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Mercredi cinéma : "Le dernier loup" de Jean-Jacques Annaud

Publié le : 25-02-2015

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien (ugc) - Enghien (centre des arts),  Franconville - Montmorency - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mardi et mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudZoom nouveauté : "Le dernier loup" de Jean-Jacques Annaud

L'histoire
1969. Chen Zhen, un jeune étudiant originaire de Pékin, est envoyé en Mongolie-Intérieure afin d’éduquer une tribu de bergers nomades. Mais c’est véritablement Chen qui a beaucoup à apprendre – sur la vie dans cette contrée infinie, hostile et vertigineuse, sur la notion de communauté, de liberté et de responsabilité, et sur la créature la plus crainte et vénérée des steppes – le loup. Séduit par le lien complexe et quasi mystique entre ces créatures sacrées et les bergers, il capture un louveteau afin de l’apprivoiser. Mais la relation naissante entre l’homme et l’animal – ainsi que le mode de vie traditionnel de la tribu, et l’avenir de la terre elle-même – est menacée lorsqu’un représentant régional de l’autorité centrale décide par tous les moyens d’éliminer les loups de cette région.
Un film de Jean-Jacques Annaud avec Shaofeng Feng, Shawn Dou, Ankhnyam Ragchaa.

>> Bande annonce du film

 

Bonus : propos de Jean-Jacques Annaud, réalisateur du film.

Comment a débuté cette incroyable aventure qui remonte pour vous à il y a environ 7 ans ?
Tout a commencé par une délégation chinoise qui est venue me rencontrer à Paris. Il faut d’abord expliquer que "Le Totem du loup" a été un phénomène littéraire étourdissant en Chine. Sorti là-bas LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques Annauden 2004, le roman avait échappé à la vigilance de la censure. Masqué sous un pseudonyme, l’auteur était inconnu. Son récit autobiographique se déroulait dans la lointaine province de Mongolie Intérieure, en 1967, aux débuts de la Révolution Culturelle. Les services officiels n’y ont pas prêté attention. Sauf que cette histoire a réveillé beaucoup de choses. Le parcours initiatique d’un jeune citadin découvrant la campagne reculée et s’éveillant à la vie nomade dans une contrée sauvage avait, des décennies plus tard, une résonance particulière dans ce pays aux prises avec de terribles problèmes d’environnement et de pollution… La parution du livre a donc été une prise de conscience générale de ce péril environnemental… Le buzz sur les réseaux sociaux a été colossal. "Le Totem du loup" est devenu le succès littéraire le plus important en Chine depuis le "Petit livre rouge" de Mao. Les lecteurs ont au passage découvert l’existence de ces régions magnifiques et pures de Mongolie Intérieure, aujourd’hui menacées.

Mais je reviens à ma question initiale : comment ce projet a-t-il bien pu arriver jusqu’à vous ?
J’avais entendu parler de ce livre à sa parution en traduction française et lu quelques bonnes feuilles, un peu à la manière du "Nom de la Rose" dont j’avais lu des extraits il y a des années. Je constate alors que les thèmes développés dans "Le Totem du loup" me sont familiers. L’étudiant Chen Zhen projeté en pleine campagne en 1967 n’est pas sans me rappeler le jeune homme que j’étais moi-même en cette même année, sorbonnard découvrant le Cameroun, m’amenant plus tard à tourner "La victoire en chantant", mon premier film. L’idée de ce «jeune instruit» se prenant d’amour pour son improbable région d’accueil, élevant en cachette un loup au milieu des troupeaux de moutons n’est pas non plus sans me rappeler les thèmes bien enracinés dans ma vie et mon travail… C’est alors que ceux qui sont devenus mes producteurs et partenaires débarquent dans mes bureaux de la rue Lincoln à Paris. Ils me proposent d’adapter le roman pour le grand écran. Je leur rappelle que je n’ai pas toujours été en odeur de sainteté auprès des autorités chinoises. «La Chine a changé, répliquent-ils. Et puis nous sommes pragmatiques: nous avons besoin de vous.» J’accepte l’offre d’un voyage à Pékin. Sur place, je découvre que mes films ont été très largement diffusés dans le pays, trouvant leur place dans le mince quota réservé aux productions étrangères. Dans un réjouissant paradoxe, mon film qui a été le plus vu, "L'amant", est toujours interdit.

