Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
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Zoom nouveauté : "Le tête haute" d'Emmanuelle Bercot
L'histoire
Le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, qu’une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver.
Un film d'Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, Rod Paradot, Benoît Magimel, Sara Forestier, Diane Rouxel, Elisabeth Mazev…- Film d'ouverture du Festival de Cannes 2015
Bonus : propos d'Emmanuelle Bercot, réalisatrice du film.
La première pensée qu’on a, lorsque le film se termine, va à ces éducateurs, ces juges des enfants dont le travail de fourmi, la persévérance, la patience, le dévouement, l’abnégation forcent l’admiration… Alors qu’il est plutôt de bon ton aujourd’hui d’attirer l’attention sur les manquements des institutions, les failles et les errances de la justice, vous, vous faites l’inverse. Était-ce cela, l’hommage à ces travailleurs de l’ombre, qui a été le déclic de votre envie de réaliser "La Tête haute" ?
Oui et… non ! Mon idée de départ était effectivement de réaliser un film sur le travail éducatif qui est fait autour d’un jeune, mais lorsque j’ai eu cette idée, je ne connaissais pas tellement ce travail éducatif. C’est la longue enquête qui a précédé le tournage du film qui m’a permis de me rendre compte de cet engagement, de cette abnégation, de cette patience, de cette capacité de ne jamais baisser les bras dont vous parlez… En fait, le vrai point de départ du film est venu d’un élément très précis. J’ai un oncle qui est éducateur et lorsque j’étais enfant, je lui ai rendu visite un été en Bretagne où il s’occupait d’un camp de jeunes délinquants, dont l’un était même un enfant criminel. J’avais été fascinée, moi, petite fille issue d’un milieu aisé, bien élevée, bien entourée, par les comportements de ces adolescents qui avaient eu moins de chance que moi, par leur effronterie, leur côté rebelle à l’autorité et aux conventions, et en même temps, j’avais été saisie par le travail fait par mon oncle et les autres éducateurs pour les ramener « sur le droit chemin » comme on dit, leur apprendre à s’aimer et à aimer, à respecter les autres, mais d’abord eux-mêmes. C’est un souvenir très fort qui m’a toujours travaillée, au point de songer, adolescente, à devenir juge des enfants, puis, plus tard, à en faire un film. Lorsque, fin 2009, François Kraus et Denis Pineau-Valencienne des Films Du Kiosque, avec qui j’avais fait 3Mes Chères Etudes3 pour Canal +, m’ont dit qu’ils voulaient retravailler avec moi, je leur ai parlé de ce projet, qui couvait en moi depuis longtemps, et ils ont tout de suite été partants.
Comment avez-vous procédé ? Par quoi avez-vous commencé ?
La première chose que j’ai faite, c’est d’aller passer du temps avec mon oncle. Je l’ai interrogé, je lui ai fait raconter ses souvenirs, il m’a présenté des éducateurs, un juge des enfants à Valence, j’ai pu observer des audiences au tribunal, j’ai passé du temps dans un centre éducatif fermé. Et puis, j’ai lu énormément de livres sur le sujet et j’ai regardé tous les reportages et documentaires qui existent sur la question, j’ai pris des tonnes de notes. Cette première approche fut bouleversante et terrifiante… Comment ne pas avoir de la compassion et de la compréhension pour ces enfants qui ont été abimés par des histoires familiales dramatiques, par le manque d’argent, et bien souvent par la démission de leurs parents, puis du système scolaire, et par un manque d’amour ravageur qui les laisse livrés à eux-mêmes, sans valeurs, sans aucune perspective ni espoir, à la dérive, pris dans une spirale que seuls les éducateurs et les juges peuvent alors aider à enrayer ? Et comment ne pas être admirative de l’énergie, du dévouement, et de la patience que ces éducateurs et ces juges mettent à sortir ces jeunes du fossé, coûte que coûte, malgré les obstacles, les ingratitudes, les violences et leur salaire de misère, en apportant finalement simplement à ces enfants l’attention dont ils ont tant manqué ?
