressenti priment, je ne voulais pas que le film soit vécu par le spectateur sous le prisme de la réflexion mais bel et bien à travers les sensations. Cette rigueur de simplicité/véracité, a donné sa forme au film. C’est aussi ce qui a motivé mes choix de décors, costumes etc.… cet aspect intemporel que je voulais conférer à ces vies qui étaient sur pause, et également ainsi me débarrasser de tout ce qui pouvait ancrer le film dans une réalité sociale ou de références qui suscitait la réflexion du spectateur, son aspect cérébral, pour pouvoir me concentrer uniquement sur leurs ressentis. C’est ainsi que nous nous sommes inspirés de l’esthétique des années 60 qui n’est pas très typé d’une époque reconnaissable (le bus, les costumes, l‘immeuble de Lila), avec l’aspect désuet et la patine organique, l’aspect minéral également (le parking, etc.) avec des tons de gris, de noir, de blanc, sans arbre, sans feuille, sans vie foisonnante, la ville au loin, tel un western avec sa rigueur classique des duels où la mort est matérialisée ici par des murs... la noirceur de l’autodestruction.

M de et avec Sara ForestierEt comment s’est porté le choix sur Redouanne Harjane ?
Par casting (j’ai auditionné 600 garçons), quand je l’ai vu la première fois, il était hirsute et pesait vingt kilos de plus. Sa structure psychologique est assez différente de celle du personnage, plus dans la fuite, il esquive par l’humour, par une sorte de cynisme absurde. Mais dans une scène que je lui demandais de jouer, avant de me décider, j’ai vu quelques secondes dans son regard une noirceur vraie, l’espace d’un instant j’ai entrevu même une certaine tendance à l’autodestruction, comme une tentation de se détruire lui-même, et à cet instant j’ai su qu’il était celui que je cherchais. J’ai buggé sur son regard et c’était comme un phare indiquant la direction de là où je voulais l’emmener, la sensation que je voulais retrouver, ce regard j’ai cherché à le retrouver à chaque étape de notre travail. Redouanne a perdu vingt kilos, et ainsi c’était une manière d’entrer dans une rigueur assez féroce et douloureuse que le personnage porte lui-même en lui. Il s’agissait d’être face à lui-même, et tout mon travail durant le tournage n’a pas cessé d’être de le faire se recentrer face à cette noirceur qu’il porte, de ne pas esquiver ses émotions, d’embrasser dans une vérité tout ce qui le charge et offrir cette véracité. C’était le cœur, ou plutôt le ventre du film, la condition sinequanone, le seul Sens. Tout le film tient sur la véracité de cette souffrance, notamment par le fait que le dernier tiers est le moment où le film se révèle vraiment, se livre, prend sa réelle honnêteté... à partir de ce moment où Mo est acculé par cette souffrance et que l’autodestruction opère réellement, factuellement, sans fascination, dans une désacralisation du masochisme. Au départ ces deux personnages se reconnaissent dans cet aspect sacrificiel, il y a presque une forme de noblesse, qui est désacralisée dans ce dernier tiers concret..., ce qu’on entrevoyait chez Mo, comme émotions, telle que la peur, la honte ou même la terreur je cherchais à ce que ça se matérialise dans les quelques dernières scènes (notamment celle avec sa sœur) par une Sensation qui est de l’ordre du trauma. Un trauma affectif. Avec toujours cette même mécanique que le film devienne palpable, organique.