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudLe voyage se fait-il en catimini ou tout à fait officiel ?
À ma descente d’avion à Pékin, j’ai été convié à l’Hôtel de Ville pour croiser les baguettes avec le maire. Un «fan» du livre très préoccupé par la baisse du tourisme dans sa ville pour cause de smog. Je suis parti le soir même pour la Mongolie, en compagnie de Jiang Rong, l’auteur du bouquin et admirateur de Stendhal, sa sœur qui travaille pour une grande compagnie américaine, le mari de celle-ci, économiste célèbre aux idées décoiffantes, le copain de Jiang Rong qui avait partagé l’aventure avec lui à l’époque et devenu LE peintre de la Mongolie, lui-même grand admirateur de Millet, Corot, et des pré-impressionnistes de l’Ecole de Barbizon. Aussi le patron de la chaîne de télé de Pékin, un quadra dynamique et affable avec son épouse ex-danseuse. Un séjour de trois semaines sur les lieux mêmes de l’histoire, au pied de la montagne où le bébé loup a été découvert, sur les rives du lac gelé où se sont noyés les chevaux, auprès des vieux éleveurs qui n’ont rien oublié de l’affaire. Nous sommes rejoints par un directeur de la photographie natif de la steppe profonde et son copain star de la pop mongol. On rigole, on picole. L’alcool de lait de jument fermenté opère un parfait mordançage des boyaux propice à la soudure des amitiés. Et à la fin de chaque repas chacun se lance dans de passionnés plaidoyers sur l’indispensable tournant que doit accomplir la Chine pour préserver ses espaces naturels et ses espèces sauvages.

Vous vous doutez évidemment que ce discours-là est assez inconcevable vu de France…
Je suis tombé sur un groupe sans doute un peu particulier, mais au bout du compte représentatif de ce basculement de l’opinion qui était en train de s’opérer dès ces années-là. Les habitants des villes suffoquent, ne peuvent plus sortir sans masque. Ils doivent s’aider de la géolocalisation de leur smartphone pour retrouver leur immeuble. Leurs enfants sont privés d’activités de plein air sous peine de maladies pulmonaires. Les gens des campagnes sont régulièrement intoxiqués par des eaux souillées, ou chassés de leurs terres par l’envahissement du béton. Tout cela est quotidiennement rapporté sur les chaînes de radios et de télés du pays. Il ne s’agit plus de faire bonne figure, il s’agit de survivre. Alors, oui, la Chine se sait obligée de changer. Même si de nouvelles directives tentent de faire barrage aux «informations négatives antipatriotiques».
De loin, on n’a jamais le même regard que quand on vit sur place et qu’on partage son quotidien avec la population du cru. J’ai découvert un pays et un peuple autre que celui que j’imaginais. J’ai été reçu avec beaucoup de convivialité, mes acteurs et ma vaste équipe ont entretenu avec moi un rapport affectueux. J’ai travaillé dans une incroyable liberté. J’ai sans doute bénéficié d’une position privilégiée. Mais ce qui m’a plu tout de suite, c’est aussi une franchise rafraîchissante. Par exemple quand on me dit dès le premier diner: «Ce que vous savez faire, ici, on ne sait pas le faire. Pas encore. Alors on va bien regarder comment vous faites, et quand on aura compris, on n’aura plus besoin de vous». Et tout le monde lève son verre mort de rire. Kampé!

