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Rencontre exceptionnelle à Franconville avec Jean-Luc Pouteau, meilleur sommelier du monde ! (Première partie)

Publié le : 16-03-2015

Jean-Luc PouteauRencontrer Jean-Luc Pouteau, c'est découvrir un destin exceptionnel dans l'univers des vins, c'est voyager en France mais aussi dans le monde entier mais c'est surtout apprécier un homme simple, discret, qui "ne fait que son travail avec plaisir" comme il aime bien le répéter.
Dans cette première partie, il nous dévoile comment il est devenu un passionné des vins au parcours exceptionnel. Dans la seconde partie (parution la semaine prochaine), il nous racontera ses missions au Japon et en Chine et comment il perçoit la place du vin dans la société actuelle.

 

Vous êtes originaire de Mayenne, région qui ne produit pas de vin. Un comble pour un sommelier de renom !
C'est pourtant vrai ! Je dis aussi souvent : quand j'étais jeune, je ne buvais que du cidre ! Mon père avait d'ailleurs une belle cave que j'ai découverte beaucoup plus tard. A cette époque, le vin ne m'intéressait pas. En effet, mon premier métier c'était cuisinier puis ouvrier pâtissier dans un grand établissement de Rennes. J'étais chargé des petits gâteaux, des éclairs, des choux à la crème, des tartelettes !
Comme j'avais fait les cours d'une école hôtelière à Paris et que je pouvais être serveur, maitre de rang, j'ai fait un extra aux 24 heures du Mans au restaurant où tous les coureurs et sponsors viennent manger. Le maitre d'hôtel m'a alors fait une proposition intéressante : faire la saison d'été à La Baule ! Belle proposition qui m'intéressait mais j'avais déjà un contrat en cuisine à la Rochelle dans un restaurant "Chez Serge". Mais, un an plus tard, il m'a rappelé : « Tu te souviens de moi. Veux-tu venir à La Baule en tant que chef de rang ? » Imaginez la situation : j'ai 20 ans en 1965 et on me propose un beau poste avec un saaire fixe de 1500 F par mois sans compter les pourboires alors que je gagnais 867 F en tant que pâtissier… Evidemment je n'ai pas hésité ! Après, j'ai enchainé avec une saison d'hiver à Courchevel, avant de revenir à La Baule. Et toujours pas de vin au menu de mon parcours !!
Puis l'armée m'a appelé : j'ai été affecté sur la "Jeanne d'Arc", le navire porte-hélicoptère mais j'ai refusé d'y aller : c'était certes un honneur mais il fallait faire deux mois de rab ! Alors ils ont l'idée de m'affecter chez l'amiral, à Brest, dans son appartement personnel, pour faire la cuisine à toute sa famille. J'avais même un chauffeur pour faire mes courses !
Et un jour, mon père m'a conseillé d'aller voir une copine à ma sœur qui habitait aussi à Brest car elle avait… une 2 CV : pour revenir en Mayenne, c'était plus pratique !
Cette fille partageait son appartement avec une autre jeune fille. Elles m'ont invité et je leur ai préparé un repas avec les instruments du bord. Et c'est là que cette charmante colocataire a sorti une bouteille de Cabernet d'Anjou. J'ai trouvé ce vin fruité et la fille était sympa : et voilà comment j'ai épousé la fille et découvert le vin ! Mon beau père était viticulteur. Avant le mariage je lui disais que son vin était bon et, après le mariage, je lui ai dit qu'il n'était pas fameux ! (rires)

vignoble (source : site internet caves pouteau)Mais cette passion du vin, comment vous est-elle ensuite venue ?
J'ai suivi ma femme à Angers où elle a été nommée comme professeur de gym. En septembre, j'ai été embauché comme maitre d'hôtel dans une auberge. Je devais prendre la commande des plats et conseiller des vins mais je n'y connaissais rien ! Mon patron m'a dit alors : « Tu vas prendre la liste de nos fournisseurs et, en octobre, pendant tes vacances, tu vas faire le tour de France en les visitant tous ! J'ai ainsi rencontré les producteurs, je voyais le vignoble et c'est là que j'ai appris à goûter. Je suis revenu passionné ! Cela a été le déclic !
Alors, par la suite, j'ai voulu en savoir plus. Mais, en 1970, il n'y avait pas de livres sur le vin et seulement deux revues : "Revue du vin de France" et "Cuisines et vins de France". Et la plupart des représentants n'y connaissaient rien.
Alors, comme j'étais vers Angers, dans la vallée de la Loire, pendant mon jour de congé, j'en profitais pour aller goûter le Saumur, le Chinon, le Bourgueil. Puis j'ai monté un premier club d'amateurs de vin : on se réunissait une fois par mois et ça m'obligeait à chercher des nouveaux vins et à en parler en public. Un exercice formateur.