Dans le scénario de "La Tête haute", vous aviez d’ailleurs mis une phrase en exergue : « L’éducation est un droit fondamental. Il doit être assuré par la famille et si elle n’y parvient pas, il revient à la société de l’assumer… »
C’est une phrase que j’ai trouvée dans le livre d’un juge et qui éclaire très précisément ce que raconte le film. Je la trouve magnifique. Elle a l’air comme ça d’aller de soi, mais je ne suis pas sûre, hélas, que ce soit évident pour tout un chacun. C’est pourtant un principe de droit fondamental. Et elle résume totalement le travail qui est fait pour ces mineurs perdus. Un travail essentiel, vital. Comment peut-on sauver la société si ce n’est par l’éducation, au sens large du terme ? La justice des mineurs est fondée sur l’idée que rien n’est totalement joué d’avance pour un enfant et qu’avec une action éducative, il est possible de stopper la dégringolade. Comment gérer cela sans baisser les bras – parce que les résultats, quand ils adviennent, sont longs à obtenir ? C’est ce que raconte le film.
Comment avez-vous trouvé Rod Paradot, l’interprète de votre jeune délinquant, Malony ?
C’est Elsa Pharaon, directrice de casting très réputée dans le casting sauvage, qui l’a trouvé à Stains, dans un lycée pro où il faisait un CAP de menuiserie. Mais cela a été une longue recherche. Beaucoup de gens ont travaillé sur le terrain.
Nous avions décidé avec Marcia de ne pas stigmatiser la figure du délinquant. Et de contrarier les clichés habituels. Je ne voulais pas que ce soit un garçon typé, issu de l’immigration, avec une problématique de deal ou de consommation de drogue. Ni un garçon qui fonctionne en bande. On voulait que l’histoire se déroule en province et pas en banlieue… J’ai vu bien sûr tous les essais qu’Elsa a filmés mais j’ai, au final, rencontré assez peu de garçons car très peu correspondaient à ce que je cherchais. Nous avions aussi une autre difficulté : on suit le personnage de 13 à 17 ans et je ne voulais pas changer d’acteur en cours de route. Il nous fallait donc trouver quelqu’un qui puisse être aussi crédible à 13 ans qu’à 17.
Rod, malgré ses 18 ans au moment du tournage, avait cette qualité-là. Avec ce visage si pur, encore très enfantin… Il avait aussi dans ses intonations cet accent populaire qui était indispensable à mes yeux.
Comment avez-vous travaillé avec lui sur le tournage ?
Énormément ! Malony n’est pas un personnage évident. Il a d’ailleurs été le plus difficile à écrire. Il est quand même assez tête à claques, ce gamin ! Mais je voulais que le spectateur finisse par l’aimer en comprenant ses failles, ses blessures, sa souffrance. On devait, avec la juge et l’éducateur, éprouver un sentiment mitigé face à Malony, en oscillant constamment entre confiance et découragement, empathie ou rejet, plutôt que de se laisser porter par une simple histoire de rédemption. C’est ce dosage-là qui n’a pas été simple à trouver. Entre l’exaspération qu’il doit susciter au début et la nécessité que les gens l’aiment au bout d’un moment. Ce n’était pas non plus un personnage évident à jouer – surtout pour quelqu’un qui n’a jamais été acteur, et qui, par son tempérament, est très loin du personnage qui était écrit. D’ailleurs, sachant qu’on aurait trop peu de temps sur le plateau, je l’ai fait travailler avant le tournage, pendant deux mois, avec un coach, Daniel Marchaudon. Rod est arrivé en sachant parfaitement son texte – ce qui n’est pas évident pour un jeune homme qui n’a pas l’habitude de travailler. Chaque matin, je lui parlais, je lui expliquais ce que devaient raconter les scènes, comment et pourquoi le personnage était dans tel ou tel état. Mais le vrai travail se faisait au moment des prises. Le plus difficile a été d’amener Rod vers la violence de Malony, car, dans la vie, c’est plutôt quelqu’un de doux, de calme, de poli, d’aimable, de séducteur… Du coup, le personnage n’est pas tout à fait ce que j’avais envisagé au départ, en même temps cette rage et cette douleur contenues que Rod exprime très bien n’en sont que plus fortes, que plus bouleversantes, lorsqu’elles explosent violemment. Parfois, c’est dans la contrainte et l’inattendu qu’on découvre autre chose qui s’avère mieux que ce qu’on avait imaginé. Il faut dire que je n’ai rien lâché et que je l’ai poussé, poussé, poussé jusqu’à ce qu’il arrive à sortir ce que je voulais. Cela a été très dur pour lui parfois. Mais il a toujours eu à cœur de bien faire. Et puis, il y a sa présence à l’écran. Et ça, ça ne se travaille pas…
À quel moment avez-vous parlé à Catherine Deneuve de "La Tête haute" ?