Cette liberté que vous évoquez s’explique aussi sans doute par le fait que plusieurs de vos films ont été vus en Chine. Par quoi s’est-elle concrètement manifestée dans la fabrication du "Dernier loup" ?
Il faut normalement attendre de longs mois pour que le Bureau du Cinéma donne son feu vert sur un scénario. Le nôtre a été écrit en France avec Alain Godard. Je l’ai terminé à Pékin après sa disparition. Le lendemain du jour où j’ai remis le texte à China Film Group, j’ai reçu une note de lecture comme on en reçoit des studios américains, mais d’une amabilité tout orientale. Trois scènes semblaient poser problème. J’ai renvoyé un courrier proposant de me les laisser tourner et de juger sur pièce. La proposition a été acceptée. Les scènes sont dans le film, telles que je les avais écrites.
En revanche l’apparition fugace de la pointe de seins d’une bergère m’a été signalée comme risquant de troubler la pudeur chinoise. J’ai remplacé les deux secondes incriminées par celles  ’une autre prise plus respectueuse de l’anatomie des jeunes filles mongoles. J’ai aussi corrigé deux mots de dialogue. Je suis peut-être un miraculé de la censure, je ne sais pas.
LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudVous êtes sur place à ce moment crucial ?
Non, j’étais rentré à Paris, sachant par mes confrères que les choses pouvaient durer. Au bout de trois semaines j’ai commencé à m’agiter sérieusement, inquiet que la version exploitée en Chine se trouve amputée de certains plans, ou de scènes entières. Souci supplémentaire : la Commission qui veille au respect des spécificités régionales. 56 minorités cohabitent en Chine, soit environ 200 millions de personnes. Je suis le premier à penser qu’il est important de respecter leurs particularismes. Mais, malgré quatre conseillers engagés pour m’aider à ne pas faire d’erreurs, je me suis angoissé d’en avoir laissé passer certaines sur la culture et les traditions mongoles… Bref, avant le coup de fil libérateur, mon mois de juillet 2014 a été fiévreux!

Que pensez-vous de la concurrence des films chinois ?
Dans le domaine du cinéma je vois plus la Chine comme un partenaire possible pour la France qu’un concurrent. La concurrence, en Chine, est américaine. Elle n’est pas de bonne qualité. Les films hollywoodiens qui ont accès à ce qui va devenir le plus grand marché cinématographique du monde dans les années à venir sont les blockbusters standardisés aux idées prévisibles et au visuel globalisé.
Les professionnels chinois sont avides d’échanges plus diversifiés. Ils multiplient les rencontres avec leurs collègues des pays producteurs.

Comment d’ailleurs "Le dernier loup" est-il considéré vu de Pékin : comme un film chinois fait par un Français ou comme un film français fait avec des capitaux chinois ?
Au Canada, "La guerre du feu" était un film canadien. En Allemagne, "Le nom de la rose" était un film allemand. Vu d’Afrique "La victoire en chantant" qui a obtenu l’oscar pour la Côte d’Ivoire est un film africain. "Le dernier loup" est un film chinois. C’est aussi mon film.

Est-ce que l’obstacle de la langue ou plutôt des langues a été à un moment un handicap, notamment avec vos comédiens ?
Sur un plateau nous parlons tous la même langue : celle du cinéma. Technicien ou acteur, chacun sait ce qu’il a à faire et le moment où il faut le faire. La seule difficulté, quand on ne pratique pas les idiomes du tournage – en l’occurrence le Mandarin et le Mongol – est de juger de la prononciation des mots et de la subtilité des accents. Je me suis entouré de spécialistes des deux langues affectés au dépistage des fautes de texte ou d’articulation.

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudPuisqu’on parle de vos comédiens, ils sont tous professionnels ?
Pour la figuration, nous avons engagé des éleveurs et des cavaliers du coin. Mais tous ceux qui ont un rôle avec du texte, même quelques mots, sont des acteurs professionnels. Seuls les trois protagonistes sont des stars Han, l’ethnie dominante de la Chine. Les autres sont venus des quatre coins de la Mongolie Intérieure, après un casting qui m’a fait parcourir des milliers de kilomètres pour aller à leur rencontre.

Parlons des aspects techniques du film. Certaines des séquences sont d’une ampleur absolument dantesque en termes de figuration, d’animaux, d’action, de décors. Le budget est d’une quarantaine de millions de dollars, ce qui est une grosse somme à l’échelle chinoise : vous diriez que rien ne vous a été refusé ?

J’ai bénéficié de la volonté de l’industrie cinématographique chinoise de s’améliorer, de changer de niveau. Producteurs, acteurs, réalisateurs, techniciens, tous posent un regard très critique sur leur travail. Sur les 400 films produits par an on trouve chaque année de vraies pépites. L’Industrie chinoise du cinéma d’aujourd’hui me fait penser à la situation de l’Italie dans les années 60, la grande époque du Péplum et du Spaghetti Western, où la machine à faire des entrées avec des productions de basse qualité côtoyait un cinéma de haut vol sous l’impulsion de grands créateurs.