Puis les concours de sommelier vont ont offert une grande notoriété ?
En effet, en janvier 1972, La Revue des vins de France organise un concours de Meilleur sommelier de France avec une épreuve régionale et une finale à Paris réunissant les lauréats régionaux.
Je m'inscris à Angers dans la région Bretagne Val de Loire et je gagne au niveau régional ! Au bout seulement de deux ans de connaissances, j'ai été surpris. A Paris, pour la finale, je termine… dernier ! Mais j'ai regardé comment se passait un concours et compris ce qu'ils demandaient.
Le concours a lieu tous les deux ans et, en 1974, je termine encore premier au niveau régional et lors de la finale à Paris,  je termine…  quatrième. C'est vraiment vexant de finir 4ème !
Il fallait que je travaille encore les différentes épreuves : les connaissances théoriques des vignobles, les appellations des cépages, des terroirs, la dégustation de vins mais aussi la connaissance des eaux de vie, des liqueurs et enfin l'accord des mets et des vins…
Je me représente en 1976 mais les autres candidats de la région ne voulaient plus concourir si j'étais présent. L'organisatrice trouve la solution en me mettant "hors concours". Je remporte une nouvelle fois la compétition et je monte encore à Paris pour la finale ! Et le 15 juin 1976 je termine Meilleur Sommelier de France !

Jean-Luc PouteauAprès ce titre national, vous avez dû être très sollicité ?
En effet, j'ai eu de nombreux appels pour venir travailler dans de célèbres restaurants. J'ai choisi "La Marée" dans le XVIIe arrondissement de Paris en tant que sommelier ! Il y avait une clientèle très aisée et une carte de vins fabuleuse.

Après le sacre national, vous aviez envisagé le titre mondial ?
Non car il n'existait pas. C'est seulement en 1980 que le président des Sommeliers de France décide de monter un concours des meilleurs sommeliers du monde. Pour s'y inscrire, il fallait être le meilleur dans son pays.
A cette époque, je travaillais tous les jours à Paris. Je partais en train de Franconville et, tout au long de mes parcours, j'apprenais mes fiches ! Même en vacances je n'arrêtais pas ! En parallèle à mon travail, je donnais aussi des cours de formation continue à l'académie des vins pour le personnel de la restauration. Cela m'obligeait à apprendre !
Enfin, j'allais aussi souvent en Belgique pour de nombreuses dégustations. En France on est plutôt axé sur les vins français tandis que la Belgique est plus ouverte à tous les vins du monde que je ne trouvais pas ici ! Enfin en 1983 arriva ce premier concours de meilleur sommelier du monde, 37 candidats du monde entier étaient inscrits et je termine… premier !

Vous étiez surpris ?
Comme j'avais passé trois fois le concours de meilleur sommelier de France, je ne pensais pas gagner mais surtout me préparer pour une prochaine fois. Mais après ce succès, ce sont les medias qui m'ont beaucoup aidé. Le fait d'être invité dans des émissions avec Jean-Pierre Foucault, Christophe Dechavanne ou Jacques Martin m'a offert une certaine notoriété. Comme je vous l'ai dit, j'avais donné des cours à l'Académie du vin et Gaston Lenôtre m'a contacté simplement pour me dire : « Est-ce que tu peux venir donner des cours de vin à mon personnel de salle en formation continue ? ». Je lui ai donné mon accord mais j'avais souhaité que les chefs de rang, maîtres d'hôtel et cuisiniers suivent aussi la formation et que les participants s'inscrivent aux futurs concours de meilleur sommelier de France.
Pour l'anecdote, la sommelière a terminé meilleure jeune de France, le maitre d'hôtel élu meilleur maitre d'hôtel de France et le sommelier a été élu 2e. Et parmi les élèves de chez Lenôtre, il y avait aussi un gars pas encore connu, un certain Pierre Hermé ! L'année dernière, en rentrant du Japon c'est lui qui m'a rappelé cet épisode !

vignoble (source site internet caves pouteau)On retrouve à travers vos souvenirs votre goût pour la transmission de connaissances de manière pédagogique.
J'essaie de faire partager mes connaissances. Un sommelier, c'est l'ambassadeur du vigneron auprès du client. Comme j'allais souvent dans les vignobles, c'est plus facile d'en parler.