Pendant qu’on faisait la promo de "Elle s’en va". Un soir, je lui ai dit : « Tenez » et je lui ai donné le scénario dont je ne lui avais jamais parlé avant ! Je pense qu’elle a été surprise, mais elle avait l’air heureuse que, si vite, je manifeste l’envie de retravailler avec elle. On s’entend vraiment bien toutes les deux. On a, dans la vie, un lien assez profond. Pareil dans le travail. J’aime tellement cette femme… Je la trouve exceptionnelle dans ce rôle. Elle a en elle cette dualité. Cette autorité naturelle évidente et ce côté tellement attentif et protecteur, tellement maternel… J’avais absolument besoin de ce mélange pour la juge et Catherine l’incarne à la perfection. Pourtant, cela n’a pas été très simple pour elle. Il y avait beaucoup de texte, avec un vocabulaire très technique, très factuel, très précis. En plus, elle était assise quasiment tout le temps. C’était l’inverse d’"Elle s’en va" où je la filmais complètement librement, en extérieurs.
Cette juge est presque pour moi le personnage principal du film. Elle est le pivot autour duquel tous s’accrochent. D’ailleurs, lorsque Catherine est arrivée sur le plateau, alors qu’on tournait depuis trois semaines, j’ai eu le sentiment que le vrai tournage commençait ! (Rires)
Comment est venue votre envie de confier à Benoît Magimel le rôle de l’éducateur ?
C’est un acteur que j’aime depuis très longtemps. Je l’ai découvert évidemment dans "La Vie est un long fleuve…", où je l’avais déjà trouvé fantastique, et je ne l’ai jamais lâché. C’est vraiment un de mes acteurs français préférés. C’est tout simplement un très grand acteur. Il a quelque chose que peu de comédiens français ont : cette manière de jouer avec son corps, ce côté très physique… J’ai énormément d’affection pour l’homme qu’il est, et je suis sensible à sa beauté, à sa virilité, et aussi à l’intensité et l’émotion qu’il dégage, par son côté homme blessé, je l’ai donc filmé avec amour – quand même, le plaisir d’un metteur en scène, c’est aussi de filmer des visages et des corps, et il m’inspirait énormément. J’ai pensé à lui très vite, mais ensuite, j’ai fait machine arrière parce que je me suis dit que ce serait mieux de prendre un inconnu.
J’ai donc vu beaucoup de gens, et même aussi finalement d’autres d’acteurs connus. Mais Magimel continuait à me trotter dans la tête et, comme j’avais déjà choisi Rod, je lui ai carrément demandé de passer des essais avec lui. Il a accepté très simplement. Dès que je l’ai vu dans les essais, j’ai arrêté de chercher ! C’était lui ! J’étais tellement contente de tourner enfin avec lui… C’est vraiment un homme et un acteur merveilleux. D’une gentillesse, d’une humanité, d’une émotion… Au fond, il est très sentimental, et c’est beau chez un homme…
À quel moment l’idée de Sara Forestier pour jouer la mère de Malony est-elle venue ?