Venons-en aux vraies stars de ce film et commençons par le début : la naissance et le dressage des louveteaux…
Nous avons appliqué le même processus que pour "L'ours" en nous y prenant très en amont. Pendant l’entraînement de mes plantigrades, j’avais, à l’époque, eu le temps de glisser le tournage du "Nom de la rose". En attendant que nos loups deviennent adultes, j’ai tourné "Or noir". La production chinoise a financé la préparation en acceptant que trois ans seraient nécessaires avant de pouvoir tourner la première image… Il fallait acquérir des bébés loups, les faire grandir dans des parcs spécialement conçus pour leur croissance, sous surveillance constante. Je connais peu de producteurs qui auraient eu le courage d’effectuer ce saut dans l’inconnu. Nous avons embarqué dans l’aventure le plus célèbre des dresseurs de canidés au monde, le canadien Andrew Simpson, qui s’est installé à Pékin pour trois ans. Après le tournage, Andrew a obtenu l’autorisation exceptionnelle d’emmener avec lui les animaux qu’il avait élevés et vus grandir, qu’il avait entrainés quotidiennement et qui étaient devenus ses enfants. La meute habite aujourd’hui sur les contreforts des rocheuses, dans la région de Calgary. Andrew me raconte que les loups attendent chaque jour de revoir arriver les camions caméras…

Concrètement, dans le travail quotidien ça se passe comment ?
Un aimable cauchemar. Le loup est un animal très sauvage, toujours sur le qui-vive. Il n’obéit qu’à son chef de meute, qui n’obéit au dresseur que quand il le consent. Il ne se laisse pas approcher. Impossible de le nettoyer s’il s’est roulé dans la boue, ou la bouse. Il faut attendre des heures, des jours parfois, pour qu’il «sente» une scène. Il faut être prêt à déclencher au moment où le roi décide de lancer l’action. Nous avions deux groupes, dont un particulièrement redoutable. Les petits du premier groupe avaient été acquis avec une semaine de retard après leur naissance. Ils n’ont pas confondu les dresseurs avec leurs vrais parents. Ils n’ont jamais pu être domestiqués. En réalité un atout pour le film.
Autre piège: tous les loups, dans le monde entier, naissent entre mi-mars et début avril. Nous avons dû établir notre plan de travail en fonction de cette réalité. Nous avons interrompu le tournage de nombreuses fois pour laisser grandir notre jeune protagoniste. Encore un bienfait pour le film à vrai dire: la couleur de la steppe typique du passage des saisons est parfaitement juste par rapport à son développement.

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudQuel est votre regard de metteur en scène sur ces acteurs très particuliers ?
Les grands acteurs sont souvent incontrôlables, déconcertants, fascinants, touchants. Parfois adorables, comme notre chef de meute, le roi «Cloudy», à qui j’avais confié le premier rôle. Il avait décidé que j’étais son ami, que je pouvais le caresser, qu’il devait m’embrasser chaque matin en une longue et tumultueuse séance de léchage. Privilège rare qui m’a valu mon lot d’anoraks lacérés et d’estafilades sanguinolentes. La reine «Silver», son épouse, mettait généralement fin à nos effusions en me tirant le bas de pantalon et en me croquant les cheveux. La mienne, ma collaboratrice et scripte Laurence, a réalisé très tardivement que «Cloudy» ne s’appelait pas «Claudie».

Incroyable à quel titre ?
Incroyable parce que j’étais le seul avec son dresseur à pouvoir l’approcher. Incroyable parce que, selon le même Andrew, c’était aussi inattendu qu’inexplicable. Dès que nous avons été «présentés», alors qu’il venait de s’arroger le pouvoir au sein de le jeune meute, il s’est avancé vers moi en rampant, la queue entre les pattes, le regard infiniment doux… Il m’a reniflé, puis s’est couché sur le dos en offrant son ventre. Andrew m’a suggéré de le caresser… Cloudy m’a léché furtivement un doigt puis est parti rejoindre ses sujets. Il s’est frotté à chacun d’eux pour leur transmettre mon odeur. Jour après jour, il a recommencé le même manège mais de moins en moins en vassal, de plus en plus en ami. Il n’a jamais accepté de travailler sans son câlin du matin…
(extrait dossier de presse)