La dégustation de vin à votre niveau, c'est un don ou cela s'acquiert-il avec beaucoup de travail ?
Qualité ou don ? Je ne sais pas mais c'est tellement facile quand on est passionné !  Pour les dégustations, il faut des connaissances de la typicité de chacune des appellations. Cela s'apprend avec de la continuité et la pratique de la dégustation.
Actuellement, pour l'enseigne Leclerc, je goûte des vins pour la "Foire aux vins" prévue en septembre (interview réalisée fin janvier 2015). Ce matin, j'avais donc 16 Côtes de Provence rosé de 2014 à goûter pour n'en retenir qu'un ou deux. Ils sont souvent proches les uns des autres. Il faut que je choisisse le vin le plus représentatif, le meilleur parmi ces seize mais surtout justifier mes choix pour les viticulteurs et les clients. Sur le catalogue que Leclerc publiera en septembre, tous mes commentaires écrits seront mentionnés à la virgule près.

Votre travail avec une grande surface est-il différent que celui réalisé, par exemple,  pour un restaurateur ?
Mon travail consiste toujours à déguster les vins et à leur mettre une note. C'est évident que la qualité de ce que je goûte n'est pas toujours au rendez-vous mais c'est pourquoi ils font appel à moi. Je leur donne une caution et un gage de sérieux.

bouteilles de vin - caves PouteauA la lecture de vos réponses, tous les lecteurs vont se demander comment vous rappelez-vous de tout ce que vous goûtez ?
Une seule règle : j'écris toutes mes remarques, mes commentaires en face du vin goûté. Quand on écrit ça marque ! Je vous donne un exemple : à la sortie d'un restaurant, vous demandez aux personnes ce qu'elles ont mangé ? Souvent, elles ne savent déjà plus…
Parfois, je goûte 100 à 150 vins par jour : le fait d'écrire mes commentaires, c'est essentiel et ça imprime ! J'ai de très nombreux calepins où tout est écrit, manuscrit.
Récemment, un des négociants de Bordeaux pour lequel je travaille a eu la visite de la "répression des fraudes" : ils voulaient savoir si j'avais bien gouté tel ou tel vin. Je leur ai envoyé mes notes manuscrites du jour concerné !
Autre anecdote : un jour, le patron d'un restaurant est venu avec une bouteille cachée et m'a fait chercher le nom du vin. J'ai trouvé que c'était un vin d'Afrique du Sud de Constancia, un vin que j'avais goûté qu'une seule fois. Comme il a une typicité, je l'avais mémorisé et écrit dans mon carnet.

Quand vous mettez votre commentaire après une dégustation, trouvez-vous  toujours les bons mots ? C'est un vrai travail littéraire !
Il faut rester à la portée des gens. Un vin qui a de la cuisse ou du corsage, je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Je parle de la couleur des vins, des arômes que l'on ressent au nez, des arômes de fruits, de fleurs ou de minéraux ; puis, en bouche, de l'acidité, de la sucrosité du tanin, des arômes que l'on perçoit en étant le plus proche et le plus simple possible.

Ce sens du détail c'est votre spécificité. Quand vous formez les autres personnes, comment transmettez-vous toutes ces subtilités ?
Tout simplement en leur apprenant la technique, puis en les incitant à goûter, à mémoriser en écrivant. Je les invite aussi à parcourir les salons : «Tu prends un carnet, tu notes la superficie, les cépages, le terroir et en fonction de tout cela, tu verras des modifications. Tu mémoriseras bien que tel cépage a tel arôme sur tel terroir. Un Chardonnay en champagne ou à Chablis ou à Meursault ont des arômes complètement différents. C'est le terroir qui fait la différence. Après, si le vin est élevé en cuve ou en barrique c'est encore un peu différent...

Pourquoi la superficie du vignoble a-t-elle une importance ?
La superficie donne une idée du travail du vigneron. Si le viticulteur a 2 ha ou 200 ha, ce n'est pas le même travail ! Mais il ne faut pas forcément en tirer des conclusions. Par exemple, le domaine du Château du Tariquet compte plus de 1000 ha de vigne. L'industrialisation des machines est poussée, les cuves, les pressoirs sont impressionnants et cela donne pourtant du bon vin très demandé. Seul petit inconvénient : c'est standardisé, tel vin a tel type d'arômes et il n'y a pas la touche personnelle.