Dès le début. J’avais déjà Sara en tête quand j’écrivais. Je ne sais pas pourquoi – on ne peut pas toujours tout expliquer ! Peut-être parce que je sentais qu’elle pouvait composer, qu’elle pouvait aller très loin… Et puis, quand le scénario a été terminé, j’ai décidé… de prendre une inconnue ! On a alors fait avec Antoinette Boulat un long casting d’inconnues, puis aussi finalement d’actrices connues. Si bien que, comme pour Benoît, je me suis dit qu’il fallait que je rencontre Sara que je ne connaissais pas. À elle aussi, j’ai demandé de passer des essais avec Rod, ne serait-ce que pour voir si le couple mère-fils marchait. Quand j’ai vu ses essais, c’était réglé ! D’autant qu’on sentait qu’elle avait très envie de ce rôle. Il y avait dans son désir quelque chose de très viscéral qui, pour un metteur en scène, est très stimulant. Sara a cette capacité de s’abandonner littéralement au personnage, elle aime bien être guidée, elle a une grande écoute du metteur en scène, mais, en même temps, elle propose énormément, elle prend du plaisir à chercher, à creuser... Il n’y a jamais une prise pareille, on est toujours surpris – et c’est tout le bonheur aussi pour un metteur en scène. Le personnage n’est pas du tout évident, car cette jeune mère totalement inconséquente provoque un certain rejet. Il est pourtant clair que cette femme a souffert elle-même, qu’elle n’a pas été éduquée, qu’elle n’a pas les clés pour éduquer ses enfants, elle a aussi toutes les failles de son enfance à porter, elle a eu un enfant très jeune… Je ne peux pas dire que je l’excuse – si, je peux dire que je l’excuse ! J’espère que le regard du spectateur va être comme le regard que pose Malony sur elle : d’une infinie tendresse, parce qu’elle l’aime mal, mais elle l’aime !
Et Diane Rouxel qui joue la fiancée de Malony, comment l’avez-vous choisie et comment définiriez-vous son personnage ?
Il y a eu un long casting sauvage aussi pour ce rôle. Je cherchais quelqu’un de très précis. Une fille brute et brutale, très garçonne, pas du tout dans la séduction, avec une forme d’étrangeté. Et il était pour moi impératif qu’elle ait les cheveux très courts… Je n’ai pas trouvé le personnage que j’avais imaginé dans les non professionnels auditionnés, alors j’ai consenti à explorer du côté des jeunes actrices qui avaient déjà tourné. C’est là que j’ai rencontré Diane, que je ne connaissais pas, mais qui avait joué dans "The Smell of Us", de Larry Clark. Tout comme Rod, elle était assez éloignée du personnage que j’avais en tête, mais elle a ce visage si cinégénique, et puis elle a accepté d’emblée de se couper les cheveux. Elle est extrêmement à l’écoute et dévouée dans le travail. Il fallait cette zone de mystère, sans psychologie, qui fasse accepter que cette fille tombe amoureuse de ce jeune délinquant, en dépit de ce qu’il lui fait subir. Le regard presque mystique de Diane permet de faire passer ça. Et puis, on peut penser, que sur le modèle de sa mère, éducatrice exemplaire, elle s’est forgée une âme de Saint-Bernard, de sauveuse…
Le titre, "La Tête haute", vous l’avez trouvé dès le départ ?
Pas du tout ! On a mis longtemps à le trouver. Au début, le projet s’appelait Double peine, mais c’était trop ambigu. Cela a un sens bien précis dans l’univers judiciaire et dans la tête des gens… Et puis, tout d’un coup, c’est François Kraus qui a proposé d’utiliser les derniers mots du scénario : « Malony traverse les couloirs, le hall du tribunal, la tête haute. » La tête haute, c’était exactement ce que racontait le film.
Vous êtes une enfant de Cannes : vous y avez présenté votre premier court métrage, "Les Vacances", qui, en 1997, a obtenu le prix du Jury… Qu’est-ce que cela représente pour vous de faire l’ouverture cette année avec ce film ?
Sans Cannes en effet, je pense que mon parcours aurait été beaucoup moins facile. Je suis très… – je ne sais pas quel terme employer – … touchée qu’un film comme celui-ci, qui met en lumière justement le travail de ces hommes et de ces femmes de l’ombre, puisse faire l’ouverture du Festival, puisse bénéficier d’une exposition aussi ample et prestigieuse. C’est un immense honneur, en fait.