Comment vous est venu le personnage de Lila, et avez-vous pensé depuis le début à l’interpréter vous-même ?
Dans cette même logique de cette volonté que le film donne à ressentir, je voulais que l’hypersensibilité de Lila soit carrément charnelle. C’est alors que ce personnage d’hypersensible, qui faisait des crises d’angoisse, est devenu au fur et à mesure des versions du script une jeune fille bègue avec une mécanique de mâchoire et de chaire troublée par sa sensibilité intérieure. À l’origine, j’ai pensé à une vraie bègue pour interpréter le rôle, de la même manière que j’avais pensé à engager un homme réellement illettré. J’ai tout d’abord fait un casting de jeunes filles bègues, j’en ai vu une cinquantaine, mais je n’ai pas trouvé. Et puis j’ai casté de jeunes actrices, j’ai trouvé Adèle Exarchopoulos très bonne aux essais et je lui ai proposé le rôle, qu’elle a accepté avec enthousiasme. Seulement, à ce moment-là, je ne trouvais pas l’acteur pour le garçon. Adèle a attendu un an, refusant les propositions qu’elle recevait, et puis elle a fini par me dire qu’il fallait quand même qu’elle tourne, elle venait de gagner une Palme d’Or. Je lui ai dit que, bien sûr, elle était libre, et ne trouvant pas d’autre actrice que je désirais, j’ai décidé de prendre le rôle.
Pour préparer le rôle avec Adèle, je travaillais depuis des mois avec des bègues, je « pratiquais » le bégaiement, j’avais trouvé ma manière à moi de bégayer ce qui facilitait les choses pour reprendre le rôle un mois avant la date du tournage et puis j’avais une familiarité avec le personnage parce qu’en réalité il y a chez Lila quelque chose qui a trait à ma part la plus intime, ma fragilité la plus intime. Ma féminité est dans le personnage. Lorsque j’ai endossé le rôle, les choses se sont quelque part dénouées puisque quinze jours seulement après j’ai trouvé l’homme pour aller en face de moi dans le rôle de Mo.

M de et avec Sara ForestierComment avez-vous fait pour vous diriger vous-même, tout en mettant en scène ?
Pour moi, la seule manière d’être actrice est de m’oublier. Pour laisser surgir l’inconscient, là où l’émotion véritable se niche. Là, il fallait le temps des scènes, non seulement que j’oublie que je suis actrice, oublier le résultat que je voulais obtenir de la scène, oublier ce que j’attends des comédiens en face de moi, il fallait dans une sorte de schizophrénie oublier tous mes désirs de metteur en scène. Sur le tournage, je n’ai jamais regardé une seule prise après l’avoir jouée : je me fiais au ressenti, je savais si j’avais ressenti quelque chose durant la prise ou non, si j’avais vraiment vécu le moment. Puis durant le montage, je me suis travaillée (je manie le logiciel Avid) comme si c’était une autre personne que moi.

Pourquoi avoir choisi Jean-Pierre Léaud pour le rôle du père ?
J’avais vu seulement une interview à propos des "400 Coups". Le directeur de casting m’a parlé de Jean-Pierre, en me montrant une photo de lui avec ses longs cheveux noirs, ce qui m’évoquait un amoureux meurtri (d’avoir perdu sa femme) et j’ai eu un coup de foudre. Grâce à lui le personnage existerait sans explication, sans raison sociale ou autre piège, que je voulais éviter. Le Sentiment uniquement comme cause et même transmission filiale de malheur, comme un drame amoureux pourrait en entrainer un autre, se transmettre de génération en génération. Le désamour comme passation. Certaines personnalités sont faites pour être filmées, Jean-Pierre en fait partie. Il est une légende. Cinématographique, essentiellement cinégénique. Sur le plateau, je ne voulais surtout rien lui dire, j’économisais mes mots et je demandais aux autres de lui parler le moins possible, vouloir ne rien brusquer, ne rien altérer, de cette folie enfantine sans explication dans ses yeux noirs profonds, simplement l’emmener dans cette dureté et même cruauté qu’il a su apporter au personnage.