Aujourd'hui, on parle souvent de vin bio ? Qu'en pensez-vous ?
Je crois que c'est un effet de mode. Une production bio pour un bon résultat n'est possible que s'il fait beau tout le temps. S'il vient à pleuvoir, les viticulteurs sont obligés de soufrer pour éviter l'oïdium, d'utiliser la bouillie bordelaise pour limiter le mildiou. Mais c'est vrai qu'on peut faire du bon vin bio dans les bonnes années. De plus, ils ont fait de gros progrès mais ils utilisent des produits chimiques quand même…

logo cave pouteauQuand avez-vous ouvert votre cave à Franconville ?
J'ai quitté Lenôtre en 1997 pour monter ma cave. Aujourd'hui c'est mon fils et ma fille qui ont repris les rênes de l'entreprise. Je me consacre à mes missions pour mes négociants et distributeurs.

Quand vous allez au restaurant, gardez-vous un œil professionnel sur les prestations ?
Non, j'ai toujours du plaisir à aller au restaurant pour manger en dégustant de bons vins.
Je vais vous raconter une petite anecdote qui m'arrive souvent : un jour j'étais avec ma femme dans un restaurant étoilé en province. Le chef sommelier n'était pas là. Personne ne m'a reconnu. Nous prenons l'apéritif, choisissons  le menu et une bouteille de vin. Et puis le chef est venu saluer ses clients et m'a reconnu. Alors là, tout le monde a su qui j'étais…. Et pour le dessert, le jeune sommelier est arrivé avec un verre de vin, et m'a lancé avec malice :
   « Meilleur sommelier du monde, je vous offre ce vin mais il faut que vous trouviez de quel vin il s'agit ?
Je l'ai goûté : je sens que c'est un vin liquoreux français…
   - Ce n'est pas un Sauternes, ce n'est pas un Monbazillac… ce n'est un Jurançon... c'est un un vin de Loire. 
   - Oui mais encore ? 
   - C'est un vin de Loire, liquoreux, c'est du chenin… ce n'est pas un Coteaux du Layon car ce serait beaucoup plus sucré, ce n'est pas trop sucré, plutôt demi sec… c'est un Montlouis.
   - D'accord mais quel millésime ?
Il est exigeant ! Je réfléchis...
   - Pas 2005, pas 2008 … 2007 !
Jean-Luc Pouteau et son fils Jean-ChristopheC'était ça ! Le jeune sommelier est parti et je ne l'ai pas revu !
Et c'est la même chose quand je suis invité chez des amis : ils me font goûter un vin que je dois retrouver ! Ils me glissent des peaux de banane tous les jours !! Mais je le prends avec le sourire ! Même mon fils Jean-Christophe me le fait aussi !
Mais l'année dernière, je vais avec lui à une dégustation à Bordeaux avec cent viticulteurs présents et c'est moi qui l'ai mis à l'épreuve devant ces professionnels : il a goûté un vin et a retrouvé le bon "Château Saint-Emilion" parmi la centaine existante ! Il m'a écœuré ! Je vous le dis, il est plus fort que moi ! Jean-Christophe a suivi un cursus à l'université de Suze la Rousse avec formation spécifique sur le vin, la dégustation, sur les vins du monde. C'est un cursus récent. A mon époque, cela n'existait pas, j'ai appris sur le tas. Mais vous savez, on apprend tous les jours… on ne sait jamais assez !

Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de cette rencontre exceptionnelle avec Jean-Luc Pouteau. Il évoquera ses missions au Japon et en Chine avec de très nombreuses anecdotes à découvrir !

Jean-Luc PouteauRencontrer Jean-Luc Pouteau, c'est découvrir un destin exceptionnel dans l'univers des vins, c'est voyager en France mais aussi dans le monde entier mais c'est surtout apprécier un homme simple, discret, qui "ne fait que son travail avec plaisir" comme il aime bien le répéter.
Dans cette première partie, il nous dévoile comment il est devenu un passionné des vins au parcours exceptionnel. Dans la seconde partie (parution la semaine prochaine), il nous racontera ses missions au Japon et en Chine et comment il perçoit la place du vin dans la société actuelle.