Programme de la semaine des cinémas de la Vallée de Montmorency :
Enghien (ugc) - Enghien (centre des arts),  Franconville - Montmorency - Saint-Gratien - Taverny et les séances du mardi et mercredi de Ermont
Autres cinémas proches : Epinay-sur-Seine - Saint-Ouen l'Aumône

 

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudZoom nouveauté : "Le dernier loup" de Jean-Jacques Annaud

L'histoire
1969. Chen Zhen, un jeune étudiant originaire de Pékin, est envoyé en Mongolie-Intérieure afin d’éduquer une tribu de bergers nomades. Mais c’est véritablement Chen qui a beaucoup à apprendre – sur la vie dans cette contrée infinie, hostile et vertigineuse, sur la notion de communauté, de liberté et de responsabilité, et sur la créature la plus crainte et vénérée des steppes – le loup. Séduit par le lien complexe et quasi mystique entre ces créatures sacrées et les bergers, il capture un louveteau afin de l’apprivoiser. Mais la relation naissante entre l’homme et l’animal – ainsi que le mode de vie traditionnel de la tribu, et l’avenir de la terre elle-même – est menacée lorsqu’un représentant régional de l’autorité centrale décide par tous les moyens d’éliminer les loups de cette région.
Un film de Jean-Jacques Annaud avec Shaofeng Feng, Shawn Dou, Ankhnyam Ragchaa.

>> Bande annonce du film

 

Bonus : propos de Jean-Jacques Annaud, réalisateur du film.

Comment a débuté cette incroyable aventure qui remonte pour vous à il y a environ 7 ans ?
Tout a commencé par une délégation chinoise qui est venue me rencontrer à Paris. Il faut d’abord expliquer que "Le Totem du loup" a été un phénomène littéraire étourdissant en Chine. Sorti là-bas LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques Annauden 2004, le roman avait échappé à la vigilance de la censure. Masqué sous un pseudonyme, l’auteur était inconnu. Son récit autobiographique se déroulait dans la lointaine province de Mongolie Intérieure, en 1967, aux débuts de la Révolution Culturelle. Les services officiels n’y ont pas prêté attention. Sauf que cette histoire a réveillé beaucoup de choses. Le parcours initiatique d’un jeune citadin découvrant la campagne reculée et s’éveillant à la vie nomade dans une contrée sauvage avait, des décennies plus tard, une résonance particulière dans ce pays aux prises avec de terribles problèmes d’environnement et de pollution… La parution du livre a donc été une prise de conscience générale de ce péril environnemental… Le buzz sur les réseaux sociaux a été colossal. "Le Totem du loup" est devenu le succès littéraire le plus important en Chine depuis le "Petit livre rouge" de Mao. Les lecteurs ont au passage découvert l’existence de ces régions magnifiques et pures de Mongolie Intérieure, aujourd’hui menacées.

Mais je reviens à ma question initiale : comment ce projet a-t-il bien pu arriver jusqu’à vous ?
J’avais entendu parler de ce livre à sa parution en traduction française et lu quelques bonnes feuilles, un peu à la manière du "Nom de la Rose" dont j’avais lu des extraits il y a des années. Je constate alors que les thèmes développés dans "Le Totem du loup" me sont familiers. L’étudiant Chen Zhen projeté en pleine campagne en 1967 n’est pas sans me rappeler le jeune homme que j’étais moi-même en cette même année, sorbonnard découvrant le Cameroun, m’amenant plus tard à tourner "La victoire en chantant", mon premier film. L’idée de ce «jeune instruit» se prenant d’amour pour son improbable région d’accueil, élevant en cachette un loup au milieu des troupeaux de moutons n’est pas non plus sans me rappeler les thèmes bien enracinés dans ma vie et mon travail… C’est alors que ceux qui sont devenus mes producteurs et partenaires débarquent dans mes bureaux de la rue Lincoln à Paris. Ils me proposent d’adapter le roman pour le grand écran. Je leur rappelle que je n’ai pas toujours été en odeur de sainteté auprès des autorités chinoises. «La Chine a changé, répliquent-ils. Et puis nous sommes pragmatiques: nous avons besoin de vous.» J’accepte l’offre d’un voyage à Pékin. Sur place, je découvre que mes films ont été très largement diffusés dans le pays, trouvant leur place dans le mince quota réservé aux productions étrangères. Dans un réjouissant paradoxe, mon film qui a été le plus vu, "L'amant", est toujours interdit.