(extrait dossier de presse)
Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien (ugc) - Enghien (centre des arts), Franconville - Montmorency - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mardi et mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône
Zoom nouveauté : "Le tête haute" d'Emmanuelle Bercot
L'histoire
Le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, qu’une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver.
Un film d'Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, Rod Paradot, Benoît Magimel, Sara Forestier, Diane Rouxel, Elisabeth Mazev…- Film d'ouverture du Festival de Cannes 2015
Bonus : propos d'Emmanuelle Bercot, réalisatrice du film.
La première pensée qu’on a, lorsque le film se termine, va à ces éducateurs, ces juges des enfants dont le travail de fourmi, la persévérance, la patience, le dévouement, l’abnégation forcent l’admiration… Alors qu’il est plutôt de bon ton aujourd’hui d’attirer l’attention sur les manquements des institutions, les failles et les errances de la justice, vous, vous faites l’inverse. Était-ce cela, l’hommage à ces travailleurs de l’ombre, qui a été le déclic de votre envie de réaliser "La Tête haute" ?
Oui et… non ! Mon idée de départ était effectivement de réaliser un film sur le travail éducatif qui est fait autour d’un jeune, mais lorsque j’ai eu cette idée, je ne connaissais pas tellement ce travail éducatif. C’est la longue enquête qui a précédé le tournage du film qui m’a permis de me rendre compte de cet engagement, de cette abnégation, de cette patience, de cette capacité de ne jamais baisser les bras dont vous parlez… En fait, le vrai point de départ du film est venu d’un élément très précis. J’ai un oncle qui est éducateur et lorsque j’étais enfant, je lui ai rendu visite un été en Bretagne où il s’occupait d’un camp de jeunes délinquants, dont l’un était même un enfant criminel. J’avais été fascinée, moi, petite fille issue d’un milieu aisé, bien élevée, bien entourée, par les comportements de ces adolescents qui avaient eu moins de chance que moi, par leur effronterie, leur côté rebelle à l’autorité et aux conventions, et en même temps, j’avais été saisie par le travail fait par mon oncle et les autres éducateurs pour les ramener « sur le droit chemin » comme on dit, leur apprendre à s’aimer et à aimer, à respecter les autres, mais d’abord eux-mêmes. C’est un souvenir très fort qui m’a toujours travaillée, au point de songer, adolescente, à devenir juge des enfants, puis, plus tard, à en faire un film. Lorsque, fin 2009, François Kraus et Denis Pineau-Valencienne des Films Du Kiosque, avec qui j’avais fait 3Mes Chères Etudes3 pour Canal +, m’ont dit qu’ils voulaient retravailler avec moi, je leur ai parlé de ce projet, qui couvait en moi depuis longtemps, et ils ont tout de suite été partants.
Comment avez-vous procédé ? Par quoi avez-vous commencé ?
La première chose que j’ai faite, c’est d’aller passer du temps avec mon oncle. Je l’ai interrogé, je lui ai fait raconter ses souvenirs, il m’a présenté des éducateurs, un juge des enfants à Valence, j’ai pu observer des audiences au tribunal, j’ai passé du temps dans un centre éducatif fermé. Et puis, j’ai lu énormément de livres sur le sujet et j’ai regardé tous les reportages et documentaires qui existent sur la question, j’ai pris des tonnes de notes. Cette première approche fut bouleversante et terrifiante… Comment ne pas avoir de la compassion et de la compréhension pour ces enfants qui ont été abimés par des histoires familiales dramatiques, par le manque d’argent, et bien souvent par la démission de leurs parents, puis du système scolaire, et par un manque d’amour ravageur qui les laisse livrés à eux-mêmes, sans valeurs, sans aucune perspective ni espoir, à la dérive, pris dans une spirale que seuls les éducateurs et les juges peuvent alors aider à enrayer ? Et comment ne pas être admirative de l’énergie, du dévouement, et de la patience que ces éducateurs et ces juges mettent à sortir ces jeunes du fossé, coûte que coûte, malgré les obstacles, les ingratitudes, les violences et leur salaire de misère, en apportant finalement simplement à ces enfants l’attention dont ils ont tant manqué ?