 

Vous êtes originaire de Mayenne, région qui ne produit pas de vin. Un comble pour un sommelier de renom !
C'est pourtant vrai ! Je dis aussi souvent : quand j'étais jeune, je ne buvais que du cidre ! Mon père avait d'ailleurs une belle cave que j'ai découverte beaucoup plus tard. A cette époque, le vin ne m'intéressait pas. En effet, mon premier métier c'était cuisinier puis ouvrier pâtissier dans un grand établissement de Rennes. J'étais chargé des petits gâteaux, des éclairs, des choux à la crème, des tartelettes !
Comme j'avais fait les cours d'une école hôtelière à Paris et que je pouvais être serveur, maitre de rang, j'ai fait un extra aux 24 heures du Mans au restaurant où tous les coureurs et sponsors viennent manger. Le maitre d'hôtel m'a alors fait une proposition intéressante : faire la saison d'été à La Baule ! Belle proposition qui m'intéressait mais j'avais déjà un contrat en cuisine à la Rochelle dans un restaurant "Chez Serge". Mais, un an plus tard, il m'a rappelé : « Tu te souviens de moi. Veux-tu venir à La Baule en tant que chef de rang ? » Imaginez la situation : j'ai 20 ans en 1965 et on me propose un beau poste avec un saaire fixe de 1500 F par mois sans compter les pourboires alors que je gagnais 867 F en tant que pâtissier… Evidemment je n'ai pas hésité ! Après, j'ai enchainé avec une saison d'hiver à Courchevel, avant de revenir à La Baule. Et toujours pas de vin au menu de mon parcours !!
Puis l'armée m'a appelé : j'ai été affecté sur la "Jeanne d'Arc", le navire porte-hélicoptère mais j'ai refusé d'y aller : c'était certes un honneur mais il fallait faire deux mois de rab ! Alors ils ont l'idée de m'affecter chez l'amiral, à Brest, dans son appartement personnel, pour faire la cuisine à toute sa famille. J'avais même un chauffeur pour faire mes courses !
Et un jour, mon père m'a conseillé d'aller voir une copine à ma sœur qui habitait aussi à Brest car elle avait… une 2 CV : pour revenir en Mayenne, c'était plus pratique !
Cette fille partageait son appartement avec une autre jeune fille. Elles m'ont invité et je leur ai préparé un repas avec les instruments du bord. Et c'est là que cette charmante colocataire a sorti une bouteille de Cabernet d'Anjou. J'ai trouvé ce vin fruité et la fille était sympa : et voilà comment j'ai épousé la fille et découvert le vin ! Mon beau père était viticulteur. Avant le mariage je lui disais que son vin était bon et, après le mariage, je lui ai dit qu'il n'était pas fameux ! (rires)

vignoble (source : site internet caves pouteau)Mais cette passion du vin, comment vous est-elle ensuite venue ?
J'ai suivi ma femme à Angers où elle a été nommée comme professeur de gym. En septembre, j'ai été embauché comme maitre d'hôtel dans une auberge. Je devais prendre la commande des plats et conseiller des vins mais je n'y connaissais rien ! Mon patron m'a dit alors : « Tu vas prendre la liste de nos fournisseurs et, en octobre, pendant tes vacances, tu vas faire le tour de France en les visitant tous ! J'ai ainsi rencontré les producteurs, je voyais le vignoble et c'est là que j'ai appris à goûter. Je suis revenu passionné ! Cela a été le déclic !
Alors, par la suite, j'ai voulu en savoir plus. Mais, en 1970, il n'y avait pas de livres sur le vin et seulement deux revues : "Revue du vin de France" et "Cuisines et vins de France". Et la plupart des représentants n'y connaissaient rien.
Alors, comme j'étais vers Angers, dans la vallée de la Loire, pendant mon jour de congé, j'en profitais pour aller goûter le Saumur, le Chinon, le Bourgueil. Puis j'ai monté un premier club d'amateurs de vin : on se réunissait une fois par mois et ça m'obligeait à chercher des nouveaux vins et à en parler en public. Un exercice formateur.