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudLe voyage se fait-il en catimini ou tout à fait officiel ?
À ma descente d’avion à Pékin, j’ai été convié à l’Hôtel de Ville pour croiser les baguettes avec le maire. Un «fan» du livre très préoccupé par la baisse du tourisme dans sa ville pour cause de smog. Je suis parti le soir même pour la Mongolie, en compagnie de Jiang Rong, l’auteur du bouquin et admirateur de Stendhal, sa sœur qui travaille pour une grande compagnie américaine, le mari de celle-ci, économiste célèbre aux idées décoiffantes, le copain de Jiang Rong qui avait partagé l’aventure avec lui à l’époque et devenu LE peintre de la Mongolie, lui-même grand admirateur de Millet, Corot, et des pré-impressionnistes de l’Ecole de Barbizon. Aussi le patron de la chaîne de télé de Pékin, un quadra dynamique et affable avec son épouse ex-danseuse. Un séjour de trois semaines sur les lieux mêmes de l’histoire, au pied de la montagne où le bébé loup a été découvert, sur les rives du lac gelé où se sont noyés les chevaux, auprès des vieux éleveurs qui n’ont rien oublié de l’affaire. Nous sommes rejoints par un directeur de la photographie natif de la steppe profonde et son copain star de la pop mongol. On rigole, on picole. L’alcool de lait de jument fermenté opère un parfait mordançage des boyaux propice à la soudure des amitiés. Et à la fin de chaque repas chacun se lance dans de passionnés plaidoyers sur l’indispensable tournant que doit accomplir la Chine pour préserver ses espaces naturels et ses espèces sauvages.

Vous vous doutez évidemment que ce discours-là est assez inconcevable vu de France…
Je suis tombé sur un groupe sans doute un peu particulier, mais au bout du compte représentatif de ce basculement de l’opinion qui était en train de s’opérer dès ces années-là. Les habitants des villes suffoquent, ne peuvent plus sortir sans masque. Ils doivent s’aider de la géolocalisation de leur smartphone pour retrouver leur immeuble. Leurs enfants sont privés d’activités de plein air sous peine de maladies pulmonaires. Les gens des campagnes sont régulièrement intoxiqués par des eaux souillées, ou chassés de leurs terres par l’envahissement du béton. Tout cela est quotidiennement rapporté sur les chaînes de radios et de télés du pays. Il ne s’agit plus de faire bonne figure, il s’agit de survivre. Alors, oui, la Chine se sait obligée de changer. Même si de nouvelles directives tentent de faire barrage aux «informations négatives antipatriotiques».
De loin, on n’a jamais le même regard que quand on vit sur place et qu’on partage son quotidien avec la population du cru. J’ai découvert un pays et un peuple autre que celui que j’imaginais. J’ai été reçu avec beaucoup de convivialité, mes acteurs et ma vaste équipe ont entretenu avec moi un rapport affectueux. J’ai travaillé dans une incroyable liberté. J’ai sans doute bénéficié d’une position privilégiée. Mais ce qui m’a plu tout de suite, c’est aussi une franchise rafraîchissante. Par exemple quand on me dit dès le premier diner: «Ce que vous savez faire, ici, on ne sait pas le faire. Pas encore. Alors on va bien regarder comment vous faites, et quand on aura compris, on n’aura plus besoin de vous». Et tout le monde lève son verre mort de rire. Kampé!