Dans le scénario de "La Tête haute", vous aviez d’ailleurs mis une phrase en exergue : « L’éducation est un droit fondamental. Il doit être assuré par la famille et si elle n’y parvient pas, il revient à la société de l’assumer… »
C’est une phrase que j’ai trouvée dans le livre d’un juge et qui éclaire très précisément ce que raconte le film. Je la trouve magnifique. Elle a l’air comme ça d’aller de soi, mais je ne suis pas sûre, hélas, que ce soit évident pour tout un chacun. C’est pourtant un principe de droit fondamental. Et elle résume totalement le travail qui est fait pour ces mineurs perdus. Un travail essentiel, vital. Comment peut-on sauver la société si ce n’est par l’éducation, au sens large du terme ? La justice des mineurs est fondée sur l’idée que rien n’est totalement joué d’avance pour un enfant et qu’avec une action éducative, il est possible de stopper la dégringolade. Comment gérer cela sans baisser les bras – parce que les résultats, quand ils adviennent, sont longs à obtenir ? C’est ce que raconte le film.
Comment avez-vous trouvé Rod Paradot, l’interprète de votre jeune délinquant, Malony ?
C’est Elsa Pharaon, directrice de casting très réputée dans le casting sauvage, qui l’a trouvé à Stains, dans un lycée pro où il faisait un CAP de menuiserie. Mais cela a été une longue recherche. Beaucoup de gens ont travaillé sur le terrain.
Nous avions décidé avec Marcia de ne pas stigmatiser la figure du délinquant. Et de contrarier les clichés habituels. Je ne voulais pas que ce soit un garçon typé, issu de l’immigration, avec une problématique de deal ou de consommation de drogue. Ni un garçon qui fonctionne en bande. On voulait que l’histoire se déroule en province et pas en banlieue… J’ai vu bien sûr tous les essais qu’Elsa a filmés mais j’ai, au final, rencontré assez peu de garçons car très peu correspondaient à ce que je cherchais. Nous avions aussi une autre difficulté : on suit le personnage de 13 à 17 ans et je ne voulais pas changer d’acteur en cours de route. Il nous fallait donc trouver quelqu’un qui puisse être aussi crédible à 13 ans qu’à 17.
Rod, malgré ses 18 ans au moment du tournage, avait cette qualité-là. Avec ce visage si pur, encore très enfantin… Il avait aussi dans ses intonations cet accent populaire qui était indispensable à mes yeux.
Comment avez-vous travaillé avec lui sur le tournage ?
Énormément ! Malony n’est pas un personnage évident. Il a d’ailleurs été le plus difficile à écrire. Il est quand même assez tête à claques, ce gamin ! Mais je voulais que le spectateur finisse par l’aimer en comprenant ses failles, ses blessures, sa souffrance. On devait, avec la juge et l’éducateur, éprouver un sentiment mitigé face à Malony, en oscillant constamment entre confiance et découragement, empathie ou rejet, plutôt que de se laisser porter par une simple histoire de rédemption. C’est ce dosage-là qui n’a pas été simple à trouver. Entre l’exaspération qu’il doit susciter au début et la nécessité que les gens l’aiment au bout d’un moment. Ce n’était pas non plus un personnage évident à jouer – surtout pour quelqu’un qui n’a jamais été acteur, et qui, par son tempérament, est très loin du personnage qui était écrit. D’ailleurs, sachant qu’on aurait trop peu de temps sur le plateau, je l’ai fait travailler avant le tournage, pendant deux mois, avec un coach, Daniel Marchaudon. Rod est arrivé en sachant parfaitement son texte – ce qui n’est pas évident pour un jeune homme qui n’a pas l’habitude de travailler. Chaque matin, je lui parlais, je lui expliquais ce que devaient raconter les scènes, comment et pourquoi le personnage était dans tel ou tel état. Mais le vrai travail se faisait au moment des prises. Le plus difficile a été d’amener Rod vers la violence de Malony, car, dans la vie, c’est plutôt quelqu’un de doux, de calme, de poli, d’aimable, de séducteur… Du coup, le personnage n’est pas tout à fait ce que j’avais envisagé au départ, en même temps cette rage et cette douleur contenues que Rod exprime très bien n’en sont que plus fortes, que plus bouleversantes, lorsqu’elles explosent violemment. Parfois, c’est dans la contrainte et l’inattendu qu’on découvre autre chose qui s’avère mieux que ce qu’on avait imaginé. Il faut dire que je n’ai rien lâché et que je l’ai poussé, poussé, poussé jusqu’à ce qu’il arrive à sortir ce que je voulais. Cela a été très dur pour lui parfois. Mais il a toujours eu à cœur de bien faire. Et puis, il y a sa présence à l’écran. Et ça, ça ne se travaille pas…
À quel moment avez-vous parlé à Catherine Deneuve de "La Tête haute" ?