Puis les concours de sommelier vont ont offert une grande notoriété ?
En effet, en janvier 1972, La Revue des vins de France organise un concours de Meilleur sommelier de France avec une épreuve régionale et une finale à Paris réunissant les lauréats régionaux.
Je m'inscris à Angers dans la région Bretagne Val de Loire et je gagne au niveau régional ! Au bout seulement de deux ans de connaissances, j'ai été surpris. A Paris, pour la finale, je termine… dernier ! Mais j'ai regardé comment se passait un concours et compris ce qu'ils demandaient.
Le concours a lieu tous les deux ans et, en 1974, je termine encore premier au niveau régional et lors de la finale à Paris,  je termine…  quatrième. C'est vraiment vexant de finir 4ème !
Il fallait que je travaille encore les différentes épreuves : les connaissances théoriques des vignobles, les appellations des cépages, des terroirs, la dégustation de vins mais aussi la connaissance des eaux de vie, des liqueurs et enfin l'accord des mets et des vins…
Je me représente en 1976 mais les autres candidats de la région ne voulaient plus concourir si j'étais présent. L'organisatrice trouve la solution en me mettant "hors concours". Je remporte une nouvelle fois la compétition et je monte encore à Paris pour la finale ! Et le 15 juin 1976 je termine Meilleur Sommelier de France !

Jean-Luc PouteauAprès ce titre national, vous avez dû être très sollicité ?
En effet, j'ai eu de nombreux appels pour venir travailler dans de célèbres restaurants. J'ai choisi "La Marée" dans le XVIIe arrondissement de Paris en tant que sommelier ! Il y avait une clientèle très aisée et une carte de vins fabuleuse.

Après le sacre national, vous aviez envisagé le titre mondial ?
Non car il n'existait pas. C'est seulement en 1980 que le président des Sommeliers de France décide de monter un concours des meilleurs sommeliers du monde. Pour s'y inscrire, il fallait être le meilleur dans son pays.
A cette époque, je travaillais tous les jours à Paris. Je partais en train de Franconville et, tout au long de mes parcours, j'apprenais mes fiches ! Même en vacances je n'arrêtais pas ! En parallèle à mon travail, je donnais aussi des cours de formation continue à l'académie des vins pour le personnel de la restauration. Cela m'obligeait à apprendre !
Enfin, j'allais aussi souvent en Belgique pour de nombreuses dégustations. En France on est plutôt axé sur les vins français tandis que la Belgique est plus ouverte à tous les vins du monde que je ne trouvais pas ici ! Enfin en 1983 arriva ce premier concours de meilleur sommelier du monde, 37 candidats du monde entier étaient inscrits et je termine… premier !

Vous étiez surpris ?
Comme j'avais passé trois fois le concours de meilleur sommelier de France, je ne pensais pas gagner mais surtout me préparer pour une prochaine fois. Mais après ce succès, ce sont les medias qui m'ont beaucoup aidé. Le fait d'être invité dans des émissions avec Jean-Pierre Foucault, Christophe Dechavanne ou Jacques Martin m'a offert une certaine notoriété. Comme je vous l'ai dit, j'avais donné des cours à l'Académie du vin et Gaston Lenôtre m'a contacté simplement pour me dire : « Est-ce que tu peux venir donner des cours de vin à mon personnel de salle en formation continue ? ». Je lui ai donné mon accord mais j'avais souhaité que les chefs de rang, maîtres d'hôtel et cuisiniers suivent aussi la formation et que les participants s'inscrivent aux futurs concours de meilleur sommelier de France.
Pour l'anecdote, la sommelière a terminé meilleure jeune de France, le maitre d'hôtel élu meilleur maitre d'hôtel de France et le sommelier a été élu 2e. Et parmi les élèves de chez Lenôtre, il y avait aussi un gars pas encore connu, un certain Pierre Hermé ! L'année dernière, en rentrant du Japon c'est lui qui m'a rappelé cet épisode !

vignoble (source site internet caves pouteau)On retrouve à travers vos souvenirs votre goût pour la transmission de connaissances de manière pédagogique.
J'essaie de faire partager mes connaissances. Un sommelier, c'est l'ambassadeur du vigneron auprès du client. Comme j'allais souvent dans les vignobles, c'est plus facile d'en parler.

La dégustation de vin à votre niveau, c'est un don ou cela s'acquiert-il avec beaucoup de travail ?
Qualité ou don ? Je ne sais pas mais c'est tellement facile quand on est passionné !  Pour les dégustations, il faut des connaissances de la typicité de chacune des appellations. Cela s'apprend avec de la continuité et la pratique de la dégustation.
Actuellement, pour l'enseigne Leclerc, je goûte des vins pour la "Foire aux vins" prévue en septembre (interview réalisée fin janvier 2015). Ce matin, j'avais donc 16 Côtes de Provence rosé de 2014 à goûter pour n'en retenir qu'un ou deux. Ils sont souvent proches les uns des autres. Il faut que je choisisse le vin le plus représentatif, le meilleur parmi ces seize mais surtout justifier mes choix pour les viticulteurs et les clients. Sur le catalogue que Leclerc publiera en septembre, tous mes commentaires écrits seront mentionnés à la virgule près.