Cette liberté que vous évoquez s’explique aussi sans doute par le fait que plusieurs de vos films ont été vus en Chine. Par quoi s’est-elle concrètement manifestée dans la fabrication du "Dernier loup" ?
Il faut normalement attendre de longs mois pour que le Bureau du Cinéma donne son feu vert sur un scénario. Le nôtre a été écrit en France avec Alain Godard. Je l’ai terminé à Pékin après sa disparition. Le lendemain du jour où j’ai remis le texte à China Film Group, j’ai reçu une note de lecture comme on en reçoit des studios américains, mais d’une amabilité tout orientale. Trois scènes semblaient poser problème. J’ai renvoyé un courrier proposant de me les laisser tourner et de juger sur pièce. La proposition a été acceptée. Les scènes sont dans le film, telles que je les avais écrites.
En revanche l’apparition fugace de la pointe de seins d’une bergère m’a été signalée comme risquant de troubler la pudeur chinoise. J’ai remplacé les deux secondes incriminées par celles  ’une autre prise plus respectueuse de l’anatomie des jeunes filles mongoles. J’ai aussi corrigé deux mots de dialogue. Je suis peut-être un miraculé de la censure, je ne sais pas.
LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudVous êtes sur place à ce moment crucial ?
Non, j’étais rentré à Paris, sachant par mes confrères que les choses pouvaient durer. Au bout de trois semaines j’ai commencé à m’agiter sérieusement, inquiet que la version exploitée en Chine se trouve amputée de certains plans, ou de scènes entières. Souci supplémentaire : la Commission qui veille au respect des spécificités régionales. 56 minorités cohabitent en Chine, soit environ 200 millions de personnes. Je suis le premier à penser qu’il est important de respecter leurs particularismes. Mais, malgré quatre conseillers engagés pour m’aider à ne pas faire d’erreurs, je me suis angoissé d’en avoir laissé passer certaines sur la culture et les traditions mongoles… Bref, avant le coup de fil libérateur, mon mois de juillet 2014 a été fiévreux!

Que pensez-vous de la concurrence des films chinois ?
Dans le domaine du cinéma je vois plus la Chine comme un partenaire possible pour la France qu’un concurrent. La concurrence, en Chine, est américaine. Elle n’est pas de bonne qualité. Les films hollywoodiens qui ont accès à ce qui va devenir le plus grand marché cinématographique du monde dans les années à venir sont les blockbusters standardisés aux idées prévisibles et au visuel globalisé.
Les professionnels chinois sont avides d’échanges plus diversifiés. Ils multiplient les rencontres avec leurs collègues des pays producteurs.

Comment d’ailleurs "Le dernier loup" est-il considéré vu de Pékin : comme un film chinois fait par un Français ou comme un film français fait avec des capitaux chinois ?
Au Canada, "La guerre du feu" était un film canadien. En Allemagne, "Le nom de la rose" était un film allemand. Vu d’Afrique "La victoire en chantant" qui a obtenu l’oscar pour la Côte d’Ivoire est un film africain. "Le dernier loup" est un film chinois. C’est aussi mon film.

Est-ce que l’obstacle de la langue ou plutôt des langues a été à un moment un handicap, notamment avec vos comédiens ?
Sur un plateau nous parlons tous la même langue : celle du cinéma. Technicien ou acteur, chacun sait ce qu’il a à faire et le moment où il faut le faire. La seule difficulté, quand on ne pratique pas les idiomes du tournage – en l’occurrence le Mandarin et le Mongol – est de juger de la prononciation des mots et de la subtilité des accents. Je me suis entouré de spécialistes des deux langues affectés au dépistage des fautes de texte ou d’articulation.

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudPuisqu’on parle de vos comédiens, ils sont tous professionnels ?
Pour la figuration, nous avons engagé des éleveurs et des cavaliers du coin. Mais tous ceux qui ont un rôle avec du texte, même quelques mots, sont des acteurs professionnels. Seuls les trois protagonistes sont des stars Han, l’ethnie dominante de la Chine. Les autres sont venus des quatre coins de la Mongolie Intérieure, après un casting qui m’a fait parcourir des milliers de kilomètres pour aller à leur rencontre.

Parlons des aspects techniques du film. Certaines des séquences sont d’une ampleur absolument dantesque en termes de figuration, d’animaux, d’action, de décors. Le budget est d’une quarantaine de millions de dollars, ce qui est une grosse somme à l’échelle chinoise : vous diriez que rien ne vous a été refusé ?

J’ai bénéficié de la volonté de l’industrie cinématographique chinoise de s’améliorer, de changer de niveau. Producteurs, acteurs, réalisateurs, techniciens, tous posent un regard très critique sur leur travail. Sur les 400 films produits par an on trouve chaque année de vraies pépites. L’Industrie chinoise du cinéma d’aujourd’hui me fait penser à la situation de l’Italie dans les années 60, la grande époque du Péplum et du Spaghetti Western, où la machine à faire des entrées avec des productions de basse qualité côtoyait un cinéma de haut vol sous l’impulsion de grands créateurs.