Pendant qu’on faisait la promo de "Elle s’en va". Un soir, je lui ai dit : « Tenez » et je lui ai donné le scénario dont je ne lui avais jamais parlé avant ! Je pense qu’elle a été surprise, mais elle avait l’air heureuse que, si vite, je manifeste l’envie de retravailler avec elle. On s’entend vraiment bien toutes les deux. On a, dans la vie, un lien assez profond. Pareil dans le travail. J’aime tellement cette femme… Je la trouve exceptionnelle dans ce rôle. Elle a en elle cette dualité. Cette autorité naturelle évidente et ce côté tellement attentif et protecteur, tellement maternel… J’avais absolument besoin de ce mélange pour la juge et Catherine l’incarne à la perfection. Pourtant, cela n’a pas été très simple pour elle. Il y avait beaucoup de texte, avec un vocabulaire très technique, très factuel, très précis. En plus, elle était assise quasiment tout le temps. C’était l’inverse d’"Elle s’en va" où je la filmais complètement librement, en extérieurs.
Cette juge est presque pour moi le personnage principal du film. Elle est le pivot autour duquel tous s’accrochent. D’ailleurs, lorsque Catherine est arrivée sur le plateau, alors qu’on tournait depuis trois semaines, j’ai eu le sentiment que le vrai tournage commençait ! (Rires)
Comment est venue votre envie de confier à Benoît Magimel le rôle de l’éducateur ?
C’est un acteur que j’aime depuis très longtemps. Je l’ai découvert évidemment dans "La Vie est un long fleuve…", où je l’avais déjà trouvé fantastique, et je ne l’ai jamais lâché. C’est vraiment un de mes acteurs français préférés. C’est tout simplement un très grand acteur. Il a quelque chose que peu de comédiens français ont : cette manière de jouer avec son corps, ce côté très physique… J’ai énormément d’affection pour l’homme qu’il est, et je suis sensible à sa beauté, à sa virilité, et aussi à l’intensité et l’émotion qu’il dégage, par son côté homme blessé, je l’ai donc filmé avec amour – quand même, le plaisir d’un metteur en scène, c’est aussi de filmer des visages et des corps, et il m’inspirait énormément. J’ai pensé à lui très vite, mais ensuite, j’ai fait machine arrière parce que je me suis dit que ce serait mieux de prendre un inconnu.
J’ai donc vu beaucoup de gens, et même aussi finalement d’autres d’acteurs connus. Mais Magimel continuait à me trotter dans la tête et, comme j’avais déjà choisi Rod, je lui ai carrément demandé de passer des essais avec lui. Il a accepté très simplement. Dès que je l’ai vu dans les essais, j’ai arrêté de chercher ! C’était lui ! J’étais tellement contente de tourner enfin avec lui… C’est vraiment un homme et un acteur merveilleux. D’une gentillesse, d’une humanité, d’une émotion… Au fond, il est très sentimental, et c’est beau chez un homme…
À quel moment l’idée de Sara Forestier pour jouer la mère de Malony est-elle venue ?