Votre travail avec une grande surface est-il différent que celui réalisé, par exemple,  pour un restaurateur ?
Mon travail consiste toujours à déguster les vins et à leur mettre une note. C'est évident que la qualité de ce que je goûte n'est pas toujours au rendez-vous mais c'est pourquoi ils font appel à moi. Je leur donne une caution et un gage de sérieux.

bouteilles de vin - caves PouteauA la lecture de vos réponses, tous les lecteurs vont se demander comment vous rappelez-vous de tout ce que vous goûtez ?
Une seule règle : j'écris toutes mes remarques, mes commentaires en face du vin goûté. Quand on écrit ça marque ! Je vous donne un exemple : à la sortie d'un restaurant, vous demandez aux personnes ce qu'elles ont mangé ? Souvent, elles ne savent déjà plus…
Parfois, je goûte 100 à 150 vins par jour : le fait d'écrire mes commentaires, c'est essentiel et ça imprime ! J'ai de très nombreux calepins où tout est écrit, manuscrit.
Récemment, un des négociants de Bordeaux pour lequel je travaille a eu la visite de la "répression des fraudes" : ils voulaient savoir si j'avais bien gouté tel ou tel vin. Je leur ai envoyé mes notes manuscrites du jour concerné !
Autre anecdote : un jour, le patron d'un restaurant est venu avec une bouteille cachée et m'a fait chercher le nom du vin. J'ai trouvé que c'était un vin d'Afrique du Sud de Constancia, un vin que j'avais goûté qu'une seule fois. Comme il a une typicité, je l'avais mémorisé et écrit dans mon carnet.

Quand vous mettez votre commentaire après une dégustation, trouvez-vous  toujours les bons mots ? C'est un vrai travail littéraire !
Il faut rester à la portée des gens. Un vin qui a de la cuisse ou du corsage, je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Je parle de la couleur des vins, des arômes que l'on ressent au nez, des arômes de fruits, de fleurs ou de minéraux ; puis, en bouche, de l'acidité, de la sucrosité du tanin, des arômes que l'on perçoit en étant le plus proche et le plus simple possible.

Ce sens du détail c'est votre spécificité. Quand vous formez les autres personnes, comment transmettez-vous toutes ces subtilités ?
Tout simplement en leur apprenant la technique, puis en les incitant à goûter, à mémoriser en écrivant. Je les invite aussi à parcourir les salons : «Tu prends un carnet, tu notes la superficie, les cépages, le terroir et en fonction de tout cela, tu verras des modifications. Tu mémoriseras bien que tel cépage a tel arôme sur tel terroir. Un Chardonnay en champagne ou à Chablis ou à Meursault ont des arômes complètement différents. C'est le terroir qui fait la différence. Après, si le vin est élevé en cuve ou en barrique c'est encore un peu différent...

Pourquoi la superficie du vignoble a-t-elle une importance ?
La superficie donne une idée du travail du vigneron. Si le viticulteur a 2 ha ou 200 ha, ce n'est pas le même travail ! Mais il ne faut pas forcément en tirer des conclusions. Par exemple, le domaine du Château du Tariquet compte plus de 1000 ha de vigne. L'industrialisation des machines est poussée, les cuves, les pressoirs sont impressionnants et cela donne pourtant du bon vin très demandé. Seul petit inconvénient : c'est standardisé, tel vin a tel type d'arômes et il n'y a pas la touche personnelle.

Aujourd'hui, on parle souvent de vin bio ? Qu'en pensez-vous ?
Je crois que c'est un effet de mode. Une production bio pour un bon résultat n'est possible que s'il fait beau tout le temps. S'il vient à pleuvoir, les viticulteurs sont obligés de soufrer pour éviter l'oïdium, d'utiliser la bouillie bordelaise pour limiter le mildiou. Mais c'est vrai qu'on peut faire du bon vin bio dans les bonnes années. De plus, ils ont fait de gros progrès mais ils utilisent des produits chimiques quand même…

logo cave pouteauQuand avez-vous ouvert votre cave à Franconville ?
J'ai quitté Lenôtre en 1997 pour monter ma cave. Aujourd'hui c'est mon fils et ma fille qui ont repris les rênes de l'entreprise. Je me consacre à mes missions pour mes négociants et distributeurs.