Venons-en aux vraies stars de ce film et commençons par le début : la naissance et le dressage des louveteaux…
Nous avons appliqué le même processus que pour "L'ours" en nous y prenant très en amont. Pendant l’entraînement de mes plantigrades, j’avais, à l’époque, eu le temps de glisser le tournage du "Nom de la rose". En attendant que nos loups deviennent adultes, j’ai tourné "Or noir". La production chinoise a financé la préparation en acceptant que trois ans seraient nécessaires avant de pouvoir tourner la première image… Il fallait acquérir des bébés loups, les faire grandir dans des parcs spécialement conçus pour leur croissance, sous surveillance constante. Je connais peu de producteurs qui auraient eu le courage d’effectuer ce saut dans l’inconnu. Nous avons embarqué dans l’aventure le plus célèbre des dresseurs de canidés au monde, le canadien Andrew Simpson, qui s’est installé à Pékin pour trois ans. Après le tournage, Andrew a obtenu l’autorisation exceptionnelle d’emmener avec lui les animaux qu’il avait élevés et vus grandir, qu’il avait entrainés quotidiennement et qui étaient devenus ses enfants. La meute habite aujourd’hui sur les contreforts des rocheuses, dans la région de Calgary. Andrew me raconte que les loups attendent chaque jour de revoir arriver les camions caméras…

Concrètement, dans le travail quotidien ça se passe comment ?
Un aimable cauchemar. Le loup est un animal très sauvage, toujours sur le qui-vive. Il n’obéit qu’à son chef de meute, qui n’obéit au dresseur que quand il le consent. Il ne se laisse pas approcher. Impossible de le nettoyer s’il s’est roulé dans la boue, ou la bouse. Il faut attendre des heures, des jours parfois, pour qu’il «sente» une scène. Il faut être prêt à déclencher au moment où le roi décide de lancer l’action. Nous avions deux groupes, dont un particulièrement redoutable. Les petits du premier groupe avaient été acquis avec une semaine de retard après leur naissance. Ils n’ont pas confondu les dresseurs avec leurs vrais parents. Ils n’ont jamais pu être domestiqués. En réalité un atout pour le film.
Autre piège: tous les loups, dans le monde entier, naissent entre mi-mars et début avril. Nous avons dû établir notre plan de travail en fonction de cette réalité. Nous avons interrompu le tournage de nombreuses fois pour laisser grandir notre jeune protagoniste. Encore un bienfait pour le film à vrai dire: la couleur de la steppe typique du passage des saisons est parfaitement juste par rapport à son développement.

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques AnnaudQuel est votre regard de metteur en scène sur ces acteurs très particuliers ?
Les grands acteurs sont souvent incontrôlables, déconcertants, fascinants, touchants. Parfois adorables, comme notre chef de meute, le roi «Cloudy», à qui j’avais confié le premier rôle. Il avait décidé que j’étais son ami, que je pouvais le caresser, qu’il devait m’embrasser chaque matin en une longue et tumultueuse séance de léchage. Privilège rare qui m’a valu mon lot d’anoraks lacérés et d’estafilades sanguinolentes. La reine «Silver», son épouse, mettait généralement fin à nos effusions en me tirant le bas de pantalon et en me croquant les cheveux. La mienne, ma collaboratrice et scripte Laurence, a réalisé très tardivement que «Cloudy» ne s’appelait pas «Claudie».

Incroyable à quel titre ?
Incroyable parce que j’étais le seul avec son dresseur à pouvoir l’approcher. Incroyable parce que, selon le même Andrew, c’était aussi inattendu qu’inexplicable. Dès que nous avons été «présentés», alors qu’il venait de s’arroger le pouvoir au sein de le jeune meute, il s’est avancé vers moi en rampant, la queue entre les pattes, le regard infiniment doux… Il m’a reniflé, puis s’est couché sur le dos en offrant son ventre. Andrew m’a suggéré de le caresser… Cloudy m’a léché furtivement un doigt puis est parti rejoindre ses sujets. Il s’est frotté à chacun d’eux pour leur transmettre mon odeur. Jour après jour, il a recommencé le même manège mais de moins en moins en vassal, de plus en plus en ami. Il n’a jamais accepté de travailler sans son câlin du matin…
(extrait dossier de presse)

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