Comment avez-vous trouvé la petite fille qui interprète la sœur de Lila, Liv Andren ?
Je procède à chaque casting de la même manière : avant de filmer des scènes je fais passer un questionnaire sous forme d’interview, le directeur de casting pose une série de dix questions assez intimes aux acteurs ou aux personnes castées dans la rue. Pour le rôle de Soraya il y a eu un casting d’une vingtaine de petites filles, et au moment de découvrir ces entretiens filmés, on m’a dit que les fillettes étaient très bien, sauf une, qui était réticente, et on me l’a déconseillé en me disant qu’elle serait difficile à gérer, j’ai alors demandé au contraire à voir celle-ci en premier. Durant l’interview elle nous faisait comprendre que les questions étaient pourries, refusant de répondre à certaines d’entre elles et j’ai eu pour elle un vrai coup de foudre. Elle a un don naturel, et elle a été incroyable pendant tout le film. Je me comportais avec elle comme Mo, pour qu’elle se libère et s’autorise à être crûe, je lui disais juste de ne pas faire sa gamine, de sorte qu’elle soit sauvage avec lui. Notre relation était celle de deux sauvages, je voulais qu’elle semble une vraie sauvageonne, comme la gamine du film "Les Bêtes du Sud sauvage". Elle me fait penser à Iggy Pop, torse nu avec ses boas ! Chez elle, on la surnomme Mowgli ! Elle a 7 ans, mais fait penser à une ado. J’aime la singularité de ces acteurs. Par exemple, Rania qui joue la sœur de Mo, me fascine par la tragédie qu’elle porte sur son visage dessiné comme provenant du Moyen-Âge. Sans elle, je n’aurais pas fait le film... Nicolas Vaude aussi qui apporte cette sensibilité artistique au-delà du didactique scolaire.

M de et avec Sara ForestierEn quoi le tournage a-t-il contribué à modifier le film que vous aviez en tête quand vous avez commencé à y penser, il y a plus de quinze ans ?
Le scénario était plus souterrain, plus taiseux. Je pensais que le film lui ressemblerait, presque comme une espèce de film noir avec l’idée d’un torrent émotionnel qui serait sous la terre, des vrombissements sous nos pieds. Puis le tournage est arrivé, et le film m’a embarquée ailleurs... alors évidemment, la préparation du tournage c’est là que s’opère l’incarnation, mais là le film m’exigeait de trouver sa forme dans le charnel, l’émotion organique, et d’éradiquer tout ce qui pouvait rester encore sous forme de pensées, de distanciation.
Être amoureux vous place dans un état de présence pure, dans l’animalité, vous êtes alors plus en vie que jamais : je souhaitais que le film ressemble à une expérience amoureuse. La sensation de l’état amoureux, et d’un premier amour, qui plus est. Donc, le film devait ressembler à une première fois. La première fois on se jette comme si on ne voulait rien cacher, et en même temps se jeter c’est une manière de se cacher, de dissimuler ce que l’on est en réalité. Le film est aussi là-dessus, sur ce qu’on cache et ce que l’on montre. Alors il y a eu durant ces neuf semaines de tournage, deux caméras, environ deux cents heures de rush, avec cette recherche sur les visages, mon chef opérateur avait comme référence la façon dont Terrence Malik filme les peaux... La plus grande difficulté du film était de filmer organiquement des personnages qui n’étaient pas dans une vitalité manifeste. Ce qui lui donne ce rythme singulier. Ce n’est pas la même chose que de filmer des personnages en vie, bavards, les mouvements... l’enjeu de filmer du statique pour saisir le moindre frémissement et qu’il devienne un séisme. Durant le montage, qui a duré deux ans, je ne trouvais pas de référence à donner à mes monteurs, puis vers la fin du montage j’ai vu "Moonlight" et là j’ai dit à mon monteur : « putain c’est ça que je voulais te dire depuis le début... ». Comment nommer ce qui est indicible, qu’on ne voit pas, ce qui vous chope par derrière ou on ne sait où... Nommer, c’est déjà tuer ? Durant le montage son, je faisais remettre ces petits craquements que l’on nettoie pour que les prises soient propres, au montage saisir le souffle qui dure, les moments de prises volées, les presque regards caméra, bref se méfier aussi de soi même dans son envie d’efficacité. Le film m’a appris que l’imperfection est l’endroit où se niche cette possibilité que l’inconscient surgisse, ce que l’on ne maitrise pas. Les films qui m’ont le plus marqués sont imparfaits. Et, j’ai toujours aimé l’art brut, les arts premiers, « la frontalité » de la poésie, les musiques de Christophe...

Cette première expérience vous a-t-elle donné le désir de recommencer ?
J’espère tourner au printemps prochain. Un film qui se nomme Alpha.
(extrait dossier de presse)

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