Quand vous allez au restaurant, gardez-vous un œil professionnel sur les prestations ?
Non, j'ai toujours du plaisir à aller au restaurant pour manger en dégustant de bons vins.
Je vais vous raconter une petite anecdote qui m'arrive souvent : un jour j'étais avec ma femme dans un restaurant étoilé en province. Le chef sommelier n'était pas là. Personne ne m'a reconnu. Nous prenons l'apéritif, choisissons  le menu et une bouteille de vin. Et puis le chef est venu saluer ses clients et m'a reconnu. Alors là, tout le monde a su qui j'étais…. Et pour le dessert, le jeune sommelier est arrivé avec un verre de vin, et m'a lancé avec malice :
   « Meilleur sommelier du monde, je vous offre ce vin mais il faut que vous trouviez de quel vin il s'agit ?
Je l'ai goûté : je sens que c'est un vin liquoreux français…
   - Ce n'est pas un Sauternes, ce n'est pas un Monbazillac… ce n'est un Jurançon... c'est un un vin de Loire. 
   - Oui mais encore ? 
   - C'est un vin de Loire, liquoreux, c'est du chenin… ce n'est pas un Coteaux du Layon car ce serait beaucoup plus sucré, ce n'est pas trop sucré, plutôt demi sec… c'est un Montlouis.
   - D'accord mais quel millésime ?
Il est exigeant ! Je réfléchis...
   - Pas 2005, pas 2008 … 2007 !
Jean-Luc Pouteau et son fils Jean-ChristopheC'était ça ! Le jeune sommelier est parti et je ne l'ai pas revu !
Et c'est la même chose quand je suis invité chez des amis : ils me font goûter un vin que je dois retrouver ! Ils me glissent des peaux de banane tous les jours !! Mais je le prends avec le sourire ! Même mon fils Jean-Christophe me le fait aussi !
Mais l'année dernière, je vais avec lui à une dégustation à Bordeaux avec cent viticulteurs présents et c'est moi qui l'ai mis à l'épreuve devant ces professionnels : il a goûté un vin et a retrouvé le bon "Château Saint-Emilion" parmi la centaine existante ! Il m'a écœuré ! Je vous le dis, il est plus fort que moi ! Jean-Christophe a suivi un cursus à l'université de Suze la Rousse avec formation spécifique sur le vin, la dégustation, sur les vins du monde. C'est un cursus récent. A mon époque, cela n'existait pas, j'ai appris sur le tas. Mais vous savez, on apprend tous les jours… on ne sait jamais assez !

Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de cette rencontre exceptionnelle avec Jean-Luc Pouteau. Il évoquera ses missions au Japon et en Chine avec de très nombreuses anecdotes à découvrir !

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3 commentaire(s)

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forais CHRISTIAN - Il y a 2 ans
TRÈS BEAU COMMENTAIRE ET BELLE HISTOIRE SUR LE VIN JE VIENDRAIS CHEZ VOUS CAR JE VAIS FÊTÉ MON ANNIVERSAIRE EN JUILLET
J'AI ÉTÉ CHEF PÂTISSIER AUX RITZ paris PENDENT 20 ANS ET DEUX FOIS FINALISTE DU CONCOURS MEILLEUR OUVRIER DE FRANCE
ET VOTRE HISTOIRE ME RAPPELLE MES DÉBUT
TRÈS CORDIALEMENT
CHRISTIAN FORAIS
Courtaud Meriguet - Il y a 5 ans
Bonjour ,nous venons de lire les articles concernant Monsieur Jean Luc Prouteau meilleur Sommelier du Monde. C'est avec un immense plaisir que nous retrouvons des souvenirs datant des années 1970.... 1972 .... date à laquelle nous l'avons connu chez Mr MERIGUET à LA Couarde s/r Mer(Ile de Ré ,lui sa femme et enfants , 2, à cette époque là, si nos souvenirs sont bons . Nous irons dire bonjour à leur fils Christophe en mars à la cave COUTINEAU à Chançay( Indre et Loire)où il fait une animation.
Merci si vous rencontrez Mr Prouteau de lui dire que nous n'avons pas oublié notre rencontre chez mon Père, Monsieur MERIGUET Ile de RE.
Cordialement.
Mr Mme COURTAUD Michel MERIGUET Yvette
Prétot - Il y a 9 ans
Super, un vrai plaisir à lire, quelques minutes de détente durant une pose. Je suis dans l'attente du journal de la semaine prochaine.
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