Dès le début. J’avais déjà Sara en tête quand j’écrivais. Je ne sais pas pourquoi – on ne peut pas toujours tout expliquer ! Peut-être parce que je sentais qu’elle pouvait composer, qu’elle pouvait aller très loin… Et puis, quand le scénario a été terminé, j’ai décidé… de prendre une inconnue ! On a alors fait avec Antoinette Boulat un long casting d’inconnues, puis aussi finalement d’actrices connues. Si bien que, comme pour Benoît, je me suis dit qu’il fallait que je rencontre Sara que je ne connaissais pas. À elle aussi, j’ai demandé de passer des essais avec Rod, ne serait-ce que pour voir si le couple mère-fils marchait. Quand j’ai vu ses essais, c’était réglé ! D’autant qu’on sentait qu’elle avait très envie de ce rôle. Il y avait dans son désir quelque chose de très viscéral qui, pour un metteur en scène, est très stimulant. Sara a cette capacité de s’abandonner littéralement au personnage, elle aime bien être guidée, elle a une grande écoute du metteur en scène, mais, en même temps, elle propose énormément, elle prend du plaisir à chercher, à creuser... Il n’y a jamais une prise pareille, on est toujours surpris – et c’est tout le bonheur aussi pour un metteur en scène. Le personnage n’est pas du tout évident, car cette jeune mère totalement inconséquente provoque un certain rejet. Il est pourtant clair que cette femme a souffert elle-même, qu’elle n’a pas été éduquée, qu’elle n’a pas les clés pour éduquer ses enfants, elle a aussi toutes les failles de son enfance à porter, elle a eu un enfant très jeune… Je ne peux pas dire que je l’excuse – si, je peux dire que je l’excuse ! J’espère que le regard du spectateur va être comme le regard que pose Malony sur elle : d’une infinie tendresse, parce qu’elle l’aime mal, mais elle l’aime !
Et Diane Rouxel qui joue la fiancée de Malony, comment l’avez-vous choisie et comment définiriez-vous son personnage ?
Il y a eu un long casting sauvage aussi pour ce rôle. Je cherchais quelqu’un de très précis. Une fille brute et brutale, très garçonne, pas du tout dans la séduction, avec une forme d’étrangeté. Et il était pour moi impératif qu’elle ait les cheveux très courts… Je n’ai pas trouvé le personnage que j’avais imaginé dans les non professionnels auditionnés, alors j’ai consenti à explorer du côté des jeunes actrices qui avaient déjà tourné. C’est là que j’ai rencontré Diane, que je ne connaissais pas, mais qui avait joué dans "The Smell of Us", de Larry Clark. Tout comme Rod, elle était assez éloignée du personnage que j’avais en tête, mais elle a ce visage si cinégénique, et puis elle a accepté d’emblée de se couper les cheveux. Elle est extrêmement à l’écoute et dévouée dans le travail. Il fallait cette zone de mystère, sans psychologie, qui fasse accepter que cette fille tombe amoureuse de ce jeune délinquant, en dépit de ce qu’il lui fait subir. Le regard presque mystique de Diane permet de faire passer ça. Et puis, on peut penser, que sur le modèle de sa mère, éducatrice exemplaire, elle s’est forgée une âme de Saint-Bernard, de sauveuse…
Le titre, "La Tête haute", vous l’avez trouvé dès le départ ?
Pas du tout ! On a mis longtemps à le trouver. Au début, le projet s’appelait Double peine, mais c’était trop ambigu. Cela a un sens bien précis dans l’univers judiciaire et dans la tête des gens… Et puis, tout d’un coup, c’est François Kraus qui a proposé d’utiliser les derniers mots du scénario : « Malony traverse les couloirs, le hall du tribunal, la tête haute. » La tête haute, c’était exactement ce que racontait le film.
Vous êtes une enfant de Cannes : vous y avez présenté votre premier court métrage, "Les Vacances", qui, en 1997, a obtenu le prix du Jury… Qu’est-ce que cela représente pour vous de faire l’ouverture cette année avec ce film ?
Sans Cannes en effet, je pense que mon parcours aurait été beaucoup moins facile. Je suis très… – je ne sais pas quel terme employer – … touchée qu’un film comme celui-ci, qui met en lumière justement le travail de ces hommes et de ces femmes de l’ombre, puisse faire l’ouverture du Festival, puisse bénéficier d’une exposition aussi ample et prestigieuse. C’est un immense honneur, en fait.
(extrait dossier de presse)
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